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Elle est assise, là, dans cette lugubre chambre d'hôpital. Le dos de sa main appuyé contre sa tempe, elle dort, bercée par le son des machines. Les infirmières vont et viennent, Joey les remarque mais n'ouvre pas les yeux. Elle se sent bien. C'était incompréhensible pour quiconque connaissait celui qui se trouvait dans ce lit. Pour les Clarke, en somme. Car celui qu'elle couvait du regard était celui qu'ils avaient renversé quelques années plus tôt. Il était plongé dans un coma dont personne ne pensait possible qu'il en ressorte un jour. Peut-être était-ce mieux ainsi. Aucun de ses frères et sœur ne savaient qu’elle venait ici tous les samedi, personne ne le saurait jamais. C’était sa pénitence. Elle restait là, passait une après-midi à le regarder. Ce n’était pas vraiment l’homme qui se trouvait là qu’elle observait, mais plutôt elle, la Joey qui, trois ans plus tôt, l’avait laissé pourrir au bord de la route. Il reflétait ses erreurs, la mettait face à son passé, face à ses terreurs. Elle lui parle parfois. Elle lui dit à quel point elle est désolée, à quel point elle regrette. Parfois, elle pleure, d’autres elle rit. Cette chambre était son enfer. Sa prison. Jusqu’à ce que l’infirmière maigrelette vienne la réveillée en posant une main sur son épaule. « C’est l’heure Mademoiselle Clarke. » Elle lui sourit, Joey lui rend la pareille. Elle se lève et ramasse ses affaires. Vingt heures, les visites sont terminées. Elle pose une dernière fois son regard bleu sur l’homme avant de sortir de la chambre. Exténuée, elle sort des bâtiments les jambes tremblantes. Elle se sent incapable de rejoindre son appartement à pieds, incapable de rester seule ce soir. Elle relève la tête et regarde les immeubles qui se montent devant elle. Un seul attire son regard. Saine d’esprit, elle n’aurait jamais traversé la route pour le rejoindre. N’importe quel autre jour, elle se serait contentée de faire demi-tour. Mais c’était samedi, et elle savait qui, quelques années plus tôt, l’aurait fait sourire à nouveau. Lexie. Ou plutôt Roxane, comme elle se faisait appelé maintenant. Conneries. Elle n’avait pas changé, peut-être juste physiquement, mais elle restait la même. Joey n’avait jamais cru qu’une personne pouvait réellement changé. Pour elle, on restait toujours les mêmes, même si on se persuade du contraire. Lexie n’était pas Roxane, Lexie était Lexie, et accessoirement, elle était sa sœur. Et la seule personne à qui elle avait toujours fait confiance. À qui elle pouvait parler. Alors elle marche, les yeux fixés sur la fenêtre éclairée du troisième étage. Elle arrive devant la porte et sonne une fois, deux fois. C’était sûrement une erreur de venir ici, mais Joey avait besoin de lui dire à quel point elle se voilait la face. Parce que renier le passé était idiot, mais l’évoquer à longueur de journée était peut-être bien pire. Fallait-il encore que Joey le comprenne. Elle attend que sa sœur vienne lui ouvrir, elle veut la voir. Elle entend la clé tourner dans la serrure et la porte s’ouvre sur un homme. Ce n’était pas n’importe quel homme, ce n’était pas n’importe qui. Son cœur fait un bon, son ventre se serre et la boule qu’elle avait dans la gorge depuis qu’elle le connaissait refait surface. « Zade ? » Elle sourit avant de s’arrêter. Son cerveau tournait à 100 km/h. Que faisait-il ici ? Pourquoi était-il chez Roxane ? Pourquoi sa sœur ? Il n’y avait pas mille possibilités. Son sourire disparaît et la joie de le revoir s’évanouit doucement. « Pas la peine de lui dire que je suis passée. » Elle voulait sortir d’ici, ne plus le voir, ne plus sentir son regard sur elle. Elle voulait fuir, comme elle l’avait toujours fait en sa présence.

