Voisine des Becker, Aliénor est alors âgée de quatre ans. ‹‹ Aliénor Becker ? Oh, oui bien-sûr que je connais cette petite, c'est la fille de mes voisins. C'est vraiment une enfant adorable vous savez, elle a toujours le sourire aux lèvres, elle se soucie des autres plus que d'elle-même. Je me rappelle qu'une fois, alors qu'elle jouait dans le jardin et que moi je revenais d'un magasin, elle m'avait aidé à porter quelques courses assez lourdes jusqu'à ma porte, et même si j'avais refusé car elle parait être tellement frêle, elle a insisté de sa voix joyeuse en disant que ça lui faisait plaisir. Ses parents l'ont vraiment bien élevée, en même temps, c'est sont des Becker dont on parle, c'est une famille exemplaire dans le quartier. Aucun vilain secret n'est venu tâcher leur réputation, et croyez-moi, moi et mon amie Donna McGregor, on est toujours au courant de tout à propos de notre voisinage. D'ailleurs, il me semble que Madame et Monsieur Becker ont un fils de neuf ans, ou peut-être huit, Samson il s'appelle je crois.., ma mémoire se fait défaillante avec l'âge. Lui et sa soeur s'entendent vraiment bien, ils passent beaucoup de temps ensemble à ce que j'ai pu voir et sont très complices. Leurs yeux n'arrêtent pas de pétiller et leurs rires de fuser. Ah, les liens fraternels, moi aussi, j'avais un frère vous savez, malheureusement il est décédé au front et je regrette de ne pas avoir été plus proche de lui, de ne pas lui avoir pardonné ses faits. J'espère que l'innocente Aliénor et le jeune Samson ne commettront pas mon erreur en grandissant et seront heureux. ››

Tu es née dans une belle famille, certes aux revenus modestes, mais heureuse. Nommée Aliénor, tu étais ce que tous les parents rêvent d'avoir comme enfant, un bambin aventurier à l'imagination débordante qui court à travers toute la maison sans jamais se fatiguer. Tu avais ce regard pétillant qui brillait de mille et un feux ainsi que ces adorables fossettes qui se creusaient sur tes joues qu'on adorait pincer afin de te taquiner. Tu aimais faire des pâtisseries avec ta mère puis en manger en cachette et aider ton père à laver sa voiture, riant aux éclats quand de l'eau venait te mouiller. Tu étais tout simplement heureuse, jeune, innocente et naïve. Tu avais tes héros, ton père et ton frère ainsi que tes méchants, le voisin grincheux d'en face et le gardien de ta maternelle. Tu prenais exemple sur ta mère et tu te languissais de grandir pour pouvoir lui ressembler, mais voilà... Ta bulle a éclatée et ton monde féerique s'est assombri d'un coup. Il a suffi d'un événement marquant pour que ta façon de voir les choses, change.

