▽ Loin des yeux, loin du coeur.

Je me reveillai en sursaut, le coeur battant à toute allure et avec la désagréable impression qu'un éléphant s'était assis sur mon crâne. Cette sensation, je ne la connaissais que trop bien, celle de la gueule de bois. On disait que la souffrance prouvait qu'on était bien vivant, mais moi, j'avais l'impression d'être mort depuis près de dix-sept ans... Dix-sept longues années que je dus passer à vivre loin d'elle. J'étais en colère, très en colère contre elle et contre le type qui avait osé prendre ma place, je l'avais vécu comme une véritable trahison de sa part. C'est une chose à laquelle je ne me serais jamais attendu de sa part, mais voilà c'était arrivé, et c'était ma réalité maintenant. Je me levai, nauséeux, et rejoignis la cuisine en titubant car j'y avais entendu du bruit.

Là, une jeune femme dont le visage ne me revenait pas du tout préparait une omelette et se mit à sourire en me voyant arriver. Vu le peu de vêtements qu'elle portait sur elle, nous avions dû passer la nuit ensemble mais le fait était que je n'en avais plus aucun souvenir. Les ravages de l'alcool. Je la dévisageai quelques instants, content de voir qu'elle n'était pas si moche que ça, au contraire. Mais aussi belle qu'elle pouvait être, il était absolument hors de question qu'elle reste ici, je ne voulais pas m'engager dans une relation sérieuse. Et rien qu'en regardant son petit sourire béat lorsqu'elle posait les yeux sur moi, je savais que l'on ne s'était pas bien compris. Mais malgré mon état, j'eus quand même la présence d'esprit d'attendre qu'elle ait fini de faire son omelette avant de la prier de s'en aller... Il y eut bien évidemment des pleurs et des cris, mais elle était partie.

Tout en dégustant la délicieuse préparation de cette charmante inconnue, je jetai un oeil à ma montre et vis qu'elle indiquait quatre heures de l'après-midi. Aujourd'hui n'était pas un jour comme les autres, j'avais en effet décidé d'aller rendre une petite visite à ma fiancée, enfin à mon ex-fiancée. Cette dernière me croyait mort, mais il était désormais temps d'aller prendre des nouvelles de mon fils. Car oui, j'avais un fils que je n'avais pour l'instant jamais vu. Quel âge avait-il? Dix-sept ans. Certes, beaucoup d'entre vous diront que j'étais un père horrible, et dans un sens vous n'avez pas tort, mais j'aimerais répondre à cela qu'il valait mieux un père absent plutôt qu'un père qui ne savait pas s'occuper de son enfant.

Je me dirigeai lentement vers la salle de bain pour me débarbouiller un peu, et m'arrêtai net devant le miroir. Mon visage était tuméfié, des blessures qui étaient bien visibles, traces de la bagarre à laquelle j'avais sûrement dû participer hier soir, mais là encore, il ne m'en restait aucun souvenir. Je me lavai en vitesse puis je sortis de mon appartement pour aller m'acheter quelques bières que j'avalerais sur le chemin qui allait me mener à la maison de Lyna. Cela faisait un bout de temps que j'avais son adresse, mais je n'avais jamais daigné me déplacer jusque là, peut-être par peur de péter un câble devant elle et de dire ou faire des choses que je regretterais certainement par la suite.

Lorsque j'arrivai enfin chez elle, il était déjà tard. Le soleil s'était couché pour faire place à la lune depuis pas mal de temps maintenant. Je sonnai à la porte de sa maison et m'assis sur les marches, dos à la porte et une bouteille de bière déjà bien entamée dans la main. Je ne saurais dire combien de temps je dus attendre avant qu'elle ne vienne, la colère et l'alcool modifiaient ma perception du temps. Mais soudain, la porte s'ouvrit et sans même me retourner, je pris la parole.

- Salut. Dis-je froidement.

(verlaine) ▽ Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville, Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ?

