Les dimanches à Montsimpa avaient toujours été d'un ennui mortel de l'avis de Morgan qui se félicitait à chaque fois d'avoir eu la présence d'esprit de s'abonner au câble pour combler les longues heures de solitude et de vide qui semblaient ne jamais vouloir défiler assez vite ces jours là. Le fait que les commerces soient pour ainsi dire tous fermés et qu'aucune activité digne de ce nom ne soit proposée à la population d'hyperactifs comme lui le blasait au plus haut point, d'autant plus qu'il ne pouvait décemment pas partir en vadrouille sur sa moto tous les week-end pour tuer le temps. A ce train là, tout son salaire aurait été dépensé en essence et bonjour paquets de pâtes pour clôturer les fins de mois ...

Affalé dans son canapé, la télécommande dans une main et un morceau de pizza dans l'autre, notre trentenaire s'intéressait à la rediffusion d'un match de baseball qu'il n'avait pas eu le temps de regarder durant la semaine. Cette activité primaire et typiquement masculine n'était pas pour lui déplaire car elle avait au moins le mérite de l'intéresser assez pour qu'il ne se concentre plus sur l'horloge en déplorant le fait que les aiguilles avancent si lentement ; comme si un mauvais sort avait été jeté aux dimanches après-midi pour qu'ils soient fatalement d'une longueur quasi irréaliste ... Lorsque le vibreur de son téléphone portable fit frémir la table basse, il sursauta légèrement et jeta un regard perplexe à l'appareil. Le fait d'être arrivé en ville récemment ne faisait pas de lui l'homme le plus populaire du coin. Ca, ajouté à son sale caractère, et l'on devinait aisément pourquoi le fait de recevoir un texto en fin de week end l'étonnait à ce point. Curieux, il coinça sa part de pizza entre ses dents et attrapa le portable. Ce n'est qu'après avoir lu le contenu du message qu'il leva les yeux au ciel en croquant rageusement dans l'aliment, ce qui eut pour effet de faire tomber le reste de la pizza sur son t-shirt. Un soupire accompagna le mouvement qu'il fit pour se débarrasser de la nourriture qui entachait son vêtement, puis il se réinstalla dans le fond du canapé d'un air bougon en se faisant la réflexion que cela faisait longtemps que Billie n'était plus venue l'enquiquiner et que cette ado était décidément irrécupérable.

TORRES

✉ Où est-ce que t'as eu ce numéro Billie ? C'est en train de devenir du harcèlement téléphonique, tu sais qu'on arrête les gens pour moi que ça ?.

Etait-il différent des autres en lui répondant ceci ? Il n'en avait aucune idée. Et d'ailleurs, il se secoua la tête pour chasser cette réflexion de son esprit. Il n'y avait aucune comparaison à faire entre les autres et lui pour la simple et bonne raison qu'il n'avait absolument rien à prouver à cette gamine !

D'un geste qui se voulait nonchalant, Morgan avait laissé le portable tomber dans le creux du canapé et s'enfoncer entre les coussins tandis qu'il tentait de concentrer de nouveau son attention sur le match ; mais force était de constater qu'il peinait à reprendre le cours de cette activité maintenant qu'une partie de son cerveau - qui était jusqu'alors entièrement concentré sur l'observation des joueurs - s'était mise à imaginer Billie, assise sur son lit, tripotant son téléphone pour lui répondre. Cette image l'horripilait, elle le faisait se sentir vulnérable tout comme le vibreur qui s’emballa de nouveau dans les profondeurs du divan lui fit jeter un regard - absurde, certes - par dessus son épaule, avant d'ouvrir le contenu du message. Comme s'il avait eu peur qu'on sache, comme s'il avait craint qu'on lise et que l'on découvre la vérité à propos sur lien caché qui l'unissait à cette gamine.

TORRES

✉ Pour la même raison que tes profs s'acharnent probablement à t'enseigner leur savoir, alors que rien ne semble vouloir rentrer dans ta tête de brique ! T'es complètement inconsciente Billie.

Inconsciente et insolente qui plus est. Râleur, Morgan laissa de nouveau tomber son téléphone sur le canapé et croisa les bras d'un air revêche. Il s'en voulait d'autant plus de relever ce trait de caractère particulièrement agaçant de la part de Billie que c'était l'un des facteurs qui l'avaient fait tomber sous son charme, ce soir là, quand il l'avait ramenée chez lui en l'imaginant aussi majeure que vaccinée ...

Lorsqu'il reçut la réponse, Morgan plongea sa main entre les coussins à la recherche de son téléphone qu'il retrouva grâce aux vibrations de l'appareil. Après avoir ouvert le texto et en avoir lu le contenu, il laissa un long soupire lui échapper avant de lever les yeux au ciel, de pivoter sur le côté et de se laisser tomber à la renverse en travers du canapé. Seuls ses jambes repliées sur l'accoudoir du divan pendouillaient dans le vide en signe d'exaspération tandis que sa main qui ne tenait pas le portable passait et repassait dans ses cheveux, le décoiffant un peu plus à chaque passage, mais sans pour autant lui apporter l'inspiration à la recherche de laquelle il était afin de rédiger sa réponse ...

Lui qui était d'un naturel si franc, si sincère, voire même - d'après ses supérieurs - complètement brut de décoffrage, voilà qu'il se retrouvait face à un dilemme de taille. Faire preuve d’honnêteté vis à vis d'elle et de sa question ou mentir, tout en prenant pour acquis que, quoiqu'il décide de réponde, il lui faudrait trouver les bons mots, ceux qui, en plus d'être justes, ne risquaient pas de le compromettre au cas où elle déciderait de sauvegarder la conversation dans son téléphone et de la montrer à quiconque par la suite (les gamines et leurs idées incongrues ... on n'était jamais trop prudent, pensa-t-il !).

TORRES

✉ J'aurais pensé que t'étais assez insolente pour trouver toi-même la réponse à cette question, Miss " je-sais-tout-mieux-que-tout-le-monde-et-surtout-mieux-que-les-vieux-cons-trop-sérieux-qui-pensent-encore-que-l'école-sert-à-quelque-chose " ...

L'école, il avait fait la bêtise de ne pas s'y intéresser d'assez près durant sa jeunesse et il avait fallu que son père meurt pour lui faire prendre conscience que la voie sur laquelle il s'était engagé n'était pas la bonne. Dans ce cas précis, il se doutait bien que rien de tel ne risquait d'arriver à Billie, mais il avait appris - contre sa propre volonté le plus souvent, d'ailleurs ! - à découvrir les ressources et les capacités de la jeune femme, tant et si bien qu'il pensait pouvoir dire qu'elle gâchait son potentiel en étant aussi frivole. Cela dit, ceci ne regardait qu'elle et il se serait probablement passé de sermons à son encontre si elle ne s'était pas mise en tête de l'asticoter pour lui faire dire des choses qu'il aurait pu regretter d'avoir approuvées / avouées par la suite.

Une chose était claire : la conforter dans son idée que sa jeunesse, sa fougue et son inconscience étaient autant de défauts que d’atouts charme n'était résolument PAS la meilleure idée du siècle. Pas pour la décourager en tout cas, or c'était précisément le but qu'il s'était donné au lendemain de la nuit qu'ils avaient passé ensemble, lorsqu'il avait découvert avec horreur de la femme de sa nuit n'était en réalité qu'une petite fille bien déguisée.