Alors c’était donc à ça que ça ressemblait, un week-end à la montagne. Se geler les cacahuètes dans un bus qui apparemment ne donne que dans l’air conditionné, s’arrêter pour les pauses pipi de ces mesdemoiselles toutes les vingt minutes, ouais, c’est vraiment le pied. Au moins, on ne pouvait pas dire que les chalets loués par le maire étaient aussi inconfortables. Au contraire, on y trouvait tout le nécessaire. Je ne sais pas vous, j’y aurais bien passé un peu plus de temps que prévu, genre le reste de ma vie. Un saut sur le lit pour vous donner envie de s’y allonger et d’y rester jusqu’à mourir. La plupart des fenêtres donnaient sur la montagne voisine, toute couverte de neige. L’autre donnait sur le petit lac, pas encore gelé à cette période de l’année mais presque. C’était un spectacle auquel je n’avais jamais eu droit. Le soit disant voyage scolaire, cette fameuse classe de neige dont on vous rabâche les oreilles pendant toutes vos années de primaire… Quelle arnaque à côté de ça. Les toilettes ne sont pas communes et les skis sont véritables, pas dignes d’un Kinder Surprise. Et pourtant, malgré tout, je n’avais pas encore mis un pied à l’extérieur : il y faisait bien trop froid. De toute façon, je n’avais aucune idée de la façon dont on chaussait un ski, j’aurais très bien pu l’enfiler à l’envers que je ne m’en serai jamais aperçu. Je préférais de loin traîner dans ce petit chalet, ayant bien plus l’apparence d’un appartement que d’un de ces vieux cabanons dont on vous fait le portrait à la télé. Ramassant un paquet de chips au passage, je pénètre dans le salon/salle à manger. « Juliette ? Hé, mec, on se fait une partie de Call of ? » Comme si j’avais pas pensé à ramener mon jeu. Je le cherche du regard, où cet abruti peut bien se trouver ? Finalement, je l’aperçois près de l’entrée. Je lui lance le paquet de chips que j’ai entre les mains, et ce qu’on peut en tirer, c’est que je ne sais pas très bien viser. Le paquet ricoche sur une petite figurine qui s’écroule au sol en mille morceaux. J’affiche mon plus beau sourire. « Oops. »

Un weekend entre potes, il n'y avait rien de plus cool et Julian avait l'occasion de le vivre avec un de ses meilleurs amis, Snoopy. Ils n'étaient partis que tout les deux et avaient loué une petite résidence, rien de très spacieux et coûteux, ils ne pouvaient de toute façon pas payer quelque chose d'immense, Julian avait peu de moyens et Snoopy n'était pas non plus le mec le plus riche de Montsipa, ainsi ils avaient décidé de faire dans le soft en louant quelque chose de tout de même bien sympathique. Ils avaient même une cheminée. La belle vie pour un weekend. Julian avait amené tout ce dont il avait besoin, soit de la weed, à boire, un snowboard et des vêtements chauds. Lui qui était fan des sports de glisse, il allait être servi et pouvoir se donner à fond en descendant les pistes. Ils avaient passé un trajet assez insupportable, entre les pauses pipis pour les filles et les embouteillages sur la route, ils étaient finalement arrivés à destination pour un weekend qui promettait. Confortablement installé sur le canapé, Julian se leva pour aller récupérer son iPhone dans la poche de sa veste qui se trouvait juste devant l'entrée, il tourna la tête vers son ami en l'entendant l'appeler par ce surnom complètement stupide "Juliette" en sortant son téléphone de la poche de son manteau. Il eut à peine le temps de le sortir que Snoopy balança un paquet de chips dans sa direction, Julian s'apprêta à le rattraper cependant, il n'arriva pas jusqu'à lui et heurta une espèce de petite figurine qui devait appartenir au propriétaire. L'objet tomba en éclats sur le sol et Julian releva les yeux vers Snoopy qui affichait un sourire victorieux. Le brun rit légèrement puis s'approcha de son ami pour lui ébouriffer ses cheveux en disant en prenant une voix aiguë « Oh mais la Snoopette vient de faire sa grosse bêtise du jour hein... et il est content. » Julian lui donna une petite tape derrière le crâne avant de se tourner vers ce qui restait de la figurine sur le sol. « Pas grave elle était moche au pire. Et sinon j'croyais que tu l'avais pris, Call of, car j'ai pas amené le mien mec. »

Oh mon dieu. La figurine était cassée. Brisée, kaput, irréparable. Et si tout le monde était au courant, si c’était la chose la plus chère aux yeux de Mr le propriétaire, quel que soit son nom ? Je suis sûr que cet abruti de Juliette me balancerait pour sauver sa peau. Et moi, je finirai en taule, à croupir avec le clochard du coin et la prostituée du trottoir d’en face. Blasés, ils essaieraient d’abord de me faire la peau jusqu’à ce que je leur raconte la façon formidable et totalement fausse dont je me suis échappé d’un asile psychiatrique quand j’étais gamin. Là, on deviendrait alors les trois meilleurs potes du monde, j’aurais au moins un peu de compagnie pour remplacer cette flippette de Juliette qui ne viendrait même pas me voir lors des visites. A ma sortie, j’appellerai le gros baraqué en renfort et on irait lui régler son compte jusqu’à ce qu’il… Nan mais attendez, on en est pas encore là. Ressaisis-toi, mon pote, rien de tout ça n’est encore arrivé. Ce n’est qu’une figurine, à tous les coups, personne ne découvrira jamais qu’elle a disparu. Et puis après tout, le propriétaire vient-il souvent ici, dans ce même cabanon, faire l’état des lieux ? A tous les coups, ce pourri blindé de fric doit avoir d’autres chats à fouetter. J’expire un grand coup, je me demande souvent pourquoi j’invente toujours un tas d’histoires. Enfin voilà, Juliette attrape comme un manche, il a loupé le paquet, en gros c’est lui le fautif, si jamais on demande. Moi, je suis juste l’aimable petit Snoopy qui a voulu éviter que son meilleur ami crève de faim. « Pas grave elle était moche au pire. Et sinon j'croyais que tu l'avais pris, Call of, car j'ai pas amené le mien mec. » « Pff, on peut vraiment compter que sur soi-même. » Je m’installe dans le canapé – avec toute la grâce dont je suis capable, évidemment ! – et allume la console. Bah ouais, c’pas comme si je l’avais laissé dans mon sac, le pauvre aurait attrapé froid. Pire encore, vous imaginez qu’il se sente délaissé et refuse de se lancer ? Inimaginable. C’est pour ça que j’en prends bien soin. Je tends une manette à Julian, évidemment je prends très grand soin de cet objet précieux, imaginez que cet incapable la loupe comme le paquet de chips et là c’est juste la fin de ma vie telle que je la connais. « Tu veux parier sur ta défaite ? C’est devenu quelque chose de courant, ces derniers temps. » Et hop, prends-ça, Matthews.