S'excuser est un acte difficile. Reconnaître ses erreurs, les admettre et les avouer à voix haute. Rien ne relevait ni de la facilité ni de l'immaturité. Et pourtant, c'était cette vie-là qu'aimait Colleen. Mais il fallait avouer que depuis qu'elle était revenue à Montsimpa, elle n'avait plus de travail, et cela devenait donc assez compliqué. Elle ne voyait qu'une solution : se faire réembaucher par son ancien patron. Mais les excuses n'avaient jamais été son fort. Elle n'en avait rarement fait, si ce n'était jamais. Malgré cela, c'est convaincue et résolue qu'elle se dirigea vers le bar dans lequel elle avait si longtemps travaillé avant de se barrer pour changer un peu son quotidien et s'aérer complètement l'esprit. Elle avait réussi, elle était allée de l'avant, et il était temps de désormais retrouver sa vie d'avant. Montsimpa. Barmaid. Libre. C'était tout ce qu'elle voulait garder et elle y tenait. Alors, la démarche assurée sur ces talents, ses courbes misent en avant par un jean noir moulant et un t-shirt blanc, un peu large, col V dont le motif représentait une femme qui criait, rockeuse. Il n'y avait personne au bar à cette heure-là, elle le savait. Elle rentra donc dans l'immense pièce, vide. Une barmaid passait un chiffon sur le comptoir. Cette jeune femme leva les yeux et salua Colleen, qui fit de même. Elles avaient travaillé ensemble un long moment. Elles parlèrent quelques minutes avant que le patron n'arrive dans la pièce. Quand ceci se passa, le silence se fit. Pour la première fois de sa vie, elle se tiendrait à carreau. Elle s'avança de l'homme à la carrure assez importante. Elle lui sourit et lui dit bonjour dans une simplicité qui avait toujours régné dans son comportement. Aussitôt, elle lui demanda s'il était possible de lui parler. Mais cela serait trop facile si elle pouvait lui parler et lui lécher les bottes puisqu'un client entra et sembla attirer l'attention du patron. Il lui fit comprendre qu'elle ne pouvait lui parler maintenant, la vexant en partie. Tant pis, elle ferait tout pour se montrer exemplaire et commença par le regarder avec un grand sourire en lui disant bonjour. Elle s'assit au comptoir, commandant une boisson sans trop parler à la barmaid pour ne pas sembler la déranger alors que le patron était encore là. Le client finit par partir. Les négociations commencèrent alors entre les deux personnes. Mais ils furent arrêtés par de nombreux clients qui rentraient, l'heure de tranquillité était terminée. Parmi eux, une personne qui reconnut Colleen et s'empressa d'aller lui parler, quitte à la déranger dans sa discussion très importante. Cela s'annonçait très mal parti pour récupérer son job. Très très mal.

Nous avions tous pris au moins une fois la fuite. D'une manière ou d'une autre. Nous avions tous voulu éviter un sujet, partir pour éviter une querelle, que ce soit d'une salle ou d'une ville. Colleen avait été la reine pour ça. Ne pas se prendre la tête et donc juste fuir. Mais voilà, toutes les fuites ne peuvent être éternelles, et elle était revenue. Ce retour était difficile, il lui fallait remettre doucement les pieds dans une vie qui lui semblait étonnante. Elle avait dû retrouver un logement, avait recommencé à vivre aussi légèrement qu'avant, revoyant plusieurs personnes qu'elle avait connues, et en venait à tenter de retrouver son travail. Elle tentait de faire les yeux doux à son ancien patron, voulant à tout prix le convaincre. Oui, elle l'avait lâché quelques mois en arrière, mais c'était pour revenir comme avant, pour retrouver ce caractère explosif qu'il lui connaissait. Lui-même lui avait laissé un ultimatum à l'époque pour qu'elle redevienne qui elle était : quelqu'un de sérieux, qui faisait son travail jusqu'au bout et donnait envie aux hommes de rester un peu plus longtemps, il fallait l'avouer. Elle avait des arguments solides et avait enfin l'opportunité de les exprimer. Il y avait eu des obstacles, mais elle commençait déjà à négocier pour retravailler. Il semblait ne pas être totalement contre, malgré quelques réticences. Mais tout ne pouvait pas durer, la pente ne pouvait pas être si aisée à monter. Elle avait tourné la tête un instant et aperçut cet homme familier s'approcher. Oh shit ! Eliott. Cela ne sentait vraiment, mais alors vraiment pas bon. Il venait vers elle, et semblait l'avoir reconnue. Comment fuir