J'enfile un short de sport, j'enfile mes pompes de running, j'termine de me griller une clope à la fenêtre de la chambre de Nora. J'essaie d'me faire le plus discret possible parce qu'elle est encore dans les bras de Morphée, ma Nora. On a dormi ensemble cette nuit. J'observe furtivement son regard apaisé. J'me sens voyeur, j'aime pas ça. J'trouve que ça fait psycho de regarder les autres dormir. J'aimerais bien la réveiller, sauter sur le lit et qu'on s'enjaille à écouter un bon son. Mais au lieu d'ça j'ai donné rendez-vous à Saad. Parce que j'ai eu une longue journée hier, parce que j'ai besoin d'me vider la tête. J'crois qu'c'est pour ça que j'me suis retrouvé dans cette chambre, hier soir. J'crois qu'c'était l'une de ces nuits où j'avais besoin de la présence de quelqu'un à côté de moi. Pas d'n'importe qui, mais de sa présence à elle. J'soupire et j'tourne la tête avant d'écraser ma clope. J'me sens vulnérable et j'déteste ça. Ca me donne envie de faire une connerie, ça me donne envie de boire, de fumer, de faire la fête, ça me donne envie d'avaler une pilule, ça me donne envie de m'oublier. M'oublier. J'déglutis et j'serre les dents avant de fermer la porte derrière moi. J'passe par ma chambre et j'fouille dans mes affaires. J'me demande si j'peux encore y trouver quelque chose. J'sais très bien la réponse et c'est ça qui m'inquiète. Tu voulais t'vider la tête Elio, j'me répète. Pas t'l'exploser. J'les regarde ces pilules dans l'creux d'ma paume. Y'a qu'un geste à faire, qu'un simple geste pour aller mieux. Avant j'aurais pas hésité, mais maintenant j'me demande. Est-ce que c'est ça aller mieux ? J'me rends compte que j'suis à la bourre. Putain, j'lâche en marmonnant. Putain. J'les enfile dans ma poche et j'me casse. Pas capable de les laisser derrière moi, mais pas faible au point d'craquer. J'suis bloqué entre ces deux chemins, complètement perdu. J'me demande c'qui serait le mieux. Revenir sur mes pas ou m'engouffrer dans une de ces voies sans en connaître l'issue.  J'cours. On doit s'retrouver à la salle de sport avec Saad. Pas pour faire nos minets au milieu des cinquantenaires botoxées, mais simplement parce que c'est notre point d'rendez-vous. Y'a du matos qu'on emprunte pour faire de la boxe. A la base j'pensais me retrouver dans un espèce de ring clandestin. Une salle sombre à l'odeur âcre de sueur et de sang. Un peu comme dans fight club. J'me marre. Trop jeune trop con, j'me dis. Trop jeune trop con. J'me grille une dernière clope devant la salle, parce que j'suis convaincu que Saad est pas encore là. Il fait beau dehors, y'a un soleil qui m'chauffe la peau, qui m'chauffe le cœur. J'me demande si j'ai vraiment envie d'me battre. Puis j'repense à c'qu'il y a dans ma poche et j'me dis qu'oui. Oui j'en ai envie. Oui j'en ai besoin. J'le vois s'approcher, avec sa démarche calme et posée. J'inspire, je souffle, j'écrase, j'me redresse. J'lui tape la bise et j'm'ébouriffe les cheveux. Y'a la salle qui nous attend. " aujourd'hui j'donne tout ", j'murmure le regard un peu vague. J'sais pas pourquoi, mais j'appréhende. Comme si j'étais surexc mais angoissé à la fois. Comme si je jouais gros. Comme si quelque chose en dépendait. J'sais pas c'qui en dépend, on s'est déjà entraînés plusieurs fois et j'me sentais pas comme ça. J'sais pas c'qui a changé aujourd'hui, j'sais pas c'qui veut changer au fond d'moi. J'sais juste qu'on s'approprie de l'espace et qu'on s'fait face. Y'a mon cœur qui tambourine, j'le regarde et j'souris plus trop. J'suis prêt Saad. J'suis prêt.

