Mildred est née au sein d'une famille catholique et pratiquante. Cette communauté dans laquelle elle a passé la majorité de sa jeunesse l'a renfermée sur elle-même. À plusieurs reprises, ayant dérogé aux règles fondamentales, elle a dû confesser ses péchés à un prêtre. De cette période, est parti son isolement, son détachement de la société. ⊰ La jeune femme, qui a toujours été froide, méfiante, distante envers autrui, n'a pas connu énormément d'amis, encore moins d'amours. Son indépendance, son impulsivité ont été, à chaque fois, le frein majeur dans ses relations (qui, quand elle en a, sont de très courte durée). Néanmoins, deux personnes réussissent à la connaître différemment : calme, posée, amusante. Sa soeur et son meilleur ami (avec lequel il n'y a aucune ambiguëté particulière). ⊰ Elle traîne régulièrement dans les bars. Elle ne le fait pas seulement pour fumer, se droguer, sans voir surgir un membre de sa famille. Non. Elle a plus de facilités à aller vers des inconnus. Ensemble, ils engagent la conversation. Mais ils ne se reverront jamais. Mildred a ses moments philosophiques, qui paraissent comme magiques, parce qu'elle pousse une réflexion intéressante. ⊰ Sa culture s'est développée grâce aux voyages qu'elle a effectué. Au lycée, notemment. Mais également aux instants où elle a voulu tout envoyer balader, partir sur les routes. Ce qui lui a permit d'explorer des coins, de connaître de nouvelles choses sur le monde. Gaies, tristes, elle n'a pas eu de préférence. ⊰ Attachée à la nature, l'environnement, la charmante demoiselle n'hésite pas à riposter lorsqu'une personne ternit sa Terre.
(2006, 1st march, London.)«
Sors, Mildred. Sors! » hurla ma mère du haut de l'escalier, la voix ébranlée par les larmes. Je soupirai grossièrement, empoignai mon sac misérable et d'un ton désinvolte, je lui répondis. «
C'est injuste, maman. Voire hypocrite. » Ma phrase eut l'effet escompté. Surprise, affreusement triste et déçue, elle descendit les marches et vint poser sa tête sur mon épaule. «
Certes, ma fille. Mais tu as dépassé les limites, » me confia t-elle, me laissant penaude. Je prenais conscience de la solitude dans laquelle je baignais au moment-même, dans laquelle je m'enfonçais plus profondément encore, à chaque seconde qui passait. En temps normal, j'aurais piqué une colère, crié à qui voulait l'entendre cette dernière, jeté la chaîne où pendait une croix à son bout. Aujourd'hui, je n'en avais guère la force. Malgré les apparences, mon sourire. Personne ne savait plus déceler aisément mes sentiments. Au fil des années, j'avais réussi à les dissimuler, à les cacher aux yeux de tous mais, surtout, de ma famille. Parce que je n'étais pas croyante et que pour me permettre de lésiner sur mes valeurs, j'avais eu besoin de ne montrer que du faux, du mensonge. Jusqu'à maintenant, je ne m'en voulais pas, je ne le regrettais pas. Ce jour-là, tout était différent. Je n'aurais cru possible de devoir quitter le domicile familial à dix-sept ans, dix-sept ans seulement. Je n'aurais pas imaginé une seule minute devoir abandonner le groupe, mes rares amis en somme. Je leur avais fait mes adieux. Montsimpa était, pour mes minces frais, le bout du monde. Je savais que je ne les reverrais pas. Alors qu'ils comptaient pour moi, plus que ma propre vie. Ils me contrôlaient, ils m'empêchaient coûte que coûte de laisser tomber. Ils m'aidaient à remonter la pente, protéger mon frère. Je me sentais perdu. Une étrange sensation me chatouillait l'estomac, me nouait la gorge. Je ne la fis pas disparaître. J'aurais aimé mettre un nom dessus, trouver la réalité des faits. C'était impossible. Je tenais à ma fierté, ma dignité. Ainsi, je quittai la maison, munie de mes quelques affaires. Je ne fis ni embrassades, ni gestes de la main. Je n'en avais que faire, désormais. Il fallait que je tourne la page, que j'apprenne à vivre. Librement. Ne plus être confrontée au prêtre, devoir lui confesser mes péchés, au risque d'être excommuniée et de déshonorer ma famille. Je respirais, comme jamais je ne me l'étais permise. Je commençais à étouffer, dans cette ambiance religieuse. J'étais entourée de religion, sauf avec mes amis. Eux, ils me comprenaient. Ils me soutenaient. Au contraire de mon cadet. Il jouait le frère modèle, face à mes parents, face à moi. Au fond, il me haïssait. Son regard trahissait son émotion, son regard perçant, son regard rempli d'étincelles de colère. Tandis que moi, je l'aimais. Réellement. Je l'aimais jusqu'à présent. Je ne pourrais plus jamais l'aimer, ou je prendrais le risque de me faire du mal. Je ne pourrais plus jamais aimer personne, qui appartenait, en ce premier mars, à mon passé. J'avais fini mon livre, j'avais fini d'écrire mon histoire. Il me fallait la vivre. Pleinement.