Lyna soupira en fixant l'horloge murale, il était à peine 18 heure, et il ne savait pas quoi faire pour s'occuper, son fils était chez des amis et elle se retrouvait seule chez elle, la maison vide lui semblait immense, malgré qu'ils n'y vivent qu'à deux d'habitude, Dae ne vivant pas avec eux, quand Adonis était présent, les lieux semblaient toujours plein de vie, même si ce dernier passé son temps enfermé dans sa chambre, sa présence suffisait à Lyna. Mais là, tout était calme, triste, elle n'aimait pas se retrouver seule, car c'est dans ces moment-là que ses pires pensées refaisaient surface, ses souvenirs revenaient la hanter, comment sa vie avait prit un tout nouveau tournant en une fraction de seconde, elle se demandait souvent ce que serait sa vie aujourd'hui si Thomas n'était pas mort, seraient-ils encore ensemble ? Oui s'en doute, Lyna avait cru dur comme fer à leur amour et aujourd'hui encore elle était encore éperdument amoureuse de lui du moins de son souvenir, au bout de 17 ans son amour pour lui était intact, elle rêvait souvent qu'il venait sonner à sa porte, le sourire aux lèvres, mais ce n'était rien de plus qu'un rêve, elle savait bien que c'était impossible, et pourtant il n'avait jamais retrouvé son corps, certes si il avait été en vie, ils le sauraient depuis le temps mais l'espoir la maintenait en vie, l'aidait à se lever le matin, même si tout cela, elle le fait surtout pour son fils, elle aimait à croire que tout n'était peut-être pas perdu, douce illusion bien-sûr, elle en avait conscience mais c'était plus fort qu'elle , elle en avait besoin.

Elle se dirigea finalement dans son atelier, une simple pièce réservée à sa passion et métier, la peinture. Elle pouvait y passer des heures, peindre lui permettait de se détendre, de laisser son imagination déborder, de soulager son esprit de toutes ses pensées noires et tristes. Elle passa plus d'une heure à peindre, de tout et de rien, des visages, des scènes de son passé, son fils, sa soeur, ils faisaient tous partie des choses qu'elle peignait le plus souvent. elle reposa finalement son pinceau après avoir posé la touche finale à son oeuvre. Elle alla ensuite dans la cuisine, elle rinça ses mains, pour retirer la peinture, puis ouvrit le frigo pour voir ce qu'elle pouvait faire à dîner, elle adorait cuisiner mais ce soir, elle n'avait pas envie de voir trop grand, elle était seul et cuisiner pour une seule personne n'était franchement pas enthousiasmant, elle jeta un coup d'oeil à son contenu, elle allait devoir faire les courses demain, elle attrapa finalement de quoi faire une salade composée, et entreprit sa préparation, après avoir allumé la radio et commença à chanter tout en lavant la salade. Elle se mit même à danser lorsque la sonnette de l'entrée retentit soudain et regarda l'heure, qui pouvez bien sonner à cette heure-ci, Ado et Dae avait les clés de la maison, elle s'essuya les mains, baissa le volume de la radio et se dirigea vers la porte avec un petit pas de danse, elle était finalement plutôt de bonne humeur.
Elle posa la main sur la poignée, sans même vérifier dans le judas qui avait sonné. Elle ouvrit donc la porte, plaquant un sourire sur ses lèvres. L'air glacial la frappa en plein visage, elle eu alors un léger mouvement de recul face à ce froid imprévu, mais elle stoppa net, la main toujours accrochée à la poignée, elle fixait l'homme assis sur ses marches, dos à elle. Ce dos, elle le reconnaîtrait parmi des centaines de milliers d'autres mais non ce n'était pas possible, ça ne pouvait être lui, combien de verre avait-elle bu ce soir ? Pas suffisamment pour avoir ce genre d'illusion. Elle resta plantait là, incapable de bouger, puis elle entendit la voix de l'homme, sa voix ! Salut, ce simple mot, prononcé froidement sans aucune émotion, Lyna était figé sur place, son corps refusait de bouger, pétrifié par l'éventualité de la situation. Elle ouvrit plusieurs fois la bouche mais cette dernière était sèche, sèche de tout mot, finalement au bout de plusieurs secondes qu'il luis parut une éternité, elle réussit à bredouiller ces quelques mots : Tommy ? c'est toi ? Comment... mais la fin de sa phrase resta coincée dans sa gorge.

