Le soleil brille, les petits oiseaux chantent, vous auriez pu croire qu’il s’agissait là d’une bonne journée pour moi. Et bien non. Ça ne va pas. Il a beau faire beau, les oiseaux ont beau chanter telles les castafiores des forêts, rien n’y fait, mon humeur en reste mauvaise. La journée s’annonçait mauvaise d’avance, tout me retombait dessus, rien n’allait dans le bon sens. Il y a des jours comme ça, plus que d’autres. Des jours où il arrive plus communément de recevoir tous les petits malheurs de chacun. Vous voyez très bien de quoi je parle. Alors pour changer d’air, c’est moins de le dire, j’ai décidé de sortir. Seul. Mais un ami m’a vite devancé et proposé de me rejoindre au parc. Le parc, ce n’est pas trop l’endroit où j’aime le plus aller. Ce n’est pas désagréable, mais ça a tendance à me faire penser à de mauvaises idées, à de mauvais souvenirs. Ou plutôt à d’inexistants mauvais souvenirs. C’est étrange à dire, je sais. Depuis que je suis tout petit, pas un jour ne passe sans que je ne me demande ce que cela aurait été de vivre en compagnie de ma vraie famille. Mais il n’y a pas de vraie famille. Ma seule famille désormais ne se compose plus que de mon gouvernant. C’est plutôt triste à dire pas vrai ? Quoi qu’il en soit, je suis là, assis sur un banc à regarder des mamans gâteuses pouponner leurs gosses. J’en soupire. Je les plains et les envie à la fois. Toujours pas d’ami à l’horizon. Les minutes passent, longuement, pendant que je m’imagine dans les bras d’une mère fictive, accroché à la balançoire, volant dans les airs et criant de bonheur comme le font presque tous les gamins. Un soupir supplémentaire. Encore une fois, cet ami m’aura planté. Je n’ai plus la patience, c’est décidé je pars. La tranquillité recherchée n’est pas de mise ici. Je me lève, mon sac à bandoulière à l’épaule, et marche d’un pas déterminé loin de cet endroit. Je dois partir loin du parc, vraiment. Loin, très loin d’ici, là où l’air et la sérénité se rencontrent et où tout sentiment d’ordre négatif s’évapore. Une petite clochette résonne dans ma tête. Serait-ce mon cerveau qui pousse l’alerte et m’ordonne d’évacuer ? Non, il s’agit simplement d’un camion de glaces, au loin. Atterrit Shawn, allô la Lune, ici la Terre. Je soupire, hésite à l’idée de me frapper le front à l’aide mon poing puis abandonne cette pensée et reprend ma marche. Comme d’habitude, tu fuis. Pourquoi fuir au lieu de chercher ? Je m'appuie contre un arbre, légèrement éloigné du terrain de jeux de manière à avoir l’esprit calme et posé, dos à cet univers enfantin. Pourquoi fuir et ne pas chercher ? Simplement car aucune piste ne s’ouvre. Certainement car personne n’a essayé de me chercher ? On n’a pas même besoin de me chercher, on connaît déjà mon existence, il y a juste à retourner sur ses pas et visiter l’endroit où on m’a laissé il y a de cela des dizaines d’années. Je n’ai pas déménagé, et personne n’est revenu me voir. On ne veut pas de moi, cela n’est pas nouveau, et je ne vois pas pourquoi l’on changerait subitement d’avis.

J’hésite à poser mon casque sur mes oreilles et prendre l’initiative de m’écarter de ce jardin d’enfants. Mais je ne bouge pas de ma paisible retraite. Si on peut la considérer comme réellement paisible. Je restais planté là, le dos courbé sur le malheureux tronc d’arbre, dos à l’aire de jeux, et laissait mon esprit divaguer, s’envoler vers une autre contrée. Je ne pensais plus à rien, j’étais ailleurs, et il m’était alors devenu impossible d’expliquer ce à quoi mon esprit se rattachait. J’entends de petits pas à mes côtés et fronce doucement les sourcils. Un gosse qui a perdu son ballon, à tous les coups. Pourquoi fallait-il que cela m’arrive à moi ? J’ouvre les yeux et tourne la tête vers l’acolyte qui me salue alors doucement, voire même sur un ton timide. J’ai l’impression de faire une crise cardiaque, que le temps s’arrête et que mon cœur s’effrite comme un mur que l’on assommerait de coups. Un jeune homme, de la même taille que moi, me ressemblant traits pour traits se tenait devant moi. J’avais l’impression de rêver, de cauchemarder, que sais-je. J’aurais voulu héler quelqu’un et lui demander de me pincer, de me gifler, pour que je me réveille, mais bizarrement tout cela n’avait aucunement l’air d’une mascarade. Je restais muet, bouche-bée, et l’observait de haut en bas. « On se connaît ? » lui demandais-je sans pour autant adopter un ton agressif. Tout cela était davantage dit sur un ton neutre. Je l’observais toujours, me rendant compte de ma bêtise. Si l’on se connaissait, je ne réagirais peut-être pas comme ça. Connaître quelqu’un qui te ressemble comme ton reflet dans le miroir, en général, ça ne s’oublie pas. Qu’est-ce que cette bizarrerie ? « Pardon » enchérissais-je. Je m’apprêtais à lui demander ce qu’il désirait de ma part, mais cela me semblait évident. Je voulais exprimer mon incompréhension, mais seul mon visage suffisait. Mon expression faciale était alors traductrice de mes émotions. S’agit-il d’une coïncidence ? Ça ne peut être que cela à mes yeux. « Comment tu t’appelles ? » demandais-je, doucement, ne prenant pas la peine de le vouvoyer. Un sentiment de déjà vu se dégageait, je sentais qu’il n’était pas nécessaire de planter le décor et d’utiliser un masque. Comment utiliser un masque face à une telle situation de toute manière ?