(2011, 16th october, Montsimpa.)«
Un café, s'il vous plaît, » demandai-je au serveur qui me faisait face. Attablée à la terrasse d'un bar, je regardais les habitants passer, le regard dans le vide. Je m'ennuyais. Mes collègues n'avaient pas pu se libérer, notre patron devenait de plus en plus oppressant. J'étais la seule à me rebeller, à oser sortir de ses griffes, au risque de perdre mon emploi. Mais je savais qu'il ne me licencierait pas. J'étais un des meilleurs éléments à l'hôtel. Ça avait beau être prétentieux, il n'empêche que c'était la vérité. Ainsi, je me retrouvais seule, à boire par petites gorgées le café que l'employé venait de me servir. Du moins, je n'étais seule que matériellement. Intérieurement, il y avait quelqu'un. Oui, une personne m'obsédait les pensées depuis une vingtaine de minutes. Elle avait une chevelure brune, une chevelure soyeuse. Ses yeux reflétaient sa douceur, sa placidité, sa tolérance, l'amitié qu'elle avait à donner. Ses mains s'agitaient sur un calepin, des mains fragiles, des mains de dames. C'était une vraie. Pas moi. Alors lentement, je me levai de ma chaise métallique inconfortable et je m'approchai, jusqu'à ce qu'elle détecte mon ombre. Son regard se posa sur moi. Troublée par la vivacité de ce dernier, je détournai le mien. «
Puis-je? » l'interrogeai-je en soulevant la chaise devant elle. Je me retrouvais comme une imbécile, à ne savoir que dire, à trouver, pour lui parler, le prétexte de prendre une chaise pour installer un ami. Seulement, son rire cristallin me rappela à l'ordre. Elle m'avait observée. Elle avait su que je n'avais aucun camarade. «
Pour étaler vos jambes, comme un garçon, peut-être? Prenez donc, » me dit-elle d'une voix enfantine. Son approbation ne me fit pas reculer. Au lieu de quoi, je m'assis. Je m'invitai à sa table. Surprise, quoiqu'un peu décontenancée, elle chercha ses mots. Je la coupai dans ses réflexions, en lançant un sujet de conversation. «
Vous écrivez? » Ses joues se rosirent, elle cacha son carnet. Je la mis en confiance, me présentai. Par mon nom de famile, un vieux réflexe. Tout le monde m'appelait par mon patronyme. Même s'il n'était ni original, ni joli. Castellan, un grand classique. Elle me sourit et nous nous dévisageâmes longuement. Elle brisa finalement le silence. «
En effet. Reagan, enchantée, » me répondit-elle en me tendant une poignée de main, que je m'empressai de saisir. Attisée par la curiosité, presque l'indiscrétion, je continuai. «
Et vous écrivez quoi, Reagan? » La jeune femme ressortit ses notes de sous sa veste, me les donna. J'y posai les yeux quelques secondes, les relevant dans la foulée. «
La Rancoeur. C'est un titre intéressant. Il y aurait matière à débattre. Mais de quoi parle ce..? » Je n'eus pas le temps de finir de poser ma question, que mon téléphone vibra dans ma poche. «
Excusez-moi, je suis désolée, » bégayai-je avant de décrocher. J'achevai rapidement la conversation. C'était mon patron. Je devais y retourner, un client espagnol attendait au comptoir et aucun de mes collègues n'arrivait à le comprendre. Confuse, je fis mes au revoir à Reagan, lui tendant à mon tour une poignée de main. Je laissai un billet rose sur la table que j'avais déserté, avant de tourner les talons.
