Je jette un coup d'oeil à ma montre, cliquant sur un bouton afin de faire s'éclairer l'écran LCD de manière à pouvoir distinguer les caractères numériques. Il était tard, très tard même, surtout en cette soirée de février où la nuit tombait particulièrement tôt... Au loin, le soleil avait finalement disparu, après avoir laissé traîner dans les cieux quelques dernières traces violacées de son passage, laissant ainsi le ciel finalement noir de son jais nocturne. Noirceur infinie dans laquelle commençait déjà à percer quelques perles d'argent, comme tout autant de larmes pleurées par la Divine, et qui restaient suspendues dans le temps et l'espace en témoignage éternel d'un vide infini. Le même genre de vide que j'éprouvais en ce moment même, sans avoir besoin de plus amples raisons. Les mains fourrées dans les poches de cette veste de cuir rouge que je n'avais acheté qu'il y a trois jours et ayant un bonnet gris qui capturait ma longue chevelure blonde d'une manière qui la maintenait droite malgré le vent glacé qui soufflait l'allée que je remontais présentement. Arrivée au "sommet" de la faible côte, je ralentis finalement un peu le pas et mis la main à ma joue, le contact provoquant une nouvelle sensation de brûlure. Frustrée par quelque chose qui n'aurait dû me gêner, j'ai retiré presque furieusement mes gants avant de reposer ma main sur ma joue. Je n'avais pas froid, bien au contraire... Je me sentais presque comme une jeune étudiante rougissant devant son premier grand amour, ce qui était stupide, puisque je n'étais plus une adolescente depuis bien longtemps... Mes longs doigts arachnéens frôlèrent simplement ma pommette droite, touchant doucement cette espace presque osseux qui soulignait mon œil. Oui. Juste là, une ecchymose se formait doucement, vestige de la dernière arrestation que j'avais effectué à peine quelques heures avant de me mettre en route pour me retrouver ici. Mais la douleur restait cuisante, même si j'avais refusé qu'on m'ausculte pour quelque chose d'aussi banal. Je n'avais rien d'une grande blessée non plus, ce n'était qu'un coup Vous savez? Quand on vous fiche une gifle monumentale, vous avez la joue qui brûle? Ben là, c'est pareil pour moi, sauf que tout ça allait probablement me pousser à faire preuve de créativité en matière de poudrage, ou alors un bel œil au beurre noir m'attendrait au lever. Ce n'est pas exactement le genre de choses qu'on a envie d'exhiber à des suspects ou alors à des familles en deuil. Il fallait un minimum de sérieux si je voulais garder un certain prestige en tant qu'agent de terrain dans une section spécialisée du FBI.

Quand je rouvre mes yeux, c'est presque comme si je débarquais dans un nouvel univers: je pourrais jurer que l'agitation qui m'avait entourée s'était déroulée une seconde seulement. Bon, d'accord, peut-être quelques minutes. Mais pas plus.... Tout était si violent, en comparaison à la clarté et le calme qui m'entoure à présent. J'entends un bip régulier et je tourne la tête pour tenter d'en apercevoir la source. Grave erreur. J'étais mieux endormie. A peine cette pensée eut-elle traversé mon esprit que je me demande.... depuis quand suis-je là?? Le médecin qui vient me voir quelques secondes plus tard semble presque disposé à me donner cette réponse, mais il trouve obligé d'abord de m'aveugler à nouveau avec ce maudit stylo. A peine le temps de récupérer un minimum que me voici agressée à nouveau. Je ferme les yeux et place faiblement ma main devant mon visage, paume vers la lueur, en signe de protestation. Peut-être est-il idiot, mais il semble satisfait de ce qu'il voit ou a pu voir. Il reste silencieux le temps de vérifier ces fichues machines, et son silence se fait on ne peut plus agaçant. Je tente de me relever un peu histoire