Ses deux prunelles enflammées se plantent dans les tiennes. Vert bleuté contre gris argenté. Ce regard ainsi que la cicatrice qui barre totalement la joue de cet homme, dévoilée après que celui-ci ait enlevé sa cagoule, resteront gravés dans ta mémoire à jamais. Il articule chaque syllabe comme si tu es stupide tandis que ta respiration se fait de plus en plus saccadée et difficile. « Putain de gamine ! Tu as compris de quoi je cause ?! Tu ne diras jamais rien à personne ! Sinon, je viendrais te chercher chez toi et je tuerais maman et papa sous tes yeux, puis enfin je te laisserais souffrir de ça tout le restant de ta vie, puisque tu ne les verras plus jamais ! Maintenant sort de la voiture et n'oublies pas, je te retrouverais partout là où que tu iras si jamais tu révèles quelque chose et que tu essayes de fuir.. » Tu ne peux plus respirer, tu as l'impression qu'une pierre est posée sur ta cage thoracique et dans un dernier effort, tu ouvres la portière pour te retrouver enfin libre. À la seconde d'après, tu t'écroules sur le bitume la respiration coupée. Et une crise de panique, une. Qui aurait pu prévoir que cette journée allait se passer comme ça ? Comme tous les matins, ton père avait déposé Sam à l'école puis toi, à la maternelle. Une couette de chaque côté de la tête, un sourire jusqu'aux oreilles plaqué sur le visage, tu ne tenais pas en place et sautillait à chaque pas que tu faisais, chantonnant les paroles du dessin-animé que tu as regardé un peu plutôt dans la matinée tout en mangeant goulûment ton petit-déjeuner. C'était ainsi jusqu'à midi, alors que ton institutrice n'arrivait même pas à te calmer, c'est un bruit assourdissant qui l'a fait à sa place, provoquant la panique de tout le monde, toi y compris. Trois hommes encagoulés venaient d'entrer dans le bâtiment se faisant remarquer par des coups des feux. Tout de suite, on vous a fait assembler toi et les autres enfants dans un coin reculé. La peur au ventre et l'incompréhension qui se lisait facilement sur ton visage, c'est fut ainsi jusqu'à ce que les sirènes des voitures de police se firent entendre. Naïvement, tu as cru que ça sera bientôt la fin, que tu pourras rentrer dans ta chaleureuse maison, retrouver le regard tendre de tes parents et le sourire rassurant de ton frère. Et c'est fut ainsi que ton destin se mît en marche. L'un des hommes t'avais attrapé par les cheveux t'arrachant un cri et quelques larmes qui jaillirent de tes paupières délicates tandis que l'autre t'obligeait à avancer, une arme pointée sur ton crâne. Non, définitivement, personne n'aurait pu prévoir que tu allais devenir un otage dans un attentat et encore moins que les paroles de cet homme allaient t'hanter dans tes songes les plus profondes.

‹‹ Hé, on t'a coupé la langue ou quoi ? ›› ; ‹‹ Tu as vu comment elle est petite ? J'imagine qu'elle doit être stupide et n'a jamais appris à parler, c'est pour ça qu'elle ne dit jamais rien ! ›› ; ‹‹ Tu es sûrement attardée, c'est pour ça que tu n'es pas comme nous. Pff.. ›› … Tu t'enfermes dans ta chambre, ton dos se plaque contre le bois de ta porte, tes petites jambes tremblent sur le coup de l'émotion. Des larmes dégoulinent sur tes joues tandis que tu vas te jeter sur les couvertures pourpres de ton lit. Des sanglots silencieux secouent ton corps d'enfant tandis que tu sers ton coussin contre ta poitrine. Tu ne comprends pas pourquoi les enfants sont si injustes envers toi, pourquoi ils ne veulent pas t'accepter.. En quoi est-ce que tu es différente ? C'est vrai, tu ne parles pas, mais et alors ? Tu n'es pas un monstre pour autant. Ce que tu ne sais pas, c'est que des moqueries comme celles-ci, elles vont te poursuivre toute ta vie et tu vas t'y habituer à force d'entendre des rires ainsi que des surnoms ridicules. Mais pour l'instant, tu pleures toute ta tristesse et ton incompréhension, ne cessant pas de te répéter dans ton esprit que ce n'est pas de ta faute. Non, ce n'est pas de ta faute, tu n'y es pour rien pour rien. Tu ne veux seulement pas que le monsieur à la cicatrice vient faire du mal à papa, maman et Samson. Mais. Soudainement, tu t'arrêtes, comme touchée par la foudre. Tes yeux si particuliers sont embrumés, mais tu ne pleures plus, car au final, ça ne sert à rien de le faire. Ça n'aidera pas les gosses qui t'ont embêté tout à l'heure à comprendre ta peine. Ça ne t'aidera pas à aller mieux non plus. Autant ne plus jamais lâcher des gouttes salées rouler sur tes joues laiteuses, c'est inutile. Totalement inutile et pathétique. Et c'est comme une lumière qui s'est éteinte, aucune douleur morale n'est plus venue tâcher ton esprit. Tu ne pleureras plus, tu n'auras plus mal. Tu t'en fais la promesse tandis qu'un sourire triste se dessine sur tes lèvres. Forcé tout comme les premiers rictus que tu lanceras à ces hommes en blouses blanches. Ils seront remplacés par la suite par des expressions impénétrables. Car tu t'es rendu compte au fil du temps, qu'ils sont comme ces gamins à l'école, ils ne comprennent rien. Ni à toi, ni à ton mutisme, ni à la vie..

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