« Bon tu m'excuseras mon bonhomme, mais magne-toi j'ai pas que ça à faire de ma journée. » Lança-t-elle froidement. Si Siobhàn avait bien un gros défaut, c'était évidemment l'impatience. Elle déteste qu'on la fasse attendre, le pire étant quand cette personne se trouve être d'une mollesse à tel point que l'on aurait envie de la secouer pour la réveiller. C'était le cas à l'instant même. Debout devant le comptoir, la jeune femme venait de commander un café au célèbre Starbucks Coffee du coin. Le jeune homme qui était censé servir était d'une lenteur impressionnante, c'était à se demander s'il ne le faisait pas exprès pour énerver ses clients. Il lança un regard noir à Siobhàn lorsqu'il eût entendu ses paroles. Totalement indifférente d'avoir fait bonne impression ou non, cette dernière prit son café, paya, puis s'en alla avec un sourire forcé. Il était bientôt midi, elle sortait de son footing et avait besoin d'un petit remontant. C'est ensuite qu'elle rentrera chez elle, se douchera, mangera puis élaborera son planning de l'après-midi.

Il était 17h30. Comme à chaque fois qu'elle s'ennuie lors d'une de ses après-midi de libres, Siobhàn était passée à ses magasins préférés, là où elle était vue comme une fidèle cliente pour faire un peu de shopping et redonner du neuf à son dressing. Parce que oui, même si sa dernière virée remontait à pas très longtemps, elle considérait que le meilleur moyen de s'occuper et de se redonner un peu le moral était encore de choisir les vêtements qu'elle porterait prochainement. Disons qu'en ce moment, la routine s'installait et cela avait le don d'agacer la jeune femme. Métro, boulot, dodo comme on le dit si bien. D'ailleurs, ce fût une des raisons qui la poussa à aller faire un tour à la bibliothèque de Montsimpa, endroit qu'elle ne visitait que très rarement. Elle n'était pas très lecture d'habitude, mais lire un bon roman une fois de temps en temps ne pouvait pas faire de mal. Et ne vous fiez absolument pas aux apparences, Siobhàn est une jeune femme intelligente et qui, comme tout le monde, aime être transportée loin du monde réel parfois. Par n'importe quel moyen, hum... Se baladant de rayons en rayons, elle tua le temps en faisant exprès de choisir méticuleusement le peu de livres qu'elle emprunterait ou commencerait ici, en espérant trouver un bon petit endroit calme.

C'est alors qu'après avoir atteint la page 60 d'un roman qu'elle trouvait sans plus, que Siobhàn se rendit compte de l'heure qu'il était. Elle avait lu lentement tout en se reprenant sur quelques lignes voir des pages complètes pour tenter de comprendre le sens qu'avait essayé de mettre l'écrivain à ses phrases. Et c'est en regardant les chiffres annoncés par son BlackBerry que la notion du temps lui revint. ll était 18h52, la bibliothèque fermait à 18h30 précise. Elle se leva d'un bond, se demandait pourquoi personne n'était venu la prévenir que bientôt, ils fermeraient les grilles pour laisser place à l'obscurité. Elle s'avança jusqu'à l'entrée, qui se trouvait des rayons plus loin, et comprit qu'on venait de l'enfermer dans la bibliothèque. Il faisait encore jour dehors, et elle ne s'était même pas rendu compte que les lumières avaient été éteintes. Sûrement car elle arborerait une place près de la fenêtre. Soudain, se respiration se coupa quand un bruit surgit de derrière elle. Elle avait trop regarder de films d'horreurs, c'était certainement ça.

Quand on a du temps pour soi, il est nécessaire d'utiliser celui-ci avec le plus d’ingéniosité possible. Pour ma part, j'avais le choix entre dans mon lit et ne pas bouger de la journée ou profiter de ce moment opportun pour faire quelque chose d’utile. J’avais beau être mannequin et user de mon physique pour gagner de l’argent, j’éprouvais également le besoin d’accroître mes facultés intellectuels, histoire de ne pas sombrer dans le stéréotype « beau et idiot ». Toujours est-il qu’un petit tour à la bibliothèque n’était pas du refus. Ces derniers temps, j’étais particulièrement intéressé par un livre de Freud, Psychopathologies de la vie quotidienne, interprétation des manifestations de l’inconscient par diverses manières comme les lapsus, les oublis ou encore les rêves. La psychanalyse et tout ce qui touchait à l’esprit m’intéressait énormément ; plus jeune, je rêvais d’étudier l’hypnose. Bien qu’entre temps, d’autres opportunités se soient présentées sur mon chemin, facilitant mes choix et débouchés. Mais je n’avais pas tout de même pas abandonné ce projet plus ou moins ambitieux : à tente ans, quand je serais trop vieux pour appartenir au monde de la mode, je pourrai très certainement poursuivre et entretenir cette idée audacieuse. Tout dépendait de la tournure qu’allait prendre mon futur.