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Il fixe le plafond de sa chambre alors que les notes résonnent dans toute la pièce. Guitare posée sur le ventre, il gratte sur les cordes et griffonne parfois quelques idées de mélodie sur une feuille. Il ne fait pas attention à Roxane qui passe parfois devant sa chambre pour parler de choses qui ne l'intéresse pas. Elle parle. Elle parle sans arrêt. Puis, d'un coup, c'est le silence qui s'installe dans tout l'appartement. Il tourne le visage vers la porte, et attend de revoir la silhouette provocante de sa colocataire apparaître. Mais hormis une cascade de silence, y a rien. Ni personne. Il se lève, soupire et dépose l'instrument de musique sur le lit. Et c'est d'un pas trainant, d'une démarche maladroite qu'il finit par sortir de sa chambre. Il cherche la présence de Roxane dans l'appartement. C'est vraiment trop calme. Y a aucun bruit. Comme ci la brune désinvolte avait soudainement déserté les lieux. Samedi soir, rendez-vous dans un bar, sans doute. Alors il se laisse tomber sur le canapé, attrape la télécommande, allume la télévision et consulte les programmes. Agacé, sur l'une des chaines, il réalise que l'émission qui commence est celle du jumeau. Et lorsqu'il le voit apparaît à l'écran, il lève les yeux au ciel et commence à ruminer tout seul. Il le regarde déformer la vérité, s'amuser à descendre les célébrités, ruiner leur réputation et à se faire acclamer par un public en folie. C'est la première fois qu'il se pose devant la télévision pour voir cette connerie. Alors il s'dit, que ça ne vaut pas mieux que la télé-réalité. Aucun intérêt. Encore moins lorsqu'on sait que c'est Adam Dickens le présentateur. Le jumeau. L'imposteur. L'étranger. La mauvaise livraison du type de chez Fedex. Pourtant, il s'étonne à regarder l'émission jusqu'au bout. Même s'il n'y trouve aucun amusement. Et, plus tard, les publicités ne tardent pas à s'afficher à l'écran avant que les infos du soir ne prennent le relais. Lui, il prend son carnet à dessin en mains et commence à gribouiller quelques personnages. Comme ça. Juste parce que l'inspiration est présente. Et lorsqu'il entend toquer à la porte, il songe à baisser le volume de la télé et à jouer au mort. Méthode infaillible, il paraît. Mais au deuxième et troisième coups, il s'dit que c'est peut-être important. Genre, les pompiers qui viennent vendre leur calendrier. Après s'être battu avec la clé et la porte, il ouvre celle-ci, prêt à choisir les photos des p'tits chatons ou des p'tits chiens qui seront sur le calendrier. Mais ce qu'il voit. C'est mille fois mieux que les calendriers. Joey. Quatre lettres et il succombe. C'est elle, la première, qui vient briser le silence. Elle prononce son prénom et il réalise soudainement à quel point elle lui avait manqué. Il ne l'avait pas oublié pourtant, mais il s'était habitué à son absence. « Content de voir que tu te souviens de moi. » qu'il rétorque. Les lèvres de la blonde s'étirent dans un sourire radieux. Et bordel qu'elle est belle. Fatiguée. Épuisée. Peut-être triste. Mais tellement belle. Et pendant ce bref instant, il a la connerie de penser que c'est parce qu'elle est heureuse de le revoir. « Pas la peine de lui dire que je suis passée. » Il fronce les sourcils et secoue la tête. Il compte bien le lui dire. Il sait à quel point Roxane serait heureuse de savoir que Joey soit passée pour la voir. Pour la voir, elle. Et pour lui parler. Mais la blonde recule d'un pas. Il réalise qu'elle souhaite sans doute partir. Son premier réflexe est de poser sa main sur son bras. Pour la retenir. Pour la convaincre de rester. Pour qu'elle ne tente pas de s'enfuir à nouveau. « Roxane serait heureuse de savoir que tu es passée, tu sais. » Il parle. Pour combler le silence. Pour la retenir aussi. Il avait été incapable de la retenir une fois. Pas question de la voir s'éclipser une seconde fois. Ses yeux finissent par croiser les siens et presque aussitôt il retire la main posée sur son bras. « Ne pars pas. » Il se trouve idiot de dire ça. Alors, souriant, il ajoute : « Elle devrait bientôt rentrer. Tu veux l'attendre ? » Il ment, mais si ça peut la faire rester, alors tant mieux. Sans lui laisser le temps de répondre il glisse sa main dans la sienne et l'entraine dans l'appartement. « Viens. »

