New York. Tout le monde connait Broadway et ses sublimes théâtres, le Time Square à ne pas manquer pour s'amuser. Une ville populaire et charmante mais également sérieuse avec l'université de Columbia, de New York ou encore Rockfeller, et la célèbre bourse de New York, cette ville siège de l'ONU. Il est facile de comprendre que je suis née à New York. C'était le deux février mille-neuf cent quatre-vingt huit. Je n'en ai aucun souvenir, que ce soit dans mon esprit ou sur cassette. Mon pauvre père avait été tellement traumatisé par l'accouchement qu'il s'était évanoui à ce que l'on m'avait rapporté. Mon père qui était fier et toujours arrogant ne pouvait supporter d'avoir faibli pour "une chose aussi banale", et autant dire que le sujet fut clos rapidement après que l'on m'annonça cette nouvelle, il y a de cela quelques années. Aucune blague donc aucun tort. Cependant, mes parents, l'un comme l'autre, étaient ravis de ma venue. En effet, ils avaient eu du mal à avoir un enfant, et ils désiraient par dessus tout une fille. Et je vins au monde, une jolie blonde aux yeux extrêmement clairs, à la limite du gris. Les vagues souvenirs que je garde de mon enfance, de mes premiers pas en Junior School se cantonnent aux simples rencontres que j'ai pu faire avec de bons amis, perdus de vue à présent, des premières insultes entendus, ainsi que les premiers mensonges stupides qui mériteraient une claque. Que j'étais naïve, et en grandissant, je n'étais pas aidée. Petite, je voulais simplement être acceptée, car refusée à cause d'une surcharge pondérale importante. Je laissais donc mes camarades "jouer" avec moi, et je me pris dans ce cercle où je les pensais être mes amis. Ce que les gosses peuvent êtres cruels ! Mes parents n'étaient jamais intervenus, mais ma mère feignait de pleurer sur mon sort. Puis, elle me mit au régime, et fit en sorte que je perde du poids. Cela fonctionna mais il était trop tard: j'entrais en High School.

Ce que les français appellent lycée a été un véritable défi pour moi. Du rang de grosse et grosse conne, j'étais devenue la fragile blonde qui mincit à vue d'oeil, pouvant bientôt faire concurrence à Kate Moss. Néanmoins, bien que la puberté m'avait gâtée, mes choix vestimentaires étaient affligeants. Je n'avais aucun sens de la mode, et ne m'en souciais pas le moins du monde. À vrai dire, j'avais une telle soif d'apprendre que je prenais plus de temps à préparer mes affaires qu'à me pomponner. Avec le recul, je me dis que je n'ai pas tant souffert que cela, mais je sais que cela n'a pas toujours été rose. Même quand on me proposait d'aller quelque part, je rechignais et avouais que j'avais mieux à faire, et qu'apprendre et me cultiver faisaient partie de mes hobbies. Je n'étais pas seule, seulement solitaire. On ne peut pas dire que j'avais des amis, mais plutôt des copines qui étaient toutes aussi perdues que je l'étais. Puis, arrivée à ma dernière année, j'osai me montrer en public, chanter pour une représentation théâtre et musicale afin d’interpréter un rôle secondaire. Le lendemain, beaucoup de jeunes s'étaient rapprochés de moi, me comptant la beauté de ma voix. Sans plus attendre, j'étais allée voir mes parents, leur dire ce que je voulais faire. Que je pouvais être rêveuse, car désireuse d'être chanteuse. Ma mère avait frôlé la crise cardiaque, et mon père m'avait répondu un "non" catégorique et clair. Pendant plusieurs jours, nous avions bataillé jusqu'à ce qu'ils acceptent, par fatigue, de me laisser tenter ma chance. C'est ainsi qu'après plusieurs castings, je finis par trouver un producteur. Un album rapidement mis en boîte, et j'étais propulsée sur les podiums de New York. J'étais une de ses chanteuses enfants, une adolescente qui chante des chansons d'amour à l'eau-de-rose pour après s'affirmer. J'avais même un nom de scène, Shall. Cependant, comme cela était prévisible, le bonheur engendra le malheur, et les rêves devinrent réalité. À cette époque, je fréquentais un garçon. Pas un homme, une figure de muscles avec la mentalité d'un enfant qui finit par me convaincre de coucher avec lui pour faire comme tout le monde, et résultat, je tombai enceinte. Le public, offusqué, comptant un nombre impressionnant de conservateurs qui voyait en moi la nouvelle vierge, me tourna le dos, tout comme mon producteur. Je finis seule, avec un enfant sur les bras, sans aucun avenir dans la chanson, ni même de petit-ami. Mes parents, fiers d'avoir eu raison, m'avaient fait comprendre que je devais les écouter. Trop faible, accablée et démunie, je les avais accepté bêtement dans ma vie afin qu'ils la contrôlent à leur guise.

