Finalement, j'avais décidé de venir. La question m'avait tracassé pendant des jours, y aller, ne pas y aller, avec qui, que porter... C'était insupportable. J'avais décidé que je portais bien trop d'importance à cette soirée, qu'il était peut-être mieux que je n'y aille pas. Après tout, j'étais certaine que l'appart ne m'en voudrait pas de passer une autre soirée seule avec lui. Le plan était donc que je me fasse très probablement une soirée télé, que je passe ma soirée au téléphone avec une amie, ou bien Trisou s'il n'était pas trop occupé, peut-être que je passe en revue quelques dossiers d'élèves que j'étais censée recevoir plus tard dans la semaine. Une soirée comme une autre, finalement. Tout avait pourtant bien commencé. Après la journée de boulot, j'étais rentrée à la maison, vide bien évidemment. J'avais zappé sur un programme sans le moindre intérêt, j'avais été aussi chercher un soda et un fruit pour l'accompagnement. Et puis voilà que j'avais décidé de tout bouleverser. Trouvant ma vie coincée dans une routine trop étouffante, j'avais éteint la télé, ranger mes dossiers. J'avais enfilé une robe digne de ce nom et puis finalement, j'avais conduit jusqu'au gymnase. C'est vrai que, décoré pour l'occasion, il avait une toute autre allure. Tout le monde était si chic, si parfait, j'avais l'impression de faire pâle figure à côté. Je cherchais du regard quelques têtes connus, et je croisais d'ailleurs un professeur avec qui je n'avais absolument pas la moindre envie de discuter, un autre accompagné de sa femme. Après avoir passé la file d'attente, je restais un instant près de l'entrée, à regarder les décorations. Tout était si joli. Et moi, dans tout ça, je n'avais absolument rien à faire ici. Je voulais reparir d'ici, enfiler un pyjama et passer la soirée à manger n'importe quoi. Peut-être même pleurer parce que le héros ne finit pas avec l'amour de sa vie, ou bien parce qu'il meurt. Oui, tout me semblait à peu près plus intéressant que passer le reste de la soirée ici. Enfin, avant de repartir, je fais un petit détour vers le buffet franchement bien garni. Je croque un canapé à moitié, attrape une coupe de champagne de ma main libre. Après tout, ça ne peut pas faire de mal. J'ai juste le temps de me retourner quand on me bouscule et éviter la catastrophe. Du champagne sur une si jolie robe, vous imaginez ? Même plus la peine de compter à la remettre un jour. Je me retourne brusquement, fronce les sourcils quand je devine la personne qui se cache derrière cette chemise. « Ce serait trop te demander de faire plus attention ? »

Blablabla. Dieu qu'Achille s'ennuyait. Il aurait du suivre son plan de départ et passer la soirée avec Luke devant un bon match, au moins avec lui, il n'avait pas besoin de supporter des monologues inintéressants au possible. Mais non il avait eu un moment de faiblesse et avait cédé à la pression sociale. Assister au bal, bien coincé dans un costume offert par une de ses « connaissances », et subir la compagnie d'une grande blonde aussi superbe qu'ignare. Il l'avait rencontré dans un bar, et elle lui avait proposé d'assister à cette réunion de plantes vertes. Le jeune homme n'avait pas vraiment l'habitude de se mêler à ce genre de cérémonie, ainsi il choisit l'endroit de la pièce où il se sentirait le plus à l'aise : le buffet. Quitte à mourir, il préférait que ca soit d'une  cirrhose plutôt que d'ennui. Entre deux bâillements l'étudiant en droit reculait inexorablement. Involontairement. Son inconscient faisait surement tout pour l'eloigner de la raison de son désespoir. Un pas puis deux. Et c'est le contact. Son dos rentra en contact avec quelque-chose -quelqu'un ?-, mais il n'y accorda pas plus d'importance que ça. Tant que « ca » ne se mettait pas à hurler, il n'y avait pas de problème non ? Sauf que « ca » parlait, et que « ca » était en réalité MJ.

