Penser que j'ai rendez-vous avec Daniel Stonem m'amuse. Si on m'avait dit que seize ans après, j'allais retrouver ce drôle d'énergumène grâce à des livres que j'ai écrits, je n'y aurais pas cru. Dan et moi, on n'a jamais vraiment été amis. La relation qui nous unissait était bien plus étrange, bien plus particulière. Je ne sais pas pourquoi mais je crois qu'il m'admirait un peu, j'étais son héroïne, son héroïne rien qu'à lui. Et quand il est venu sonner chez moi une semaine auparavant, j'ai réalisé combien cela me manquait. Oui, ça me manque. Sa façon de me regarder, de me voir comme une personne à part, plus juste, plus gentille, plus impressionnante. Cette manière de toujours me placer sur un piédestal. Quand je l'ai trouvé devant ma porte, mon livre à la main, je n'en ai pas cru mes yeux. Il n'a vraiment pas changé. Il a été le seul à déchiffrer cette amertume involontaire qui a fini parfois par filtrer dans mon écriture, si inconsciemment que même moi je ne l'avais pas réalisé. C'est décidément la seule personne que je connaisse avec assez de culot pour aller dire ça à une ancienne camarade de primaire qu'il n'a pas vu depuis plusieurs longues années. Le pire, c'est certainement qu'il m'a défiée de suivre sa thérapie. Il veut me montrer Montsimpa comme je ne l'ai jamais vu puisque je suis trop pessimiste à ses yeux. J'aurais pu refuser mais j'ai toujours été joueuse et puis il a piqué ma curiosité en sous-entendant qu'il pourrait me redonner l'inspiration nécessaire à ce nouveau roman que je ne parvenais pas à commencer. Et comme j'ai désespérément besoin d'inspiration, j'ai accepté. En vérité, c'est surtout une excuse, je suis déjà ravie de le revoir et c'est surtout pour me défaire de l'horrible routine que j'ai aussitôt acquiescer à sa proposition. Rien de plus distrayant que de voir Danny et sa façon de voir les choses. Il a toujours été un peu étrange, un peu trop enthousiasme, et sa façon d'être me manquait, à vrai dire. Seul un tel énergumène me donnerait rendez-vous à l'école primaire, référence à notre passé commun. Il est déjà devant l'école quand j'arrive et accours vers moi avec l'enthousiasme et la gaieté qui le caractérisent. « Te voilà enfin vilaine enfant ! Je commençais à m’impatienter ! Qu’est-ce que tu faisais comme bêtises encore ? » J'éclate de rire pendant qu'il me saute au cou. « Excuse-moi, j'avais un mari à abandonner. » Mari qui n'était d'ailleurs pas ravi que je l'abandonne une des rares fois où il était à la maison. A moins qu'il n'ait été en vérité soulagé et que tout cela ne soit destiné qu'à lui donner une contenance ? « Comment tu vas ? On crève de chaud aujourd'hui, c'est affolant ! » Son débit de paroles n'a pas changé depuis la dernière fois. « Très bien, d'où l'inutilité de cette cure que je vais suivre uniquement pour te faire plaisir et parce que je ne doute pas que tu ferais un merveilleux psychologue. » Bien sur que je mens éhontément, que je ne vais pas très bien, et qu'il le sait aussi bien que moi, mais je ne peux pas m'empêcher de tenter une dernière fois de sauvegarder les apparences. « C'est vrai qu'il fait chaud. » j'ajoute, sans regretter d'être sortie sans veste. « Au fait, tu ne m'as pas dit comment tu allais, toi. »