J’étais bel et bien décidé à consacrer mon après-midi à lire et me triturer l’esprit afin de comprendre le raisonnement employé par cet ingénieux Sigmund. Il était seize heures passé, j’avais amplement le temps d’aller jusqu’au mémorial, trouver un coin tranquille et m’atteler à la tâche. Les rues de Montsimpa étaient pas mal côtoyées à cette heure de la journée et je mis tout de même un bon quart d’heure à faire la route. Finalement, cela aurait été tout aussi rapide à pied. L’édifice m’accueillit avec cette douce odeur de vieux livres marqués par le temps. Le rayon philosophie -très peu fréquenté selon moi- se trouvait dans un sombre recoin de la bibliothèque. Je connaissais le chemin comme ma poche, ainsi qu’un endroit quiet où lire tranquille. Je commençai par le chapitre lapsus, bordé par diverses définitions et théories à en effrayer plus d’un. Oui, de nos jours, des mots tels que interversions, postpositions, typographie peuvent faire peur à ceux qui ne se donnent pas la peine de les comprendre. Je continuai d’éplucher l’ouvrage, allant même jusqu’à recopier les passages les plus intéressants. Au bout d’un moment, je fus obligé de constater que la luminosité était profondément absente et qu’il était grand temps d’allumer les lampes de la bibliothèque. Machinalement, je me dirigeai vers l’interrupteur et tentai d’y voir plus clair ; après deux tentatives désespérées, pas moyen d’obtenir une once de lumière. Je fis volte-face sur moi-même, j’avais a priori loupé l’heure de fermeture. Comment une telle situation est possible ? Les employés ne font jamais le tour des rayons pour vérifier que tout le monde est parti ? Apparemment non.

Un bruit en provenance de l’entrée attira mon attention : le gardien devait certainement vérifier les lieux avant de fermer à clef l’immeuble pour la nuit, j’avais encore une chance de sortir. En effet, une ombre était visible à moins de dix mètres. Je m’avançai prudemment vers cette personne, histoire de ne pas lui faire avoir une crise cardiaque. Plus je m’approchai, plus je discernai que l’ombre était une femme, -plutôt bien gâter par la nature-. Ces cheveux, ces fesses, ces hanches et ces longues jambes ne m’étaient pas inconnues ; à vrai dire, je les avais tellement observés que j’étais prêt à mettre ma main à couper qu’il s’agissait d’elle. « Siobhàn ? » réussi-je à articuler d’une voix assez anxieuse. Non pas que je sois stressée d’être enfermé avec elle… Enfin si ; j’allais enfin devoir affronter la réalité, cette réalité que je ne voulais pas admettre, par pure fierté.

Siobhàn avait une légère tendance à la claustrophobie. Non pas au point de s'en évanouir, mais le fait de se savoir enfermer quelque part, le pire reste dans les endroits étroits évidemment, lui provoque une sorte de malaise intérieur. Et elle se retrouvait là, debout dans l'obscurité, dans la bibliothèque du mémorial et se croyait seule. Sur le coup, ses pensées étaient plus centrées sur "Suis-je vraiment enfermée ou est-ce que c'est une mauvaise blague ?" plutôt que sur le fait de se demander comment elle allait pouvoir passer la nuit là-dedans. Telle était la véritable question. C'était bien la première fois, et elle espérait la dernière que ça lui arrivait. Décidément, elle aurait à peu près tout vécu.

Le bruit qui l'avait fait frémir la laissa demeurer immobile, toujours au même endroit. Une part d'espoir en elle lui fit penser que c'était certainement le gardien de nuit, qu'il faisait ses rondes. Après tout, c'était son métier. Mais quelque part, son intuition lui permettait d'en conclure que ça ne pouvait pas être lui. Il n'y avait pas de lumière, et le bruit de pas était trop hésitant.

« Siobhàn ? » Cette voix, elle la connaissait. Peut-être même un peu trop bien. Se retourner fut presque un réflexe, quelque chose qu'elle n'avait pas contrôlé et elle mit quelques secondes avant de se rendre compte qu'elle venait de bouger. Un léger rire nerveux vint sonner à l'intérieur de la grande pièce lorsque l'idée d'être enfermée toute la nuit avec lui lui était enfin arrivée à l'esprit. C'était inconcevable ! Pourquoi lui ? « Eh ben tiens, voilà autre chose ! » lança-t-elle, le regard fixé au-devant. Ses yeux s'étant habitués au noir qui régnait, elle pouvait maintenant le distinguer bien qu'il soit encore un peu éloigné. Disons que cette situation était un peu celles que Siobhàn avait tenté d'éviter jusqu'ici. Se retrouver seule avec Maël et contre son gré qui plus est, la confrontait à elle-même. Chose qu'elle n'aimait pas vraiment. La jeune femme avait trop de fierté pour admettre qu'au fond, elle le jalousait quand même un peu d'avoir réussit dans le monde de la mode. Et puis, il y avait cette chose.. qui faisait qu'elle ne le détestait pas tant que ça et qui justement, renforçait ses intentions de se comporter assez mal avec lui. C'était un interminable cerce vicieux.

Il était maintenant dans les environs de dix-neuf heures, et cela faisait une bonne poignée de minutes que la jeune femme était enfermée dans le temple des bouquins. Avec, qui plus est, la personne qui arrivait à la troubler le plus, même inconsciemment. Elle préféra penser que toute cette histoire n'était qu'une coïncidence. De toutes manières, elle n'avait jamais cru et ne croyait toujours pas à tout ce qui pouvait toucher à la voyance, destin, ainsi que tout le reste. Même si, elle devait bien l'admettre, cette situation était quand même peu commune.
Quand elle l'entendit faire quelques pas pour vérifier que les portes étaient bien scellées, au cas où il y aurait encore un espoir de sortir d'ici avant que la nuit ne tombe, Siobhàn se mit à marcher dans la direction opposée. Elle n'était pas si loin d'où elle se trouvait quelques secondes avant, mais le dispersement des rayons faisaient que Maël ne pouvait la voir. Elle retourna là où elle avait été assise avant d'être enfermée, pour y trouver son sac à main. Et comme à chaque fois qu'une situation ou un événement la rend nerveuse, ses cigarettes étaient là pour la sauver, en quelques sortes. C'est fou ce que ça détend, de fumer. Cela dit, elle n'était pas certaine que ça arriverait à calmer son appréhension, cette fois. Mais pourquoi provoquait-il en elle cette impression indéfinissable ? C'était quelque chose qu'elle ne connaissait pas, et aucuns moyens de mettre des mots là-dessus.

« Tu as beau te cacher, ça ne changera rien au fait que nous soyons coincés ici » Les paroles du jeune homme la firent tressaillir, dans la mesure où elle ne s'y attendait pas. Elle se redressa, et termina d'allumer sa clope avant de parler à son tour, sur un ton un peu amusé. « Désolée, j'ai passé l'âge de jouer à cache-cache. Mais si ça pouvait nous aider à sortir d'ici, pourquoi pas. » Ses talons résonnèrent dans la pénombre. Son portable venait d'annoncer que la batterie était faible. Magnifique ! Même si, de toute façon le réseau était indétectable, elle aurait au moins pu s'en servir comme éclairage. À cet instant elle maudissait la nouvelle technologie et ses foutues batteries qui ne tenaient plus la recharge.
Une faible lueur vint interrompre ses pensées. « Tu ferais mieux de venir par ici » Hésitante, elle recracha la fumée de sa gorge, puis s'avança de façon à faire face à Maël et les bougies qu'il venait préalablement d'allumer. Elle tira sa troisième latte de la soirée, bien que fumer dans une bibliothèque soit peu conseillé. Mais elle savait faire attention, et elle n'aurait pas tenu la soirée sans avoir eu sa dose de nicotine. « Et qu'est-ce qu'on fait, maintenant ? » La question était un peu absurde. Maël n'avait certainement pas la réponse, mais c'était la chose qui lui sortit en premier de la bouche. Dormir ici, sur un de ces fauteuils inconfortables, avec comme seul oreiller la couverture dure d'un livre ? Certainement pas. Du moins, par pour Siobhàn.
Elle ressentit cette atmosphère tendue, quelque peu gênée aussi. C'était pour le moins étrange.