(2011, 31th december, Montsimpa.)Les volutes de fumée remplissent la pièce, à la même vitesse que la musique qui défile. Je tire sur ma cigarette, l'air désinvolte. Je sens mon regard fixé le vide, morne. Je le sens scruter les moindres détails. J'ai envie de m'enfuir, de fuir. Fuir cette existence que je me suis construite, au lendemain de mon exclusion de ma famille. Fuir cette existence que j'aurais renié, si ma conscience ne m'avait pas abandonnée, ne m'avait pas laissée penaude. Fuir cette vie de merde qui m'entoure. Lentement, ma tête se relève, je me tiens droite. Mes yeux se posent sur une veste en cuir, une veste noire. Je tousse, m'étouffe. Sur un rythme lent, il s'approche. Je guette sa main qui cherche sa poche. À quelques mètres de ma maigre personne, il me tend un paquet. Je découvre mes ongles rongés, le sang qui s'en écoule et j'approche mon nez, je sens ce qu'il vient de m'emmener. Je m'en mets sur le bout d'un doigt, que je porte immédiatement à ma bouche. Il me sourit. Je lui rends ses affaires, lui demande de repartir, sans ciller. J'attends. Ce n'est pas assez fort. J'attends. Enfin, je commence à en ressentir les effets. Ma tête me tourne, la migraine me guette. Je me sens pâle, j'ai des nausées. Mon estomac se noud. Mes paupières se ferment. À quelques heures de la nouvelle année, au lieu de danser, mon corps s'affaisse sur le fauteuil. Je sais que le voyage, cette sensation de plaisir ne dure pas. J'en profite. Je m'enveloppe en son sein. Mais déjà, je reprends contenance. Ce n'est pas assez fort. Des frissons parcourent mes membres, j'ai froid, j'ai chaud. Je me relève difficilement, m'avance en direction du comptoir. Je n'ai pas le temps de m'y installer qu'un type m'aborde. Je ne le dévisage pas. Pourtant, je le sens poser ses yeux sur moi. Il doit avoir envie de fuir, aussi. Pas pour les mêmes raisons, mais fuir. Fuir cette fille qui ne daigne même pas lui porter une attention particulière. Fuir cette fille qui vient de se droguer. Fuir cette fille avant qu'il ne se mette à l'aimer contre son gré. Fuir cette fille avant de s'attacher. Il ne fait rien de tout ça, il soutient son regard. Je me sens mal à l'aise, j'ai envie de le chasser. Mais un trouble me surprend, je recule d'un pas. Je manque de tomber. Alors, à cet instant, je sens son bras se resserrer contre moi, me rattraper avant la chute. Je sens son souffle parcourir ma peau. Je sens sa main caresser mon visage. Je ferme les yeux et je souris. Ce n'est pas un sourire hypocrite. Il y a longtemps que je n'ai pas été sincère. Il me rend mon sourire, s'approche de mes lèvres, jusqu'à les presser contre les siennes. Je ne comprends pas ce qu'il se passe. Mais j'ai la sensation de revivre. De vivre comme avant mon déménagement, comme avant mes dix-sept ans. J'ai l'impression d'avancer sur un chemin merveilleux, comme quand je fais une descente. Il se redresse, me remet debout et me relâche. Il s'en va. Il me laisse dans cet endroit que je n'aime pas. Ni je n'ai son nom, ni je n'ai son numéro. Je suis pétrifiée, bouleversée. Je ne sais plus ce qu'il faut que je fasse, comment il faut que j'agisse. Je m'asseois au comptoir, passe une commande. Ainsi, je me laisse bercer par la boisson qui coule délicieusement dans mes veines. J'oublis. J'oublis tout.
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