Parce que c’était tellement beau. Je baisse la tête, regardant longuement mes pieds. Il était tard, la nuit avait déjà déposé son voile sombre. Je pouvais déjà imaginer le froncement de ses sourcils, le grincement de ses mâchoires et la colère dans ses yeux. Pardonne-moi, maman. Ne m’en veux pas, ne me gronde pas. Je t’attendais encore, ce soir là, mais tu n’es jamais arrivée. Pourquoi ? S’il te plait, dis-moi pourquoi. Je porte mon regard au loin, essayant d’oublier cette brève idée. Idée, impression douloureuse. Prenant le chemin de la plage, je passe une main sur mon visage. Le vent venait à se faire frais jusqu’à m’en donner de doux frissons. Un sourire se dessine sur mes lèvres, j’appréciais cette sensation. Je voyais certains habitants de Montsimpa s’en aller, me laissant définitivement seul. Je me trompais. Une jeune femme se trouvait au bord de l’eau, l’eau léchant gentiment ses pieds. Je m’approche, lentement et silencieusement. « Prenez garde, princesse. » Mon attention se pose sur nos reflets, découvrant une très belle personne ; Un visage aux traits fins, des boucles blondes joliment dessinées. Je tourne ma tête vers celle-ci, souriant en coin. « Non, je me trompe à nouveau. » Malgré l’absence de lumière, j’essaie de distinguer le moindre détail sur sa peau. Ce n’était pas une princesse. « Vous a-t-on déjà dit que vous ressembliez à une fée ? »

J'ai besoin de souffler. C'est plutôt évident. Lâche, comme toujours, je décide de m'enfuir de la maison, plutôt que d'affronter nos problèmes en face. La vérité, c'est que je ne le supporte pas. Alors je vais marcher sur la plage, comme à mon habitude. Il ne tarde pas à faire nuit et les gens se font de plus en plus rares. L'air se refroidit mais je ne bouge pas. Au contraire, j'ôte mes chaussures, les dépose sur le sable et me rapproche de l'eau. J'ai le malheur d'avoir mis une robe longue, une de ces robes d'été un peu bohèmes, et malgré mes efforts pour la relever, une vague me surprend et la mouille. Peu importe, au fond. Je reste là, seule silhouette indistincte dans l'obscurité. « Prenez garde, princesse. » La voix me fait sursauter. Je me retourne vivement pour voir apparaître un jeune trentenaire, l'air un peu bizarre, avec un visage qui reste en mémoire. Lui semble absorbé dans la contemplation de nos reflets sur l'eau sombre. Enfin il se tourne vers moi et m'offre un grand sourire. « Non, je me trompe à nouveau. » Il me scrute attentivement et je le regarde faire sans comprendre ce qu'il essaye de voir. « Vous a-t-on déjà dit que vous ressembliez à une fée ? » J'éclate de rire. Je ne veux pas le vexer mais c'est plus fort que moi. Non seulement il m'appelle princesse mais maintenant je suis une fée ? C'est à la fois tellement bizarre mais tellement mignon, surtout avec son air si sérieux, que je ne peux pas m'empêcher d'être quelque peu touchée par la comparaison. « Je dois le prendre comme un compliment ? » je lance, amusée par ce grand garçon à l'allure si étrange.

Et c’était pourtant la réalité. Je l‘entends rire. Fort, très fort. Je me mordille la lèvre, presque gêné. Pourquoi me répondre par cela ? C‘était toujours la même chose, éternelle répétition. « Je dois le prendre comme un compliment ? » Je la regarde, je la scrute. Détournant légèrement les yeux, j’affiche une brève grimace. « Qu’en pensez-vous, chère madame ? » Je penche la tête sur le côté. Que pensait-elle ? Cela me semblait comme une évidence. « On dit que les fées sont d’une grande beauté. » Vérité. Un léger sourire, le regard porté sur l’océan. D’une grande beauté, il était vrai. Ou encore, ces êtres pouvaient lancer des sorts et influencer le futur. Allait-elle le faire, cette adorable inconnue ? Je l’avais peut-être dérangée. Je baisse les yeux ; peut-être, peut-être pas. Je m’accroupie, mes doigts caressant la surface de l’eau. Une eau si glacée, si pure. « Un compliment, effectivement. » à nouveau, j’observe mon reflet. J’observais ce petit garçon. Puis, le sien. « Je ne vois que très peu de fées à Montsimpa. Ce quartier tant rempli de sorcières, de sorciers moqueurs. » Je me relève, haussant lâchement les épaules. « Je suis ravi de faire votre connaissance, je suis Jep. »

