Est-ce que vous avez le dernier Musso s’il vous plaît ? Romy regardait par la fenêtre, il pleuvait, encore… Montsimpa était pas mal inondée, c’était les dernières nouvelles de ces jours ci. La rue où la jeune femme habitait était partiellement atteinte et ce fut la galère pour elle de se rendre à la librairie aujourd’hui surtout avec son petit vélo qui n’aimait pas vraiment la pluie. Depuis son accident de voiture qui avait failli lui coûter la vie, Romy n’était plus montée dans une voiture, elle ne se déplaçait qu’en vélo. Mademoiselle ?? Le vieil homme le rappela à l’ordre, il attendait les renseignements qu’il lui avait demandés. Le dernier Musso. Cet auteur commençait à bien plaire aux américains, elle, elle n’aimait pas trop. Désolée, oui on l’a reçu, suivez moi. Romy se leva de sa chaise et se dirigea dans le rayon où se trouvait le livre. Elle le chercha et une fois trouvée elle le tendit à l’homme. Voilà. Elle esquissa un très léger sourire. Il était très difficile de la voire sourire mais elle savait faire des efforts quand il s’agissait de son travail. Le propriétaire de cette librairie avait confiance en elle et elle ne voulait pas faire n’importe quoi.

Il était dix neuves heures, Romy informa les derniers clients qu’elle était sur le point de fermer. Elle encaissa un dernier achat et elle se retrouvait seule dans sa librairie. Elle prit son sac et les clefs, et ferma correctement le magasin. Demain matin elle devrait s’y rendre plus tôt pour pouvoir ranger avant d’ouvrir. Après fermeture, elle regardait son vélo qui se trouvait sur le trottoir d’en face, dans un emplacement spécial pour l’attacher. Il pleuvait toujours mais elle se fichait d’être trempée vu qu’elle rentrait chez elle. La jeune femme se mit alors à traverser la route, tête baissée, sans vraiment regarder ce qu’elle faisait et c’est alors qu’un gros coup de frein se fit entendre suivi d’un coup de klaxon. Romy, sous le coup de la panique se baissa à genou et mis sa tête dans ses jambes. Tu peux pas faire gaffe et regarder où tu vas ?? Danger publique !!!! Romy n’arrivait plus à bouger, elle fermait les yeux et les bruits de l’accident se firent entendre, elle se bouchait les oreilles mais rien n’y fit, l’accident se reproduisait dans sa tête. Elle revoyait Jarhed lui disant qu’il voulait partir loin avec elle. L’homme sortit sa tête de sa fenêtre, criant. Tu peux pas te casser ?? Des larmes commençaient à couler sur les joues de la jeune femme, dès que la voix de l’homme se fit entendre à nouveau, elle se leva et se mit à courir vers son vélo. Elle se mit rapidement dessus et pédala aussi vite qu’elle pouvait. Ses larmes coulaient également au même débit qu’elle avançait.

Quelques instants plus tard, elle se retrouvait devant l’hopîtal de Bridgeport. Elle laissa son vélo sur le trottoir sans se soucier de l’attacher et courra jusqu’à l’intérieur. Son acte était impulsif et elle se retrouva dans le secteur où travaillait Nate. Ce dernier était de garde le soir de l’accident, il était le seul qui comprenait vraiment la jeune femme et pour elle, cela avait été évident de se retrouver là. Elle n’arrivait pas à se calmer. Elle ne savait pas où aller, elle s’assit sur une des chaises de la salle d’attente, elle remonta ses jambes sur la chaise, et blottit sa tête dans celles-ci, elle était encore toute bouleversée. Cet accident l’atteignait beaucoup trop encore..

Les urgences. C'était tout juste ce qu'il fallait pour s'occuper l'esprit toute la journée. Et en l'occurrence, pour Nathaël, c'était parfait. A peine en avait-on fini avec un patient qu'un autre arrivait dans un état plus critique que le précédent. Il fallait désinfecter, soigner, recoudre toute la journée. Parfois, ça pouvait même mener à la chirurgie, quand une entaille était trop profonde, quand un gamin était tombé de vélo et qu'il fallait remettre des os en place. Oui, c'était bien le meilleur moyen pour ne penser à rien d'autre qu'à son travail, qu'à ce qu'on est en train de faire. Et puis ça évitait aux mamans trop maladroites d'avoir l'éclair d'Harry Potter sur le doigt, ça aussi c'était un avantage. Nathaël sortait tout juste d'une garde de vingt-quatre heure et la fin de journée s'annonçait plutôt longue. Les patients se faisaient de plus en plus rares à mesure que les aiguilles de la petite pendule suspendue dans la salle d'attente tournaient et bientôt, il pourrait regagner son petit appartement. Mais pour y faire quoi ? C'est tout juste s'il avait un lit et de quoi se nourrir dans ce deux pièces ridicule. L'inconvénient avec le fait d'être un médecin urgentiste, c'était qu'on ne gagnait pas encore le salaire d'un chirurgien. