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Tu sais, il m'a fallu du temps du réaliser que tu étais parti. Tous les jours, j'ai attendu, je t'ai attendu. Chaque soir, en rentrant de l'école, je me suis assise près de la fenêtre en pensant que tu rentrerai bientôt, que le trajet du retour te prenait juste un peu plus de temps que d'habitude. Mais de qui je me moquais ? Bien sûr que tu ne rentrerai pas ce soir-là. Bien sûr que tu ne reviendrai même plus du tout. Pourtant, il a bien fallu que ma vie continue, que je fasse quelque chose de mes journées vides de sens. Alors j'ai continué le chemin, sans toi pour me consoler. Je suis allée à Washington pour y étudier, tu sais, ça m'a fait du bien de m'éloigner quelques temps. J'espère que tu es fier de moi, de là où tu es. J'espère que tu as trouvé la paix. Je suis revenue, pensant que tu serai là toi aussi. Parce que je reviens toujours, tu t'en souviens ? Et pourtant toi, toi tu n'es jamais revenu. Pourquoi tu ne l'a pas fait ? Je n'ai pourtant pas oublié pourquoi tu ne reviendrai pas. A vrai dire, je m'en souviens comme si c'était hier... « MJ, je sors ! Tu pourras te commander une pizza pour ce soir ? » Je descends les escaliers qui nous séparent en trombe. « Merde, tu avais dit qu'on irait au ciné ! J'en ai marre de passer tous mes samedis soir toute seule parce que tu vas voir des potes. » Il lève les yeux au ciel, s'arrêtant sur le pas de la porte pour me faire face. « Justement, c'est samedi soir. J'ai d'autres plans. » J'adorais mon grand frère, mon aîné de trois ans, mais il arrivait souvent que je le déteste tout autant. Tantôt il était celui sur lequel je pouvais m'appuyer, celui qui m'empêcherait de tomber, tantôt il était le plus grand connard que la Terre ait porté, se foutant de tout ce que nous avions. Mais après tout, ce n'était pas comme ça qu'étaient censés se comporter les frères et soeurs ? Toujours à se disputer, mais sans jamais cesser de s'aimer. « Tu fais vraiment chier. » Je me dirigeai vers la cuisine en soupirant. Notre père était parti pour l'Irak il y avait déjà trois ans de cela, et quant à notre mère... Elle n'était pas exactement le modèle parental dont on pouvait rêver. Disons qu'elle se débrouillait comme elle pouvait pour surmonter l'absence de son mari. Et aujourd'hui, elle n'est plus que l'ombre d'elle-même, cachée quelque part au fond de ses draps, pleine de médicaments. Elle ne m'a jamais pardonné, tu sais ? Pour elle, je suis restée celle qui lui a tout enlevé. Je suis celle à blâmer. Mais je ne lui en veux pas. Comment le pourrais-je ? Tu sais tout autant que moi comment elle est. J'ai souvent pensé que tu lui ressemblais comme deux gouttes d'eau, que finalement c'est d'elle que tu tenais ton mauvais caractère. Et si j'étais plutôt amère en le pensant, aujourd'hui je préfère en sourire. Toi aussi, tu avais tes mauvais côtés... Alors au fond, il ne restait plus que nous deux. Ce grand abruti, et moi. Ne pouvoir compter que l'un sur l'autre, c'était sûrement la chose qui nous avait rapproché. C'est également pour ça qu'on ne pouvait rien se refuser : parce qu'il ne restait plus que nous, parce qu'on était toujours là. « Bon ca va... On sortira quand je reviendrai, j'en ai pas pour longtemps. » Je feins l'ignorance, prétextant avoir d'autres choses à faire. Il est rentré totalement éméché, mais je n'étais pas prête à dire adieu à nos samedis soirs pour le laisser se reposer. Alors nous y sommes allés, mais nous ne sommes jamais rentrés à la maison. Je me souviens d'un feu grillé, d'une lumière aveuglante. Puis plus rien jusqu'à mon réveil dans l'ambulance, où l'on m'annonça qu'il ne me restait plus qu'une tombe sur laquelle pleurer. C'était le vingt-huit janvier, les rues étaient enneigées. J'avais tout juste dix-sept ans.