Ysanne faisait claquer ses doigts contre la table avec une agitation mêlée d'irritation. Porta à ses lèvres une énième gorgée de thé refroidi, vérifia - troisième fois en une minute - son journal d'appels. Puis elle regarda l'heure ; 19:06. Elle attendrait encore quelques minutes avant de partir. Cela faisait déjà plus d'une demi-heure qu'elle se répétait cela, plus d'une demi-heure que ces "quelques minutes" s'accumulaient. Que son dépit grandissait. Mais bientôt, oui, très bientôt, il arriverait. Et, s'il s'avérait que ce ne fût pas le cas, elle s'en irait pour de bon, se promit-elle silencieusement, sans gâcher davantage de son temps.

La jeune femme se rendait bien compte de son ridicule. Elle n'avait jamais rencontré cette homme - pas encore du moins - et, pourtant, elle s'accrochait à leur rendez-vous comme s'il fût d'une importance cruciale. Il y avait tant d'autres personnes sur terre, tant d'autres profils correspondant au sien... Eh oui. Elle avait capitulé, s'était inscrite sur un site de rencontres. Première et dernière fois qu'elle commettait pareille erreur. C'était son second rencard, et on lui avait posé un lapin en beauté. Quant au premier, ça n'avait pas été un franc succès non plus. Elle avait appris à ses dépens que les gens ne se ramenaient pas avec la gueule photoshoppée qu'ils arboraient sur leur photo. Rien que se remémorer cet événement lui donnait la nausée.

Elle s'apprêtait à vider sa tasse et à quitter le café, pressée de rentrer chez elle, de s'étendre sur son lit et de mourir de désespoir - bref, de faire quelque chose de productif. Cependant, quelque chose la retint. Une vision familière, aperçue inconsciemment dans la salle la fit rester. Une tignasse brune, lui semblait-il, était apparue dans son champ de vision avant de disparaître brusquement. Ysanne lorgna autour d'elle, le moins discrètement possible, à la recherche d'une connaissance. Mais le bar était rempli, comme d'habitude.
Elle se faufila entre les tables et finit par reconnaître une jeune femme, interne à l'hôpital. Primrose. « Je t'offre un verre contre un peu de réconfort de ta part ! » lui déclara Yz en guise de bonjour, avec un sourire chaleureux. La psychologue connaissait Primrose seulement depuis peu mais appréciait déjà sa présence, rassurante, comme un soutien, avec qui elle pourrait partager ses insuccès. En plus, elles partageaient toutes deux certains points communs. Du genre, leur quête de l'Amour.

Après une journée de travail bien remplie, quoi de mieux que de se changer les idées ? Pour être honnête, j'étais heureuse de ne pas encore être une résidente, car sinon, j'aurais dû passer toute ma soirée à l'hôpital également et il en était hors de question. Même si j'étais du genre à travailler, et ça tout le monde le sait, j'avais quand même des limites, et aujourd'hui je les avais atteintes. Cependant, je ne voulais pas rentrer chez moi aussi vite. Je me rappelai de Chez Hogan. J'appréciais beaucoup ce bar. De plus, les endroits où il y a le plus de personnes sont toujours les endroits où on a le plus de chances pour faire de nouvelles rencontres... si vous voyez ce que je veux dire ! Même si l'idée de dire que l'on a rencontré son âme soeur dans un bar n'est pas extraordinaire, tant que je le rencontrais, c'était bon pour moi !
Je m'étais assise au comptoir, adressant un signe au barman pour qu'il vienne prendre ma commande. J'enlevai ma veste pour me mettre à l'aise puis regardai autour de moi, à la recherche d'un bel homme qui pourrait s'avérer intéressant. « Je t'offre un verre contre un peu de réconfort de ta part ! » Son apparition illumina ma soirée. Yz ! Bon, puisque tu m'offres un verre, je vais me forcer à t'écouter, lui répondis-je en rigolant. Allez, raconte-moi tout. Ysanne était une jeune femme que j'avais rencontré à l'hôpital et avec qui je m'étais parfaitement entendue. On partageait beaucoup d'idées, surtout concernant notre recherche constante pour l'homme de notre vie. Même si nous n'étions pas dans la même branche en médecine, cela ne nous empêchait pas d'essayer de nous voir quand nous avions un moment de libre ou de déjeuner ensemble dans la caféteria. Aujourd'hui, nous n'en avions pas eu l'occasion – alors, rattrapons le temps perdu.