C’est un jour comme les autres, je crois. Un autre jour misérable, je passe devant cette fille qui m’héberge, à qui j’ai jamais parlé, j’sais pas trop pourquoi, mais c’est comme ça. Comme si quelque chose me gênait, comme si j’étais pas prêt pour lui parler, alors que ça fait un mois qu’elle me laisse dormir et manger chez elle. Alors qu’elle fait tout pour moi, alors qu’elle prend soin du loup que je suis. Je comprends pas sa gentillesse, mais je l’accepte quand même, comme un bon profiteur, c’est ce que je dois lui paraître être, ou pas, j’sais pas trop. Elle doit bien m’aimer pour me laisser vivre avec elle sans alors que je lui ai jamais dit un mot, même pas un merci. Aujourd’hui, je sors, faut que je prenne l’air, heureusement, Elio m’a appelé. Elio, j’ferais tout mon possible pour ce type, pour l’aider, comme il m’aide. Elio, le pété de thunes, mon contraire. Je cherche mon pantalon de sport, c’est un truc qui tient chaud, mais j’ai que ça, alors j’emmerde cette chaleur, j’fais avec. Je prends le premier t-shirt qui passe dans ma valise que j’ai toujours pas rangée depuis un mois, qui traîne à côté du canapé. J’ai l’impression de prendre de la place dans cette maison, mais elle m’affirme que non. Je la préviens même pas de mon départ, elle entendra sûrement la porte claquer, elle comprendra que le loup sort de sa tanière. Il fait bon dehors, j’étais pas sorti depuis pas mal de temps, je prenais juste l’air assit sur la fenêtre. J’allume une cigarette, j’inspire, la fumée vient m’encrasser les poumons et j’en laisse repartir que très peu. J’avais besoin de ressentir ce goût âpre me pourrir les poumons. J’ai pas fumé depuis une semaine au moins, depuis que je suis pas sorti. J’regarde les passants, y en a qui me connaissent, parce que je suis le pauvre type du coin qui devait dormir dehors, mais j’m’en tape un peu. Je jette la clope au sol, prends pas la peine de l’écraser, quelqu’un le fera à ma place. Je vois Elio devant la salle de sport où on boxe de temps en temps, il est encore avec une clope au bec, pour pas changer. " Aujourd’hui plus que les autres fois ? " Pourtant, je l’ai toujours vu se donner, comme un fauve. J’entre dans la salle, j’regarde qui il y a, puis je me dirige presque machinalement vers le matos de boxe. La boxe, c’est mon moyen de me défouler, d’me sentir revivre à nouveau, quand j’suis trop pris par mes problèmes, quand ma tête me balance de m’tirer encore une fois. Je prends les gants rouges qu’on connait tous, que beaucoup osent pas mettre, moi, j’m’en tape, c’est que des gants, qui servent à frapper, à défouler. J’attends Elio, parce que je sais que je suis le mentor. J’fais de la boxe depuis bien plus longtemps que le gosse, il voulait apprendre, et il se trouve que j’suis calé dans la boxe, j’sais bien enquiller des crochets, retournés, uppercuts, kicks et conneries du genre. " Sac de frappe ou Saad ? " En gros, je lui demande de choisir sur quoi ou qui il veut taper. C’est comme il veut, après tout, c’est lui le petit nouveau. Mais pour un nouveau,  il se démerde bien, il apprend vite, c’est un doué, Elio. Un peu comme moi, on s’ressemble pas mal lui et moi en fait. Deux têtes brûlées, peur de rien, jamais la boule au ventre, avec ce besoin de se défouler pour oublier le bordel que cause notre tête.