cette fois-ci ? C'était impossible. Elle détourna le regard et tenta de se concentrer à nouveau sur le débat qu'elle tenait avec son patron. Il commençait à hocher la tête en signe qu'il était sur le point de céder, quand le prénom de la jeune femme se fit entendre. Elle tourna la tête et le regarda sans le moindre sourire, comme pour lui faire comprendre qu'il dérangeait. Le patron finit cependant par dire "Avant de retrouver ton boulot, apprends à tes amis à ne pas couper les conversations. A moins qu'avec eux aussi tu aies des comptes à régler. On verra dans quelques jours quand j'y aurai réfléchi plus précisément". Oups, il avait visé juste. Elle ne répondit rien. Il se leva et rejoignit son bureau sans lancer un seul regard e arrière tandis que Colleen restait là, soupirant, et se disant que ça semblait bien compromis. Elle connaissait par cœur le patron. Alors, quand elle se leva, ce fut pour regarder Eliott dans les yeux et lui dire d'un ton très méchant "- Non non, c'est le pape, mais j'ai pas mis ma tenue officielle, pardon. Bon sang, mais Eliott, tu t'es senti obligé de me foirer ma discussion avec mon ancien boss ou quoi ! Tu foires Eliott, sérieusement !" Elle se dirigea vers le bar où elle commanda un shoot qu'elle vida en une gorgée. Elle avait été trop méchante envers Eliott, elle le savait, mais c'était probablement pour éviter qu'il ne le soit envers elle à cause de son départ sans nouvelles.

Il y a des pages que l'on aimerait non pas tourner mais carrément arracher, pour ne plus jamais avoir l'opportunité d'y repenser encore. Elle n'était pas partie de Montsimpa pour rien et cette absence lui avait fait un bien fou, un bien nécessaire. Elle avait voulu s'éloigner de Chuck, celui qui avait dégivré son coeur de glace, et Eliott, cet ami qu'elle n'avait aucunement voulu trahir en lui disant ce qu'elle ressentait. Elle n'avait aucunement été une menace pour la relation entre les deux hommes, puisque Chuck était gay, et qu'une soirée n'était aucunement suffisante pour établir des sentiments et une relation durable, surtout pas pour un gay envers une femme. L'inverse était cependant possible. Elle avait craqué et s'en voulait encore, il fallait l'avouer. C'était pour toutes ces raisons qu'elle avait fui sans donner la moindre nouvelle, même à son propre meilleur ami, c'était pour éviter une souffrance et des querelles inutiles. Mais il était là. La page n'était pas arrachée, elle l'avait juste tourné et un vent de mauvaise augure venait de faire un bond en arrière à la mauvaise page. Elle avait donc préféré attaquer, se faisant ainsi une carapace contre les attaques qu'il allait probablement lui prodiguer. Elle avait été injuste, surtout qu'elle avait toujours été différente avec ses amis qu'avec les autres. En tant que son meilleur ami, Eliott avait eu le droit à la Colleen gentille, la Colleen adorable, celle qui se damnerait pour ses proches. Celle qui fuirait pour lui éviter des soucis. Elle se sentait mal, inévitablement. Elle attendait sa réplique, ne pouvant cette fois-ci le fuir. Elle ne le regardait plus, fixée sur ce shoot qu'elle venait de vider et qu'elle paya. Elle finit par lui faire face quand il lui répondit, le regardant dans les yeux. La dernière phrase lui fit l'effet d'une bombe, même si sa fierté fit qu'elle le cacha. Il était son ami le plus proche, et même si elle ne l'avait montré ses derniers mois. Elle avait eu besoin de cette distance. Ses yeux trahissaient probablement sa culpabilité, mais ces mots se firent froid. "- Excuse-moi si j'ai eu besoin d'un peu d'air. C'est pas moi ta femme tu sais, j'ai le droit de me barrer sans te le dire, non ?" Elle rajoutait une couche, pour ne pas le laisser la comprendre, pour ne pas lui donner l'opportunité de savoir combien elle s'en voulait de lui donner des raisons de la trouver aussi misérable que tous les autres pouvaient le penser. Il semblait pourtant vouloir discuter, comme s'il ne lui en voulait pas mais qu'au contraire, comptait la récupérer. Elle aurait à ce moment pu lui dire que ce n'était pas possible, hausser le ton pour ajouter qu'elle ne voulait plus de lui dans sa vie. Non, en fait, elle n'aurait pas pu. Dire un tel mensonge n'était pas concevable. Malgré les mois qu'elle avait passé sans lui, elle voulait le retrouver, retrouver leur amitié. Elle se refusait cependant à lui avouer.