Grandir sans la moindre présence ni affection parentale expliquait sûrement le cas de la jeune femme aujourd'hui. L'habitude prise dès son plus jeune âge de tout garder en elle semblait ne pas l'avoir quittée. C'était malsain, et elle en avait conscience. Mais cette fierté qui constituait en parti son égo refusait de s'abaisser lorsqu'il était question de dévoiler sa sensibilité. Siobhàn est une femme fragile, et ça, personne ne semble le concevoir. Dans sa vie, elle n'a eu qu'une seule relation amoureuse réellement sérieuse. La fin avait été catastrophique, tout simplement parce qu'elle avait donné sa confiance à tord à un homme qui n'en valait pas la peine. Elle s'est promis de ne plus jamais souffrir pour un homme, même si toute son enfance s'était résumé à ça. Elle avait souffert, oui, parce que son père n'avait jamais daigné s'occuper d'elle.

Aucune réponse n'avait enchaîné sa question. Siobhàn avait pensé qu'elle entendrait quelque chose mené d'un ton assez désagréable, vu la dureté qu'elle avait utilisé pour parler. Au lieu de ça, elle regarda Maël réfléchir quelques secondes, assis sur le bureau, avant de relever la tête. « Donne-moi ta cigarette » Elle hocha la tête avec cet air d'arrogance qui n'appartenait qu'à elle dans le regard. Pourquoi ferait-elle ça ? De plus, elle prit ses paroles plus pour un ordre que pour pour une demande. Elle recracha une nouvelle fois la fumée de sa gorge. « S’il te plait » Ah, ça change tout, pensa-t-elle intérieurement. Elle leva la tête pour distinguer à son tour l'alarme incendie au plafond. Elle comprit enfin. Elle s'avança d'un pas à la fois pressé, à la fois hésitant. Hésitant parce que, une part d'elle-même ne désirait pas sortir d'ici. Pas maintenant, en tout cas.
Siobhàn tendit sa cigarette à Maël. « Et comment tu comptes t'y prendre ? » Sans un mot, il fit la démonstration à la jeune femme. Mais comme une chaise ne suffisait pas, il en superposa trois autres. « Je te préviens je suis pas médecin ! » Devant cette scène, c'est instinctivement que Siobhàn apporta son aide en tentant de lui faire trouver un équilibre en tenant ses mollets. Elle ne l'avait jamais touché, et n'aurait jamais imaginé que ça pouvait provoquer une telle impression intérieurement. Elle en éprouvait un certain malaise, sur le coup. Faisant comme si de rien n'était, son visage était orienté de façon à voir ce que Maël était en train de faire. Elle discerna une once d'hésitation dans ses gestes, comme si déclencher l'alarme ne le tentait pas plus que ça. Et, ne nous voilons pas la face, elle était dans le même état d'esprit mais se refusait d'y penser.
« Tu es sure que c’est ce que tu veux ? » Siobhàn observait son visage éclairé à la lueur des bougies. Cette question déclencha l'apparition de milliers de questions dans son esprit. Elle ne savait pas, pas quoi répondre, ni quoi penser. Elle savait pertinemment que ce moment arriverait, où il faudrait se confronter à la réalité. Elle n'était pas prête pour ça, mais elle ne le serait jamais. Alors à quoi bon.
« ...Je sais pas... non. » D'après elle, c'était Maël qui venait de lui faire perdre ses moyens, avec son regard profondément envoûtant.

Il y avait là quelque chose qu'elle ne parvenait pas à comprendre. Ou du moins, peut-être un peu, mais qui l'interloquait. Maël aurait très bien pu lever la cigarette jusqu'à ce que l'alarme incendie fasse retentir ses intensités sonores, cependant, il ne l'avait pas fait. Il avait hésité, tout comme elle, à saisir cette occasion qui leur aurait permit de sortir d'ici. La réponse de Siobhàn venait d'amener le jeune homme à soupirer de soulagement, ce qui confirma ses précédentes pensées. Elle s'était attendue à tout, mais certainement pas à ça. Parce qu'après tout, ils passaient habituellement le plus clair de leur temps à éviter toute situation qui pourrait les mettre face à ce qu'ils refusaient d'admettre. Ils étaient attirés l'un par l'autre, oui, mais ils ne se le disaient pas. Leur fierté respective en prendrait un coup.