Une sorte de décharge électrique arpenta ses membres. Pas la décharge agréable, plutôt celle qui vous paralyse d'effroi. Un râle de mécontentement sortit d'entre ses lèvres ; lèvres qui se tordaient d'ailleurs en une mimique d'agacement. « Va nous chercher à boire. » La blonde tendait sa main vers l'une des coupes présentes sur le buffet. « Non, j'ai envie d'une bière. Celles de chez Hogan sont excellentes. » Sourire satisfait, elle tourne les talons. Hum, une place venait de se libérer dans son répertoire. Ses billes foncées vrillèrent sur la silhouette de MJ, tandis que son corps n'en finissait plus de se tendre. Il y a des personnes comme ça qui provoquent en vous des réactions qu'elles seules arrivent à entrainer. Autant dire qu'il ne s'en voulait pas un instant d'avoir bousculé la demoiselle. Ou plutôt si, il s'en voulait de ne pas l'avoir fait sciemment, et pas plus violemment. Son visage laissa perler un sourire en coin, tandis qu'il glissa dans un ton doucereux : « Attention à ton champagne, il doit valoir à peu près le même prix que ta robe. » Sans la quitter du regard, le garnement attrapa un amuse-gueule qu'il entama. Finalement cette soirée se révélait plus amusante que prévue. Faisant mine de chercher autour d'elle, il reprit : « Tu es venue.. seule ? » Simulant un air étonné mal interprété, Achille était au contraire assez surprit de la voir en ce lieu. Il avait cru comprendre que ce n'était pas vraiment dans ses habitudes. « Si tu avais envie de me voir il suffisait de m'appeler tu sais. Je m'en veux que tu ai fait tout ce chemin rien que pour moi. » Il haussa les épaules nonchalamment pour accompagner ses paroles, sans se départir de son arrogance qui lui servait de deuxième peau.

Achille. Evidemment. Quand la journée est déjà gâchée, y'a pas de raison que ça s'améliore, pas vrai ? Je soupire, je ne vois plus de moyen d'éviter la catastrophe, maintenant. Espérons qu'il ait mieux à faire que de passer la soirée avec moi. De toute façon, je ne compte pas rester. Reagan n'a pas l'air de vouloir venir, je ne vois pas l'intérêt de passer la soirée seule à l'attendre. Et puis Achille a l'air en bonne compagnie. D'ailleurs, je ne suis même pas étonnée de la façon dont il traite sa cavalière. C'était certainement l'une des raisons pour laquelle je ne pouvais pas supporter sa présence : sa personnalité imbuvable, ses multiples partenaires, sa provocation sans fin. L'inverse m'aurait étonné, de toute façon, je ne vois pas quelle autre raison justifie sa présence ici. En même temps, moins j'en sais, mieux je me porte. Je prie pour que cette blonde écervelée vienne me sortir de ce pétrin, et pourtant tout ce qu'elle réussit à faire c'est me sourire un sourire aussi faux que ses cheveux et de tourner les talons. Je sens le regard du jeune homme sur ma silhouette, je parie qu'il est on ne peut plus heureux de notre rencontre. Sans même chercher à s'excuser pour m'avoir bousculée (tu parles, il doit être tellement fier), il préfère au contraire chercher la confrontation. C'est épuisant. « Attention à ton champagne, il doit valoir à peu près le même prix que ta robe. » Je souris simplement pour faire passer la pilule, je préfère ne pas répondre. J'ai pourtant bien envie de lui rétorquer que c'est ce qui arrive quand on travaille, qu'on peut se permettre certaines libertés qui nous paraissaient encore un songe lorsqu'on était étudiant. De toute façon, j'ai la vague impression qu'il ne doit pas faire grand chose de ses journées. « Tu es venue.. seule ? » Apparemment, c'était peut-être trop demander qu'on en reste là, qu'il retourne à sa petite-amie, cavalière, partenaire ou peu importe, et qu'il me laisse enfin tranquille. « Non. » Ma réponse est automatique, presque sans appel, mais je me rends rapidement compte qu'elle est loin d'être crédible. Je n'ai personne à mes côtés, je ne sais pas vraiment si ça risque de changer. Mais répondre l'inverse me rendrait la vie impossible, alors c'était préférable comme ça. « Je dois rejoindre quelqu'un. » Je sens ma voix s'adoucir, mes membres se décrisper. Bon, ce n'est toujours pas un séjour au club Med, mais c'est déjà ça. Et puis finalement, ce n'est pas tellement un mensonge. C'est même au contraire tout ce qu'il y a de plus vrai, si la personne en question décide de se pointer. Je lève les yeux au ciel à sa dernière remarque, quand finalement une question s'impose à moi. « Et toi, qu'est-ce que tu fais ici ? Tu m'as pas l'air d'être du genre à traîner dans des soirées comme celles-ci. »