Elle revenait des mois en arrière, elle se retrouvait dans la situation même qu'elle avait fui. Elle avait voulu s'épargner toutes ces choses inutiles, le leur épargner. Ou peut-être avait-elle fui dans le simple espoir de ne pas recevoir en pleine face tout ce qu'elle méritait. Ce que l'on mérite réellement nous revient toujours un jour. Elle le découvrait et regrettait presque d'être revenue. Pour autant, elle se sentait une force qu'elle n'aurait pas eu quelques mois auparavant, une force puisée dans cet air nouveau qu'elle avait pu respirer ailleurs qu'à Montsimpa. Colleen s'était décidé à jouer la méchante pour éviter qu'il ne le soit lui-même. Il n'avait pourtant rien de mauvais en lui, elle ne savait même pas s'il était capable de lui en vouloir. Elle ne lui en aurait probablement pas voulu s'il était parti comme elle l'avait fait. Non, en fait, en réalité, elle ne savait pas comment elle aurait réagi. Puis, après sa dernière remarque, une bombe se déposa lentement entre eux, prête à exploser. En effet, il se mit à parler de Chuck. Il avait deviné. Elle qui le regardait détourna plus que jamais son regard. Elle ne répondit pas tout de suite puis entendit sa deuxième réponse. Elle commanda un nouveau shooter en guise de réponse. Elle le but alors que la serveuse l'avait à peine servi. Puis, comme si requinquée en ce simple shooter, elle le regarda en face, le visage impassible et froid, alors qu'à l'intérieur, elle bouillonnait. "- Bah oui, bien sûr, je suis très très connue pour tomber amoureuse ! Et encore plus à agir selon mes sentiments ! Tu es d'une perspicacité sans limite Eliott !" Elle jouait l'ironie pour nier les affirmations d'Eliott. Elle voudrait pourtant tellement lui avouer la vérité. Elle voudrait tellement pouvoir parler exactement de ce qu'elle avait pu ressentir. Eliott n'était pas celui avec qui elle pouvait le faire, c'était impossible. Il ne comprendrait pas. Elle ne se comprenait elle-même pas. Elle posa son coude sur le bar, se tenant la tête puis passa sa main dans ses cheveux, les remettant derrière elle. Tout son comportement était bizarre, elle ne savait pas comment réagir, il avait trouvé la faille en à peine quelques secondes. "- Et puis merde Eliott, entre nous deux, c'est quand même toi qui devrais avouer tes sentiments pour lui ! Tu t'enfermes dans ton mariage, mais t'es fait pour Chuck, bordel !" Elle avait été très sincère dans cette phrase, et pourtant, elle s'était faite mal, mais elle avait dit ce qui lui semblait le plus réel.

Chuck. Chuck. Encore Chuck. Tout ne tournait plus qu'autour de Chuck. Il fallait avouer qu'il était l'élément perturbateur de leur amitié en un sens. Eliott l'avait compris et avait tenté de comprendre si leur amour commun était la cause du départ de la blonde. Elle avait finalement réussi à dévier la discussion pour qu'il parle de ses sentiments envers l'homme. Elle lui reprocha de ne pas avouer ses sentiments, et cela créa une réaction. Elle fit attention à chaque mot, comme n'importe qui le fait lorsqu'un ami se confie, même s'il le disait plutôt pour lui prouver qu'elle avait tort. Elle laissa le silence répondre à sa place, puisqu'elle mit quelques secondes à comprendre la dernière phrase. Elle finit par murmurer, comme si elle tentait de comprendre sa propre question "- Attends... tu couches avec Chuck ?!" Elle se tourna vers lui pour le regarder, attendant une réponse, mais au lieu de cela, elle l'entendit rire puis continuer à parler. Elle avait vraiment loupé beaucoup de choses, ou alors il le lui avait caché avant qu'elle ne s'enfuit. "- Tu as tout perdu ? Ce serait bête que vous y mettiez un terme... vous êtes faits pour être ensemble, mais aucun de vous deux ne semble prêts à se l'avouer et à tout faire pour que ça marche, que ce soit toi et ta femme ou lui et son côté très grognon et peu affectif..." Un soupir s'échappa alors d'entre ses lèvres. Depuis quelques secondes, elle s'essayait à le convaincre qu'il était fait pour Chuck, et quoi qu'elle disait, cela lui faisait quand même un petit peu bizarre. Vous avez déjà essayé de mettre le seul amour de votre vie avec votre meilleur ami ? Tant mieux pour vous si ce n'est pas le cas. Colleen avait oublié toute la rancœur qu'elle avait tenté d'utiliser pour qu'il ne balance pas la sienne. Elle était néanmoins dans l'attente, elle savait que le pire n'était pas passé, elle savait qu'elle méritait bien des cris.