« Qu’en pensez-vous, chère madame ? » Ce que j'en pense ? Il est de toute évidence étrange, sans doute la personne la plus bizarre que j'aie rencontrée mais étrangement, je crois que je l'aime bien. Il n'est pas comme tout le monde, il ne se fond pas dans la masse. C'est ce qui me fascine tant chez lui. Et aussi cette impression enfantine, celle d'une âme d'enfant coincée dans un corps d'homme. Il penche la tête sur le côté, ce qui n'est pas sans rappeler un chiot un peu perdu et je ne peux m'empêcher de sourire. « On dit que les fées sont d’une grande beauté. » Il a un petit sourire, si bref que je crois l'avoir rêvé et se tourne vers l'océan. « Un compliment, effectivement. » Il baisse les yeux, évite mon regard. « Dans ce cas, je crois que je suis supposée te remercier. » Il se baisse au bord de l'eau. Il s'est perdu dans la contemplation de nos reflets et laisse dériver ses doigts tranquillement sur l'eau. « Elle est froide, n'est-ce pas ? Mais au fond, c'est cet abîme bleu sans début ni fin qui est beau, bien plus beau que tout le reste. » C'est à mon tour de baisser les yeux avec un sourire gêné. Parfois ma vocation d'écrivain me rattrape et je me retrouve à partir dans mes envolées lyriques que la plupart des gens déteste avoir à suivre. « Je ne vois que très peu de fées à Montsimpa. Ce quartier tant rempli de sorcières, de sorciers moqueurs. » Malgré moi, je suis touchée par ses mots prononcés avec tant de candeur et d'innocence. « Vraiment ? Et qu'est-ce qui vous fait croire que j'en suis une ? Vous ne me connaissez pas, comment pouvez-vous dire que je ne suis pas une sorcière moqueuse ? » C'est stupide de chipoter là-dessus, d'autant que je suis plutôt contente qu'il me considère comme une fée. Il se relève en haussant les épaules. « Je suis ravi de faire votre connaissance, je suis Jep. » Je lui adresse un sourire sincère et lui tends la main. « Suzanna-Rose mais Suzanna sera plus apprécié. »

Difficile à croire, et pourtant. « Dans ce cas, je suis supposée te remercier. » Elle me tutoie, je me demande pourquoi. Alors que je me baisse pour frôler l’eau du bout des doigts, j’entends sa voix ; Sa voix qui me semblait si fragile, si mélodieuse. « Elle est froide, n'est-ce pas ? Mais au fond, c'est cet abîme bleu sans début ni fin qui est beau, bien plus beau que tout le reste. » Je tourne la tête, la levant pour observer l’inconnue. « Êtes-vous poète ? » Je la vois qui baisse les yeux, visiblement troublée. « Votre pensée est si belle que vous en êtes gênée. Pourrais-je en savoir davantage ? » Une fée, je me trouvais en compagnie de cette rareté. Une bonne conduite, un minimum de politesse. Malgré moi, je lui avoue que je voyais très peu de son espèce, plus de créatures moqueuses. « Vraiment ? Et qu'est-ce qui vous fait croire que j'en suis une ? Vous ne me connaissez pas, comment pouvez-vous dire que je ne suis pas une sorcière moqueuse ? » M’étais-je trompé sur son sujet ? Mes épaules se haussent, je m’étais déjà relevé. « Est-ce que cela veut dire que j’ai tort ? J’ai pourtant du mal à le croire. » Un air suspect, des doutes. « Mais que dire ? Les apparences sont souvent trompeuses. » Je m’éloigne de la jeune femme, marchant un peu. Elle n’oublie pas de se présenter, je finis par sourire. Suzanna-Rose, tel est son prénom. Elle me tend la main, je n’avais pas l’habitude. Je la fixe, la prenant délicatement puis la serrant. « Enchanté, charmante fée. »

Je lui fais part de mes pensées sur la mer avant même de le réaliser. « Êtes-vous poète ? » Je laisse échapper un petit rire. Moi poète ? Il me croit fée et maintenant poète, il faut croire qu'il se fait beaucoup d'illusions à mon propos. « J'aimerais beaucoup l'être. » C'est vrai, les mots sonnent à mes oreilles comme la plus belle des mélodies. « Votre pensée est si belle que vous en êtes gênée. Pourrais-je en savoir davantage ? » Un immense sourire nait timidement sur mes lèvres. Qui est-il pour parler de la sorte ? Pour se montrer si poli, pour sembler si intéressé, au lieu de simplement me dire d'arrêter de délirer. « C'est vraiment gentil de votre part mais j'en doute vraiment. Simplement, la mer est une des seules choses avec le ciel et le temps a semblé n'avoir pas de commencement ni de fin. Cela lui confère une dimension magique, je trouve. Mais cela n'engage que moi. » Il se relève et me gratifie d'un regard. « Est-ce que cela veut dire que j’ai tort ? J’ai pourtant du mal à le croire. Mais que dire ? Les apparences sont souvent trompeuses. » Je me mords la lèvre, hésite à répondre. S'est-il vraiment trompé ? Certes, je ne suis pas une fée mais je corresponds plutôt bien à la description qu'il en fait. Et il semble tellement y croire que je n'ai aucune envie de le stopper dans son imagination. « Eh bien, il est possible que tu ais raison malgré tout. » Le voilà qui s'éloigne un peu. Malgré moi je lui emboite le pas. Il a piqué ma curiosité, avec ses histoires de fées. Et puis, il change tellement de l'ordinaire, il est tellement plus étrange que la plupart des gens que c'en est agréable. Il prend ma main tendue sans empressement, avec douceur. « Enchanté, charmante fée. » « Le plaisir est pour moi. Mais si je suis une fée, j'aimerais savoir ce que tu es, toi. » Je m'interromps. C'est la deuxième fois que je me surprends à le tutoyer. C'est peut-être parce qu'il a cette façon d'agir comme un enfant, mais aussi à cause de cette proximité que je sens entre nous, entre moi et ce complet inconnu. « Les fées te tutoient habituellement ? Parce que moi, je préfère qu'on se tutoie, si ça ne te gêne pas, ou je vais continuer à m’emmêler les pinceaux et à hésiter entre tu et vous. »