J'sais pas trop pourquoi la boxe. J'ai jamais été du style violent, j'ai jamais été du style à utiliser mes poings. Moi ça a toujours été les sports d'équipe, les matchs de foot sur la plage, un petit basket en fin de journée sur le terrain privé des parents. Les seuls moments où j'me suis retrouvé seul, c'était quand j'me jetais à l'Océan. Quand j'prenais mon surf ou que simplement j'partais là, au loin, livré à la simple force de mon corps. Quand j'me donnais à l'eau toute entière, quand j'me donnais aux vagues. Que j'nageais, j'nageais à en perdre mon souffle. J'regarde les gants rouges que j'tiens dans mes mains. Pourquoi la boxe. Parce que j'ai besoin d'me lâcher. Parce que l'Océan me semble loin, parce que j'ai plus envie de jouer au foot. J'veux plus déconner. J'ai l'impression que y'a un truc sérieux dans la boxe. J'ai l'impression d'être face à un miroir. D'me voir. D'me dire voilà, ce gars Elio, c'est toi. Ce mec qui veut paraître confiant mais qui se noie au premier cachet. Y'a un truc qui s'est cassé, y'a un truc qui tourne plus rond. J'aimerais bien comprendre quoi. J'aimerais bien pouvoir accuser un truc, une chose, quelqu'un. Ce serait tellement plus simple de rabattre la faute sur un seul élément. Le saisir, le frapper, l'assommer et l'enterrer. Partis les problèmes, oubliés les soucis. Mais y'a rien qui m'vient. Alors j'hausse les épaules et j'enfile les gants. J'les serre bien fort autour de mes poignets et j'm'étire un instant. Saad c'est mon frère, Saad j'lui fais confiance. Parfois j'me demande c'que c'est la confiance, parfois j'me demande c'que c'est l'amour. J'me demande si c'est normal d'offrir son être à une personne. Puis j'me dis que j'pense trop. J'me dis qu'il faut que j'arrête de psychoter. J'me dis qu'il faudrait peut-être que j'prenne un truc. Un rail, un joint, un verre. J'me dis qu'il faudrait que j'oublie. Que j'm'oublie. Et c'est dans ces moments là qu'j'ai besoin de la boxe. J'relève la tête et j'souris un instant " ouais ", aujourd'hui plus que les autres jours. M'demande pas pourquoi, Saad. J'saurais pas te répondre. J'sais juste que c'est comme ça, j'sais juste qu'aujourd'hui ce pochon pèse lourd dans ma poche. J'l'enlève, mon sweat. Y'a un courant d'air qui s'infiltre sous mon tshirt et j'frissonne un instant. J'sais pas s'il fait froid ou si c'est moi qui flippe. Les deux p't'être. " saad. j'ai envie d'me mettre à l'épreuve " J'veux pas qu'il me ménage. J'sais c'qu'on représente l'un pour l'autre et c'est pour ça qu'j'lui fais confiance. J'me met en position, j'me prépare. Y'a ces secondes qui passent, ces secondes où on s'regarde, on s'jauge comme deux adversaires. Tu seras jamais mon adversaire, Saad. C'est bien c'qui rend la chose difficile. Mais j'me dis que si j'arrive à lui faire face, j'peux faire face à tout. " j'espère que t'as pas trop fait la fête hier soir, parce que j'vais te rétamer ", j'glisse avec un petit air de provoc. Parfois j'me dis qu'on m'arrachera jamais à c'que j'suis. Un p'tit con trop habitué à être servi sur un plateau d'argent. Puis j'me dis qu'non, j'suis plus ce p'tit con. J'suis plus ce mec trop confiant qui s'en foutait de défier la vie. Le problème, c'est que j'sais pas pour autant qui j'suis. J'me cherche et j'hésite. J'hésite partout, tout l'temps. J'hésite même en m'lançant vers Saad. J'hésite quand j'serre les poings et j'hésite quand j'décroche un premier mouvement, sans protéger ma garde.