Siobhàn venait de retirer ses mains des mollets de Maël, qui le laissait maintenant sans équilibre sur trois chaises superposées. « Tu veux que je t... » Elle n'eût pas le temps de terminer sa proposition qui consistait simplement à lui demander s'il désirait un coup de main, que ce dernier heurta la jeune femme dans sa chute. Les choses s'étaient déroulées trop vite pour qu'elle puisse se remémorer distinctement ce qui venait de se passer, mais ce qui était sure en tout cas, c'est qu'elle était à présent allongée à terre avec Maël à califourchon sur elle. Il avait encore les yeux fermés quand Siobhàn réalisa qu'ils n'avaient jamais été aussi proches physiquement. À cette pensée, son coeur eut un raté. « J’espère que je ne t’ai pas fait mal » Elle avait beau réfléchir, mais non, elle n'avait pas mal, même pas l'ombre d'un futur petit bleu ou quoique ce soit. À dire vrai, elle aurait bien aimé trouver un argument pour le faire culpabiliser un peu. « Non, ça va, tu as de la chance. » Lança-t-elle sur un ton qui se montra quelque peu déçu. Disons que se mettre en colère sur lui parfois l'aidait à se contrôler quant à cette confusion qui la tourmentait. Son mauvais caractère avait repris le dessus l'espace d'une seconde seulement : un rire s'échappa de la bouche de la jeune femme lorsque Maël lui tendit sa cigarette. « Je l’ai sauvé ! » Elle la saisissa avant de constater que le filtre était bientôt atteint. « C'est gentil mais de toute façon, elle aurait plus servi à grand chose. » Une fois debout, il lui proposa son aide pour qu'elle puisse également se relever. Siobhàn regarda sa main avant de la lui prendre et de se redresser pour de bon. « Encore navré » « C'est pas grave.. »

La jeune femme défroissa son tee-shirt d'une main tout en hésitant à prendre la parole. « Pourquoi tu l'as pas fait ? Je veux dire, t'avais le choix mais.. »

La flamme de la bougie vacillait, tout comme ses pensées n'étaient pas stables. Maël représentait un danger pour elle, en quelques sortes. Et le pire dans tout ça c'est qu'elle aimait ça, prendre des risques, ce léger goût d'interdit parce qu'elle s'était toujours fixée des limites quant aux sentiments. Même si là, ça n'en était pas encore à ce stade. Siobhàn avait toujours privilégié les relations d'un soir, ou qui durent un peu plus longtemps mais sans réel attachement. Du moins à ses yeux, c'était juste histoire de s'amuser. Et de ce côté, Maël lui était assez ressemblant. « Honnêtement, je ne sais pas. Je voulais tout de même te laisser le choix en te posant la question, mais j’espérais que tu me répondes de ne pas le faire » La sincérité dont il avait fait preuve l'étonna. Mais maintenant, elle pouvait être certaine qu'il n'y avait pas qu'elle qui ne souhaitait pas partir. En toutes autres circonstances, Siobhàn aurait sauté sur l'occasion ; sa tendance à être claustrophobe la rattraperait tôt ou tard. Mais ce soir, c'est comme si Maël exerçait sur elle cette impression de sécurité. Il n'y pouvait rien, cependant inconsciemment il lui permettait de se sentir mieux. « Je crois que nous avons beaucoup de choses à nous dire, n’est-ce-pas ? » Cette remarque la fit déglutir. Bon, cette fois il fallait bien l'admettre, oui, elle stressait. Le moment qu'elle avait toujours tenté d'éviter était venu. Et Maël, aussi social pouvait-il être, ne semblait pas se résigner à cette situation. Cela dit, pour éviter de dévoiler son appréhension, elle dissimula ses ressentis à l'aide d'un léger sourire taquin. « Je ne vois pas vraiment où tu veux en venir.. » S'il y avait bien une chose que l'on reprochait très souvent à Siobhàn, c'était d'être têtue. Feindre l'incompréhension était un autre moyen de lui faire croire que non, elle n'était pas dans un cas similaire au sien. Ce qui était totalement confus, puisqu'elle n'avait pas souhaité partir d'ici. Mais elle mentait mal.
Maël disparu derrière le bureau des bibliothécaires, il semblait chercher quelque chose. Le bruit des bouteilles entrechoquées parvint aux oreilles de Siobhàn, et cette dernière laissa échapper un deuxième sourire. « J’espère que tu as soif » Certainement l'avait-il déjà vue avec un verre de trop dans le nez. Disons qu'elle a une langue bien pendue, parfois même un peu trop. « C'est fou ce que tu me connais. » Lui lança-t-elle sur un ton d'amusement. Ce n'est pas sans une once de curiosité que Siobhàn détailla du regard la bouteille que tenait Maël. « Eh ben, elles y vont pas de main morte » ajouta-t-elle en relevant la tête.

