Il y a des habitudes qu'on a du mal à oublier. Des gestes parfois d'enfants qui nous poursuivent bien plus loin. Parfois, on regarde ses placards, et on y trouve des aliments qui ne sont là en fait que pour vous rappeler que vous avez été enfant, et que même adulte, vous pouvez garder un peu de cette vie-là. Les céréales de Cléo le matin étaient le parfait exemple. Jamais elle n'avait acheté une autre marque. Elle ne le ferait certainement qu'en cas de danger de mort, ou alors si la marque disparaissait, mais elle ne réussissait même pas à s'imaginer ce cas-là. Ce fut le dernier rayon où elle alla. Il ne lui restait que ce paquet, et elle le prit, sans voir que c'était le dernier. Elle ne se rendait pas compte qu'elle avait pris le dernier, jusqu'à la remarque assez froide du jeune homme. "- Excusez-moi, mais je l'ai pris, au cas où vous ne l'auriez pas remarqué, alors merci de rester respectueux. Vous l'auriez été, je vous l'aurai proposé, mais là, vous rêvez !" On parlait de ses cornflakes, alors il ne s'agissait pas de politesse endormie, mais juste de non appréciation de l'impolitesse et d'envie de garder son paquet encore entre ses mains d'étudiante toute innocente qui se fait agresser par un père de famille qui semble en pleine crise de la quarantaine. Non, non, il ne faut pas me tuer, je vous assure. Elle fit néanmoins un sourire et finit par ajouter, avec une politesse assez difficile à garder "- Au pire, ils doivent en avoir en stock, demandez aux employés !"

Le regret est un sentiment horrible. On lui préfère le remord. Mieux voir avoir fait quelque chose, et s'en mordre les doigts, que de se dire que l'on a pas su saisir une chance qui venait devant nous. Elle avait saisi ce paquet certes, mais le remord était là. Chaque mot prononcé par ce père de famille sonnait comme une attaque envers elle, et elle s'en offensait. Ses traits offusqués le montraient aisément. Il était tellement simple de voir que cet homme abusait de sa situation. Elle ne savait même pas comment réagir, elle en resta donc d'abord muette. Puis, elle se mit à rétorquer "- Ah bah quand même ! La prochaine, ne vous en rendez pas compte après, faites en preuve avant !" Elle était assez remontée, elle qui était pourtant calme d'habitude. Il ne fallait jamais l'agresser. La vexer était LA chose à ne pas faire. Elle avait beau avoir tenté d'être polie et respectueuse, la manière d'agir de ce quadragénaire assez tordu ne lui inspirait pas confiance et l'énervait. Elle ne répondit rien à sa tirade sur sa pauvre famille. Puis, entendant son laissez tomber, elle finit par dire dans un rictus jaune et d'un sarcasme alors qu'il se retournait pour partir "- Vous savez, monsieur, si l'accouchement et l'épuisement de votre femme vous pose tant problèmes, il ne fallait pas la mettre enceinte. Moi je n'y peux rien ! Mais prenez-le ce foutu paquet, votre irrespect ne me donne même plus envie d'en manger !" Elle avait balancé tout ce qu'elle pensait, sans réfléchir. Il était plus grand qu'elle, plus barraque aussi, et même largement d'ailleurs, mais tant pis. Il n'avait qu'à la frapper, tenter de l'intimider, elle supporterait le choc. Elle avait au moins réussi à lui tenir tête, et elle était presque fière d'elle. Presque, car elle regrettait quand même ses propos au fond.