L'étape de fin de lycée fut plus facile que je ne l'aurai imaginé. Après le scandale que j'avais fait, j'étais retournée dans l'anonymat le plus total, et je fus heureuse et soulagée de voir que je n'étais pas devenue une star mais seulement une étoile montante qui n'avait pas fait de réelle vague dans la presse. Il y a tellement de chanteuses qu'on oublie vite, même les petites perles. Lorsque j'atteignis la vingtaine, je pris conscience des réalités. Des tristes réalités. Père et mère étaient de véritables marionnettistes qui souhaitaient que je fasse ce qu'ils pensaient être judicieux. Pour la première fois de ma vie, je fis une réelle crise, et malgré notre condition moyenne, je pris mon enfant qu'ils lobotomisaient, et entrepris de me chercher un appartement. Je me souviens encore être restée cinq minutes à contempler le jardin du voisin, là où Kaidan, mon ami d'enfance, habitait. Qu'il était doux, et qu'il m'avait manqué lorsqu'il était parti quelques semaines avant que je n'enregistre mon album. Mon enfant dans les bras, et les larmes roulant doucement sur mes joues, je finis par lever la tête haute et déterminée. Pour le meilleur et pour le pire. Quelques semaines après avoir réussi à emménager comme il se devait, à l'aide de quelques amis, je me sentais enfin libérée d'un poids quelque peu pesant. J'avais décidé de ne garder aucun contact avec mes parents, afin d'éviter de ne déprimer. Certains m'ont demandée comment je faisais pour ne pas détester l'être qui avait gâché un avenir prometteur. Plus je regardais cet enfant, plus la réponse était évidente. Ce petit bout de chair m'avait aidée, et m'avait montrée que je m'étais lancée trop vite dans un métier qui ne me convenait pas, car même ma personnalité trop instable et fragile allait me causer des torts. Il m'avait remise sur le droit chemin, celui des études. En effet, j'avais décidé de rejoindre une école de journalisme afin de percer comme il se doit. L'écriture, la recherche et la connaissance avaient été mes trois meilleures amies depuis ma plus tendre enfance, et le talent que m'avait offert ma voix n'avait été qu'éphémère. D'ailleurs, j'évitais de chanter car je pouvais sentir que ma voix avait changé, tout comme j'avais mûri. Quel malheur ne me frappa pas lorsqu'un incendie se déclara. Je maudis encore cet homme stupide ayant mis le feu dans son appartement, brûlant le reste. Les flammes s'étaient repues de presque tout. J'avais crié, pleuré pour que l'on sauve mon enfant. Il n'avait que cinq ans, il avait la vie devant lui.

