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Une barrière, un portail. Un perron, puis la porte. Chez moi ? Je ne sais pas, pas vraiment. Pour un temps seulement. Existe-t-il réellement un "chez moi" pour moi ? Je n'ose même pas poser mon grand sac pour seul bagage. A l'intérieur, il y a absolument tout ce que je possède. Des vêtements, un cahier, un stylo, un livre aussi et puis quelques photos. De qui, de quoi ? En tout cas, pas de celle qu'on appelle "maman". Il y a celle que je glisse sous mon oreiller à chaque fois qu'on me place dans un nouveau foyer. Au centre, ma sœur, et moi. On sourit sans vraiment connaître le bonheur, pour nous, tout ce qui importait, c'était d'être ensemble. Je ne sais plus où nous nous trouvions ce soir-là, mais à l'évidence, c'était loin d'être ce qu'il y avait de meilleur pour nous. La photo est vieillie, pliée, déchirée à certains endroits, mais c'est ce qui fait son charme, c'est ce qui la rend si parfaite. Et au fond, elle est comme nous ; détruite, irrécupérable. Je ne retiens pas grand chose de toutes ces années si ce n'est que l'inconnu ne peut pas faire plus peur que ce qu'on connait déjà. Et moi, qu'est-ce que je connais ? Je sais que je n'ai pas été assez bien pour vingt-et-une famille, qui elles n'ont plus n'étaient pas faites pour moi. Elles se ressemblent toutes, au fond. Il y a celles qui vous accueillent pour le chèque qui tombe à la fin du mois, celles pour qui vous n'êtes que la nounou, celles qui vous ignorent, celles qui parfois déraillent. Celles déjà bien assez détruites pour se soucier de vous. Je m'assois sur le lit dans la toute petite pièce qui me servira de chambre et pourtant, je ne ressens pas la moindre once de chaleur. Non, ce n'est définitivement pas chez moi. Où sont les miens ? Où est ma mère, celle dont on a plus jamais entendu parler après qu'elle se soit tirée pour mes cinq ans ? Où est ma soeur, celle à qui l'on a promis la lune mais qu'on est pas capable de placer avec son frère ? Et où sont les autres, bordel ? C'est bien ça le problème, il n'y a personne. Il n'y a que toi avec ta putain de conscience ce soir, Neven.

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2.