Ce soir, elle trouvait Maël quelque peu différent. Il avait l'air plus détendu que d'habitude lorsqu'il se trouvait en sa présence. L'atmosphère qui régnait dans ce sombre endroit laissait deviner que c'était une soirée où les masques allaient tomber, où les vérités allaient être dévoilées. De toute façon, personne n'arrive à se mentir à soi-même très longtemps. Sauf exceptions, mais ceux-là se retrouveront en tête à tête avec la réalité un jour ou l'autre. Bien que parfois, les choses nous tombent dessus sans préavis, c'est une phase obligatoire. Tout se sait, quoiqu'il arrive.
Une autre preuve encore des affirmations précédentes, ils venaient de mettre le main sur un des secrets des bibliothécaires, bien que ce ne soit pas grand chose. Montsimpa n'est pas une si grande ville que ça, il ne faut pas se leurrer. Les rumeurs vont dix fois plus vites dans ces cas-là. Cependant, Siobhàn n'était pas plus intéressée que ça au fait que les femmes qui travaillent ici buvaient en cachette. Après tout, elles devaient bien s'ennuyer ici. C'était donc quelque part compréhensible. Du moins, pour elle. « Je ne te le fais pas dire » Il fallait croire que Maël parvenait à détendre Siobhàn au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient. Elle n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il pouvait être, et elle s'en fichait. Bizarrement, boire en sa compagnie dans un endroit calme et désert ne la dérangeait pas plus que ça. Même si l'occasion ne s'était présentée que rarement, voir même pas du tout, elle aurait préféré évité ce genre de situation, avant. Elle n'était pas si facilement influençable, mais c'est comme si la barrière qui refusait de laisser passer ses émotions étaient en train de s'ouvrir. Et sans Maël, ça ne serait certainement jamais arrivé. Cela dit, il serait peu probable que son état d'esprit actuel reste tel quel par la suite. Siobhàn faisait ça presque inconsciemment, elle ne réalisait pas réellement qu'elle allait sans doute devoir faire part de ce qu'elle redoutait le plus, là, ce soir, dans cet endroit. Disons qu'habituellement, la jeune femme n'est pas du genre à agir sans réfléchir. Elle se pose énormément de questions, même si les prises de têtes elle préfère éviter.
Quand elle le vit chercher, elle devina tout de suite de quoi il s'agissait. Boire à la bouteille ne la dérangeait pas tant que ça, ça lui était déjà arrivé de finir bourrée avec une simple bouteille avec une de ses amies. Bon, c'est vrai que le contenu diminue un peu plus vite, mais l'effet reste le même. « Si c'est des verres que tu cherches, c'est pas la peine de te compliquer la vie, j'ai pas de maladie contagieuse tu sais. » Lança-t-elle sur un ton humoristique. Quand il revint jusqu'au bureau où elle s'était assise, il avait quand même trouvé deux gobelets, l'un dans chacune de ses mains. « Tu préfères un doigt ou plus ? » Elle ne parvenait pas à discerner le sens de sa question. Pour cause, elle hocha la tête avec un air d'incompréhension sur le visage. Elle n'avait jamais vu le film, et il est vrai que sans ce visionnement cette question peut paraître plus ou moins ambiguë. « Pardon ? » Cela dit, elle devinait que c'était sûrement encore l'une des blagues de Maël, étant donné que ce dernier cachait mal cette envie de rire qui le gagnait.

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