▽ Loin des yeux, loin du coeur.

Dix-sept ans, dix-sept longues années que je n'avais pas entendu le son de sa voix, pourtant je l'aurais reconnu entre mille. La lune était pleine ce soir, et les étoiles qui scintillaient dans le ciel offraient un spectacle très plaisant à regarder, si bien, que j'eus du mal à m'en détacher. Je portai la bouteille de bière à ma bouche pour boire une nouvelle gorgée d'alcool, puis me levai pour faire face à Lyna. Il y a quelques années, je n'aurais jamais été capable d'une telle chose sans me décomposer immédiatement sur place, mais aujourd'hui j'étais un autre homme. Le Thomas qu'elle avait connu s'en était allé et ne reviendrait sûrement jamais, et je comptais bien le lui faire comprendre...

Je la dévisageai de haut en bas, l'air complètement indifférent. Elle était devenue une très belle femme, je dirais même que le temps n'avait fait que l'embellir. Nous avions tous deux beaucoup changés, c'était indéniable, mais jusqu'où? Cela faisait pas mal de temps maintenant que j'avais cessé de m'intéresser à sa vie, et moi qui m'attendais à voir débarquer son nouveau mari, je fus bien déçu de me rendre compte que la maison était vide. Où diable pouvait-il donc être ?

Je me mis à repenser au jour où mon supérieur vint m'annoncer que tout était en règle pour mon retour au pays, la joie que je ressentais à l'idée de revoir ma ravissante fiancée et le petit bébé qui vivait dans son ventre... Mais tout cela ne voulait plus rien dire pour moi aujourd'hui. Mon quotidien était très différent de celui que j'avais lorsque Lyna et moi étions ensemble, il se résumait en quatre choses extrêmement simples : Musculation - Manger - Dormir - Boire. C'est tout ce que je faisais de mes journées.

A la regarder, je sentais bien qu'elle était plutôt heureuse et que mon retour ne faisait que la boulverser. Tant pis.

- Ton mari n'est pas là?

J'avais délibérément laissé sa précédente question en suspend, après tout, le comment du pourquoi importait peu, je me trouvais devant elle et c'est tout ce qu'elle avait besoin de savoir. Après tout, elle m'avait déjà remplacé, alors à quoi bon me lancer dans une explication détaillée de l'enfer que je fus contraint d'endurer pendant qu'elle s'envoyait en l'air avec son époux. Je bouillonnais de rage rien qu'en l'imaginant dans les bras d'un autre homme, d'ailleurs, s'il s'avisait de rentrer dans les minutes qui allaient suivre, je lui referais le portrait de telle manière que même sa mère ne l'aurait pas reconnu.

(verlaine) ▽ Il pleure dans mon cœur Comme il pleut sur la ville, Quelle est cette langueur Qui pénètre mon cœur ?