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Tu sais, j'y reviens souvent. Je m’assois sur le béton dans la nuit froide et j'attends. Je ne regarde même pas ce qu'il y a autour de moi, je connais déjà tout ça par coeur. Je suis ce taré étendu de tout son long sur la route comme s'il était sur un carré d'herbe. Je suis le prisonnier rongé par les remords dans le couloir de la mort, je suis l'homme incapable d'avouer qu'il a fauté. Depuis le jour où j'ai retourné la voiture, depuis le jour où je t'ai secoué quand tu te ne réveillais pas, depuis le jour où une partie de nous est restée sur cette route, je reviens. Je reste au beau milieu de la chaussée jusqu'à ce qu'une voiture approche. Je reste là, à affronter la mort en face jusqu'à ce qu'elle me hurle de dégager. C'est pas pour me rappeler, tu sais, parce que je me souviens de tout. J'y reviens pour toi, pour nous. J'espère y retrouver les morceaux de nous sur le bas-côté de la route mais je ne récolte que du vide. Je reviens plutôt pour être sûr de rien oublier. Quant au reste, quant à ces phares éblouissants, quant à toi dans une marée de sang et quant à moi qui bousille tout, je reviens pour tout ça. Et ça fonctionne, tu sais ? Toutes les nuits sans exception, à l'instant même où je ferme les yeux, la scène se repasse en boucle dans les moindres détails : il y a d'abord nous en train de danser à ce foutu bal et puis il y a toi, dans la voiture, dans ta si jolie robe, à me reprocher tous les malheurs du monde. Ca commence comme ça. « Neven, regarde la route s’il te plaît. » On est jeune et complètement inconscient, peut-être un peu à côté de la plaque à cause de tout cet alcool. Je lève les yeux au ciel, c'est fou comme elle a toujours cette tendance à respecter les règles. A être dans la limite. Pas trop grosse, mais pas trop maigre. Pas trop belle, pas moche non plus. Pas trop intelligente, mais pas quiche. Pas trop coincée, mais loin d'être dévergondée. Et même si d'habitude c'est certainement la chose la plus adorable, aujourd'hui c'est la plus détestable. J'en peux plus d'être dans la norme. La gentille petite fille née dans une famille croyante, très croyante elle-même, ne ferait rien pour aller à l'encontre de ce fameux mec en qui elle a une confiance aveugle. Mais quand est-ce qu'elle comprendra, putain ? Que celui vers lequel elle lève le regard chaque soir n'est qu'un putain de fantasme, un simple réconfort dans les situations les plus difficiles ? « Tais-toi. » Aujourd'hui, je ne suis pas d'humeur à jouer au mec parfait, je n'ai pas le temps pour les civilités. Pas quand elle m'annonce qu'elle se tire à des milliers de kilomètres. Pas quand elle fout tous nos projets en l'air. Pas quand elle s'apprête à me laisser derrière elle. Et puis le long et interminable silence alors qu'à l'intérieur de moi, tout se bouscule, tout s'agite. « Tu peux pas faire ça Marilou. T'as pas le droit de t’barrer comme ça à l’autre bout du pays d'accord ? Parce que, parce que… » Parce que quoi ? Parce qu'on s'est promis la lune, parce qu'on s'est dit oui à la vie à la mort ? Parce que t'es peut-être juste trop conne pour penser que j'ai encore besoin de toi. « Parce que je n’ai pas le droit de penser à moi, c’est ça ? Parce que j’ai la possibilité d’intégrer la plus grande école du pays et que toi, tu devras te contenter de l’endroit où on accueille tous ceux qui n’ont jamais eu de chance ? » Mais non, tout ça, tu ne comprends rien. A la place, tu ne balances que les mots qui font mal, tu ne réfléchis à rien. Et moi, je suis bien trop con pour te contredire, pour rétorquer quoi que ce soit. Parce que tu as raison, tu sais ? C'est bien toi la meilleure de nous deux. « J’y peux rien Neven. C’est pas d’ma faute si tes parents n’ont pas voulu de vous d’accord ? Et ce n’est pas… » Qu'elle la ferme, putain. Elle était où pendant tout ce temps, hein ? Pendant qu'on crevait de faim, le cul quelque part entre deux foyers ? Elle était où quand on repartait avec nos valises pas encore défaites sans savoir où l'on passerait la nuit ? Justement, elle n'était pas là. Elle était pourrie gâtée dans une foutue maison avec une chambre bien à elle et de la bouffe tous les soirs dans son assiette avec son Dieu pour seule compagnie. « Tu sais pas ce que j’ai vécu, alors écrase. Tu crois que tu vaux mieux avec ton connard de Dieu Lou ? Tu passes ton temps à bouffer et prier pour un gars qui n'existe peut-être même pas ? Si t’es prise là-bas, tu ne le dois qu'à tes parents plein de fric. » Je sais que c'est pas elle. Je sais qu'elle n'aurait pas fait de demandes sans m'en parler, mais qu'est-ce que j'y peux ? « Je te déteste. » Et quand on a plus d'horreurs à s'en balancer, on creuse encore, on tombe encore plus bas. On se déteste pour mieux s'aimer en suite, c'est pas vrai ? « Tu me détestes ? Moi aussi ! Tu vas te barrer comme ils l’ont tous fait et… » J'ai la tête rivée sur elle, je ne vois pas la voiture en face arriver. Alors c'est comme ça que l'histoire se finit ? La voiture dans un ravin, toi et moi coincés quelque part entre deux mondes ? Peut-être bien qu'il aurait fallu que l'histoire se termine ainsi. Parce qu'il aurait certainement mieux valu finir comme ça que de voir ce qu'il y a après. D'ailleurs, qu'est-ce qu'il y a après ?

Après, il y a des heures d'attente interminables, des chirurgiens qui s'affolent, quelques points de suture et un bon gros sermon. Et puis il y a deux mois de coma. Pour toi, je veux dire. Pour les connards, il n'y a jamais rien d'autre qu'un peu plus de désespoir. Et si j'ai bien cru que cette dispute serait la dernière, c'était sans compter sur ce qui arriverait ensuite. Peut-être qu'ils avaient tous raison après tout. Peut-être que ça aurait dû se finir dans un ravin. Parce que tu es finalement restée, tu sais ? T'es restée et j'ai voulu que tu restes. Alors si ton Dieu existe, c'est certainement juste la monnaie de notre pièce qu'il nous rend. Pour avoir été aussi cons, pour passer le reste de notre vie à le demeurer.

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Des cris, des larmes, des insultes. Et quand ça ne fait plus mal, encore plus d'insultes. Des objets balancés à la gueule, aussi. Parce qu'on ne va jamais au fond du problème. On ne dit jamais que c'est moi qui t'ai pratiquement tuée, on ne parle ni du passé ni de ce nouveau jeu appelé méchanceté. Remords, regrets, qu'est-ce que ça peut bien faire ? On ne joue plus qu'à se déchirer maintenant.