de lui faire face, mais uniquement pour réaliser que je n'ai même pas la force de me tenir sur mes coudes. Je m'effondre à nouveau dans l'oreiller. Au moins, lui, il est moelleux et ne me fait pas attendre pour donner ce que j'attends de lui. Je me sens si fatiguée, mais ça ne l'empêche pas de me poser ses questions. Fichu médecin, est-ce que ça le tuerait de répondre aux miennes?? L'horreur de ses questions, c'est que je suis bien incapable de répondre. J'ignore si j'ai des allergies, s'il y a quelqu'un à contacter, ou même je ne saurais lui dire mon nom. Il dit que c'est normal, qu'un choc à la tête peut parfois avoir pour conséquence une amnésie temporaire... Il me parle d'un accident de voiture, de blessures sévères expliquant sans doute pouvoir j'avais un bras dans le plâtre et si mal aux côtes. Il mentionne quelque chose à propos d'un traumatisme crânien assez sévère et de "chance" d'avoir été victime de ce délit de fuite, en compagnie de témoins ayant immédiatement contacté les urgences. Pour moi, ce n'est qu'un monceau de conneries, mais bon. Cela lui va bien de dire ça, ce n'est pas lui qui ignore tout de A à Z dans le dictionnaire de sa vie. Ce n'est pas lui qui panique maintenant, en cet instant précis. Mais en tout médecin qu'il est, il remarque mon état, et c'est à ce moment qu'il choisit de m'administrer un léger sédatif. Je l'ai pensé à mon réveil, et le fait de doucement plonger dans les ténèbres de l'inconscience ne me fait pas changer d'avis: fichus médecins !!

Quelques temps ont passé, maintenant, et si je peux depuis quelques jours me lever sans souci ou vertiges, je ne me souviens toujours de rien. Noir. Nada. Mais je sais qui je suis, mes papiers d'identité m'en informant et le dossier médical récupéré complétant les blancs: Dakota Leigh Croft, orpheline, immigrée britannique depuis à peine 8 ans, naturalisée américaine il y a 5. Un homme, mon compagnon apparemment, s'est présenté à l'hôpital peu de temps après mon arrivée. Informé par les autorités. Un vrai téléphone arabe, ce système, mais ça doit être l'avantage d'être agent fédéral, je suppose. Mais pour moi, c'est curieux de savoir des choses sur vous parce que quelqu'un vous l'a dit, parce qu'ils l'ont lu sur vos papiers, plutôt que de vous en rappeler par vous-même. C'est presque amusant de voir cette homme que vous ne connaissez pas vous observer avec ce regard proche de la dévotion, soucieux du moindre mouvement de votre part, laissant transparaître ce lien que vous retrouvez instinctivement, même si à premier abord vous n'osez bouger sans réellement savoir qui il est et quelle serait sa réaction... C'est une sensation plutôt étrange que de ressentir la familiarité, mais de ne pas pouvoir mettre la main sur le détail qui arrangerait tout, qui expliquerait qui il est pour vous et ce que vous êtes ensemble. Cette sensation d'inconnue est accentuée encore un peu plus lorsque je viens à me tenir devant le miroir de la petite salle de bain que j'ai dans ma chambre; c'est incroyable à quel point un simple reflet peut faire naître tant de question. Je me tiens debout, appuyée sur le lavabo, je ne fais rien d'autre que plonger mon regard dans ces deux yeux olive. Qui est-elle, cette jeune femme qui retourne mon regard? Quel est son histoire? D'où vient-elle? Me souviendrais-je un jour de son histoire sans pour autant qu'on m'en conte les lignes? La panique s'est depuis longtemps essoufflée, ne restent que les questions et l'inquiétude. Combien de fois n'ai-je pas tiré mes traits, doucement, comme pour tenter de ranimer l'étincelle d'un souvenir. Mais rien. Juste un feu éteint. Je pouvais rester des heures à contempler le fantôme de cette femme que je ne connaissais plus, mais jamais une lueur de reconnaissance ne me vint à l'esprit.