Les retours à la réalité sont les moments les plus compliqués après une pause. Ils arrivent souvent comme une claque en plein visage, dissipant par ce coup le brouillard qui nous élevaient dans une autre sphère. Il y avait rarement des coussins pour permettre un atterrissage plus doux. Elle ne s'était pas attendue à ce que Eliott arrive à ce moment-là, elle ne s'y était pas préparée et avait trouvé comme unique moyen pour se protéger d'attaquer. Mais finalement, ils n'arrivaient même pas à se disputer. Leur amitié était trop forte. Il existait entre eux un lien indéfectible. Un lien invisible qui faisait que même les mois, peut-être les années n'avaient aucun effet. Elle avait un respect immense pour l'homme qu'il était, mais aussi pour cette manière qu'il avait de la voir, de lui faire confiance. "- Mettre un terme à quelque chose qui ne devrait pas exister, ce n'est pas bête, en effet, mais ça ne définit pas ta relation avec Chuck, mais plutôt ton mariage, et tu le sais pertinemment." Elle marqua un silence, faisant un petit sourire à la barmaid qui leur adressa un regard. Elle se remit alors à parler, cessant d'hésiter. "- Laisse-moi t'aider alors." Elle soupira alors, se disant que c'était probablement maintenant qu'il allait lui en vouloir. Il avait de quoi. Elle lui proposait son aide alors qu'elle n'avait donné aucune nouvelle pendant des mois. Au bout de quelques instants, elle entendit quelques mots qui lui firent un effet fou. Elle ne trouva pas les mots tout de suite. Ensuite, quelque chose de rare se passa. Quelque chose d'assez rare pour être marqué dans un calendrier. Elle se tourna vers Eliott, le regarda droit dans les yeux, d'un regard embué par une émotion qu'elle ne comprenait même pas et posa sa main sur celle de son ami avant de dire "- Tu m'as manqué aussi. Je suis désolée... tellement désolée de n'avoir donné aucune nouvelle, mais j'avais besoin de ce vide." Elle semblait hésitante, elle qui ne l'était jamais. Elle était vraie. Sincère. Et seuls ses véritables amis avaient le droit à cette Colleen-là. Eux seulement.

Sans attache. Colleen plaisait à se définir par ce terme, même s'il ne lui correspond en réalité pas totalement. Il y avait des contre-exemples qui prouvaient que la solitude n'était pas faite pour elle. Eliott était la personne même dont elle ne pouvait réellement se passer, cet ami qu'elle savait toujours présent, cette force qui lui permettait de croire en elle, en sa vie et en ses valeurs. Il ne restait d'ailleurs plus beaucoup de ces dernières. Seule l'amitié restait clé de sa dignité. Le reste, elle s'en était toujours foutu. Toujours. Et probablement pour toujours au fond. Elle se fichait de cette norme qui demandait d'aimer un homme et un seul, cette norme qui vous demandait de vous marier et d'avoir des enfants, cette norme qui avait fait plié Eliott pour qu'il se marie à cette femme qu'il n'aimait pas. Apeurée de souffrir, d'aimer et d'envisager ne serait-ce que dans ses rêves les plus fous trahir son meilleur ami, les mois les avaient séparés. Il lui avait manqué. C'était indéniable, même si le lui avouer lui fit difficile à cause de sa fierté. Elle le regardait dans les yeux, et ce simple regard en disait probablement bien plus que tous les mots qu'elle avait déversés depuis qu'il était entré. Elle était sincère, mais au delà de tout, elle était émue et détestait de le lui faire réaliser. Mais le soulagement, cette émotion si forte qui relâchait tous ses nerfs s'effacèrent tous deux aussi vite qu'ils étaient apparus. Comment fuir cette question qu'il lui posait. Elle secoua cependant aussitôt la tête à ce qu'il affirmait. Elle ne l'avait pas fui, ce n'était pas vrai. C'était Chuck et elle-même qu'elle avait fuis. "- Non, c'est pas ça. C'est pas pour ça que je suis partie. J'avais besoin de faire un point sur ma vie, de sortir de ce quotidien, de m'évader un moment pour revenir en pleine forme. Fuir quelques temps était la seule possibilité, mais c'est moi qui n'ai pas été une bonne amie en me barrant sans rien dire à personne. Je t'ai lâché sans te donner d'explications, sans te dire tout ce que je te dis là. En plus, ça n'a pas l'air forcément très facile pour toi en ce moment, j'me trompe ?" Ils avaient beaucoup plus en commun que cela ne semblait au premier abord. Aucun n'aimait réellement étaler ses soucis, aucun n'aimait montrer ses faiblesses, même si au fond ils étaient chacun la force de l'autre.