Bien que mon enfant ne fut pas sauvé des flammes, mon coeur avait survécu. Jewon, cet homme qui avait sauvé ma vie, m'avait accompagnée dans une démarche pour que je me remette de cet incident. On dit que lorsque l'on est au plus bas, l'unique solution est de remonter, et cette affirmation est vraie. Jewon m'aida à remonter la pente, lui et ses mots qui me rendaient forte, ses sourires qui me redonnaient confiance et ses étreintes qui me faisaient devenir femme. De fil en aiguille, il m'apprit à redonner confiance, et je pus enfin reparler à mes parents qui n'avaient cessé de me harceler pour connaître mon état. Ils n'étaient pas les démons que je pensais qu'ils étaient, mais simplement des parents aux valeurs différentes des miennes qui ne voulaient pas que je me pervertisse. Je renouais enfin avec un esprit de famille comme il se devait, avec des parents qui m'aimaient et se montraient plus tendres que jamais, ainsi qu'un petit-ami qui était surprenant et charmant. Je pus me poser dans ma vie, et prendre enfin une inspiration, faire le point sur ce que je ne devais plus faire et me concentrer sur l'essentiel. Jewon semblait être le parfait amant, mais cette idée éclata comme un verre se fracassant contre le sol. Il changea en une sorte de monstre désagréable et alcoolique. Je le soupçonnais même de me tromper, et plus je me faisais des noeuds à la tête, plus je me sentais mal. À bout de nerf, et au lieu de déprimer dans mon coin comme je l'aurai fait, je changeai moi aussi, et pris les devants. Méchamment et sèchement, j'entamai une véritable dispute qui finit par notre séparation claire et définitive. Celui que j'aimais parti loin de moi, loin de ma vie. Contrairement aux idées reçues, je ne souffrais pas de son absence mais de son changement, me demandant si ce que j'aimais se transformait en cauchemar. La seule absence qui me pesait plus que le souvenir de Jewon était cet enfant que j'aurai voulu voir grandir. Si seulement j'avais été moins stupide, il serait encore à mes côtés, loin de l'incendie, de la présence de Jewon et jamais mes parents n'auraient été loin de moi.

Deux ans passèrent, deux ans durant lesquels je m'acharnais à réussir mes études de journalisme. Ma persévérance paya, et je trouvai finalement un poste de rédactrice en essai pour des articles sur l'environnement ou le cinéma, une de mes passions secrètes. Là où je travaillais, j'appris à gravir une nouvelle marche de l'échelle de la maturité, et pris conscience que l'habit ne fait pas le moine. J'en avais terminé avec les habits de coincée, je pouvais enfin porter des vêtements confortables et colorés, me rendant plus attirante dans tous les sens du terme. On faisait plus attention à moi, on me parlait plus, et on me draguait plus. Le bonheur de voir mes efforts payer dans les domaines que je travaillais me faisait vibrer. Cependant, je ne pouvais me séparer d'une photo de mon bébé et de moi, enfermée dans un cadre lui-même posé sur mon bureau. Seule une mère peut comprendre à quel point il est difficile de perdre un enfant, surtout lorsque des changements se sont opérés avant et après. Le miroir me reflétait l'image d'une femme mure, plus confiante mais toujours douce et tendre, pratiquement jamais autoritaire. Mes rêves n'étaient plus, seule ma détermination me permettait de réaliser mes désirs. Je n'espérais plus trop, et je ne croyais jamais sans méfiance. Et surtout, je ne laissais plus d'homme entrer dans ma vie, et encore moins dans mon lit. J'évitais le plus possible de me laissée charmer par les sirènes de beaux messiers. D'ailleurs, ce fut lorsque j'obtins mon poste que je fis l’expérience de l'homosexualité. Des caresses tendres sur le corps d'une femme, des rires naïfs qui se confondent, et des baisers qui disent tout et rien. La femme que j'étais devenue était incroyablement ouverte d'esprit et aventurière mais en même temps méfiante et sur ses gardes. La prochaine étape nécessitait du changement car je m'ennuyais de plus en plus dans ma routine. Du moins, j'aimais ce que je faisais mais pas là où j'habitais. Cette sensation étrange se renforça lorsque Kaidan reprit contact avec moi via facebook. Il avait lu mes articles de presse et semblait content de me parler. La réciproque était de mise. Rien ne me faisait plus plaisir que de l'écouter décrire l'endroit où il vivait. De plus en plus, l'envie de le rejoindre me prit jusqu'à ce que je décide de proposer un transfert à Montsimpa. Ni une, ni deux, on accepta ma proposition dû à mon assiduité et à ma volonté, mais surtout parce que Montsimpa manquait de journalistes. Les valises à la main, je partis de chez mes parents, que j'avais rejoins après que j'eus quitté Jewon. J'étais prête à reprendre réellement mon destin en main, de vivre cette nouvelle aventure. J'ai vingt-quatre ans, et je suis déterminée à inspirer une nouvelle vie à plein poumons.