Lyna serra la poignée de la porte pour ne pas s'écrouler, elle n'arrivait pas à y croire, était-elle en train de rêver ? ou de délirer, ce qui était très probable, car Thomas ne pouvait pas se trouver là, sur les marches de son porche, non ce n'était pas possible, simplement parce qu'il était mort ! Du moins c'est ce qu'on lui avait dit, mais son corps n'a jamais été retrouvé.. Et si.... Mais où était-il pendant 17 ans ? Pourquoi ne pas avoir réapparu plus tôt ? Parce que tu étais marié à un autre idiote ! Lyna sentit son coeur se resserrer dans sa poitrine, toute la culpabilité qu'elle avait ressentit malgré elle en épousant un autre homme mais elle n'avait pas eu le choix, elle avait du en faire un pour le bien de son fils et même si cette histoire c'est très mal finie pour elle, son fils a pu bénéficier de la présence d'un homme dans sa vie aussi pitoyable était-il.
Lyna lâcha la poignée doucement, pour s'assurer que ses jambes étaient capables de la soutenir, puis elle avança toujours lentement, craignant qu'il ne soit qu'une illusion et qu'il ne disparaisse d'un coup. Elle voulait voir son visage, être sûre mais elle n'osait pas s'approcher, elle ignorait pourquoi, elle le sentait distant, elle s'était imaginait cet instant des centaines de fois dans ses rêves les plus fous, mais jamais ça ne s'était passé comme ça dans ses songes, là une certaine rancoeur flottait dans l'air, elle pouvait la ressentir. Soudain, Thomas se leva pour lui faire face, elle s'immobilisa sur le porche, ses yeux balaya son visage, il avait tellement changé mais c'était bien lui, il était toujours aussi beau, elle parcouru son corps du regard, ravalant son envie de se jeter dans ses bras, de le serrer fort contre elle, de lui dire toutes ses choses qu'elles voudrait lui dire, elle resta face à lui incapable de bouger, de parler, elle ne pouvait que le regarder encore et encore. mais Tom finit par rompre le silence mais sa question déstabilisa totalement la rousse. " Ton mari n'est pas là? " Lyna baissa les yeux, il était au courant bien évidemment et il lui en voulait, ce qui était normal, elle ne pouvait pas le blâmer même si pour sa défense elle ignorait totalement qu'il était vivant mais ça, aux yeux de Thomas ça n'était pas une excuse recevable, elle le connaissait bien trop. Elle plissa nerveusement sa robe, pris une inspiration et releva le regard vers lui pour répondre : "Non, il m'a quitté, ça fait plusieurs années maintenant, j'ignore où il se trouve et je m'en moque totalement à vrai dire" Sa voix se brisa dans sa gorge, elle ravala ses larmes, détourna le regard pour qu'il ne la voit pas comme ça. Elle essuya une larme qui roulait sur sa joue, puis ajouta : "Il gèle dehors, tu veux pas rentrer un moment ?" Drôle de conversation pour une telle situation mais Lyna ne voulait pas rester dehors à la vue de tous.

▽ Loin des yeux, loin du coeur.

Lyna semblait plus que désorientée par ma soudaine apparition, tant mieux, c'était exactement ce que je voulais provoquer en arrivant de la sorte. Néanmoins, l'avoir en face de moi ravivait en moi des souvenirs si forts qu'ils allaient bien finir par me faire chavirer moi aussi. Une première larme coula sur la joue de Lyna, et là, le monde parut s'écrouler autour de moi. Cette petite voix que je m'efforçais de faire taire depuis quelques minutes se faisait de plus en plus forte, elle me criait d'ignorer mes envies de vengeance pour qu'elle s'arrête de pleurer, mais je ne voulais pas.

Tenant fermement ma bouteille de bière à la main, je me forçais à repenser aux dix-sept dernières années que je passai à souffrir en pensant à Lyna tandis qu'elle fricotait bien gentiment avec son nouveau mari. Je fronçai les sourcils suite à la phrase qu'elle venait de lacher, une pointe d'émotion dans la voix. Ainsi, son mari l'avait quitté il y a quelques années? Dommage, j'aurais bien aimé me retrouver en face de ce type et lui envoyer mon poing dans la gueule.

Je demeurais cependant impassible aux réactions plus que touchantes de celle qui fut un jour ma fiancée, du moins, j'essayais. Cette dernière me proposa ensuite d'entrer chez elle, prétextant qu'il faisait froid dehors, ce qui n'était pas faux finalement.

- Je vois que ça va pour toi. Dis-je après être entré dans sa demeure.

Sa maison était en effet bien plus spacieuse que le modeste appartement dans lequel je logeais. Je regardais autour de moi, ne voyant aucune trace du fils de Lyna, enfin, notre fils. Il était sûrement parti, lui aussi. Plus je restais là, plus les raisons de ma venue commençait à être flou, mais qu'est-ce que je foutais là?

- Comment va notre enfant?

C'est tout ce que j' avais trouvé à dire. Pathétique.