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Elle est bête. Là, plantée devant lui, elle se sent plus bête que jamais. Combien de temps sans avoir posé les yeux sur lui ? Combien de fois l'avait-elle chercher dans la foule, en sachant très bien qu'il n'apparaitrait pas. C'était sa faute à elle, il avait été parfait. Peut-être trop parfait pour elle. Joey ne l'avait jamais mérité, elle l'avait toujours su, au fond. Encore fallait-il savoir le quitter. Ils n'avaient jamais été 'ensemble' à proprement parler, leur relation dépassait toutes les amourettes que connaissaient leurs amis à l'époque. C'était doux et douloureux, un rêve et un cauchemar. Mais elle revenait toujours vers lui. Il la supportait, telle qu'elle était. Telle qu'elle avait toujours été. Il n'avait pas tenté de la changer. Zade Dickens avait accepté les pulls bambis, les lunettes geeks, la coupe 80', et son sourire tordu. Il avait tout accepté. Et elle avait tout foutu en l'air, en une seconde. Il était parti. Elle l'avait fait partir, volontairement. Elle devait l'éloigner, c'était mieux pour lui. Et aujourd'hui, ses yeux bleus ne parvenaient pas à se détacher des siens. Comme si c'était ce qui lui avait le plus manqué, ce regard, ces yeux posés sur elle, la petite Joey, la première en maths planquée au fond de la classe à gribouiller de fausses réponses pour se faire des amis. « Content de voir que tu te souviens de moi. » Elle sourit mais ses sourcils se froncent. Avait-il pensé qu'elle l'avait oublié ? Rayé de son passé ? Classé ? Elle ouvre la bouche, elle voudrait lui crier que oui, elle se souvenait de lui, de tout. Mais rien ne sort. Elle est bête. Elle détourne enfin le regard, une boule dans la gorge. Rien n'avait jamais voulu sortir de cette bouche, rien pour lui, alors qu'il lui avait tout donné. Elle était déjà restée trop longtemps. Lexie n'était visiblement pas là. D'ailleurs, Zade ne devrait pas être là non plus. Ils n'étaient pas censé se revoir, pas ici, pas comme ça. Elle veut déjà partir, loin, le fuir, ou lui permettre de la fuir. Quelques pas la sépare de l'ascenseur, il suffisait que l'aimant qui la maintenait près de lui s'efface, tout simplement. Et comme si il lisait dans ses pensées, sa main saisit son bras pour l'empêcher de fuir. Encore. Ce contact la brûle, bien qu'elle ne puisse pas l'expliquer. Elle reste un moment à regarder cette main, et tout ce qu'elle voudrait ce serait la prendre. La garder dans la sienne. Mais elle s'abstient. « Roxane serait heureuse de savoir que tu es passée, tu sais. » Un frisson la parcourt. Roxane. Oui, c'est vrai, elle s'appelait ainsi maintenant. Elle détestait ça. Et elle détestait que Zade se soit pris au jeu stupide de sa soeur. « Sûrement. » Elle ne trouvait rien d'autres à dire. Il lâche son bras, et elle est presque triste. Bête. « Ne pars pas. » Le regard qu'il lui adresse lui achève le coup fatal. Partir, c'était sa spécialité. Il lui avait déjà demandé de rester, mais elle ne l'avait pas écouté. « S'il te plait pas ça... » Son sourire termine de l'achever. Une vague de chaleur l'envahit presque immédiatement. Il lui avait manqué, c'était ça. « Elle devrait bientôt rentrer. Tu veux l'attendre ? » Non elle ne voulait pas. Il devait déjà savoir qu'au moment où sa soeur rentrerait, elle serait déjà loin. Elle voudrait bien lui dire non. Elle lui dit toujours non. Mais c'était trop dur. C'était trop dur de lui dire non maintenant. Alors il allège ses souffrances et lui prend la main, et dieu sait si Joey sait camoufler ses émotions. Elle reste de marbre alors que l'envie lui brûle de serrer ses doigts. « Viens. » Elle hoche la tête, bêtement, et le suit dans l'appartement qu'elle connait déjà. Pourtant, maintenant qu'elle le voit ici, debout dans le salon, tous les détails omis lors de sa première visite chez sa soeur lui paraissent clairs. Là il y avait sa photo, et là le même t-shirt qu'il portait déjà au lycée. Et sur le lit qu'elle apercevait trainait sa guitare. La même qu'il utilisait pour lui chanter des chansons. Des chansons sur eux. Elle ignore le pincement qui lui fait rater un battement de coeur. Elle lâche sa main presque immédiatement, passant maladroitement la sienne dans ses cheveux. « Ca fait longtemps que tu vis avec elle ? » Incapable de choisir entre Lexie et Roxane, elle préfère ne rien utiliser du tout. Elle se promène, regarde par la fenêtre, sourit devant une vieille photo, puis une autre. Elle s'y retrouve même, là, une photo d'eux. « J'avais vraiment une coupe affreuse. » Elle sourit, presque amèrement. Et elle reste plantée devant, ne sentant pas la présence de Zade derrière elle.

Spoiler:

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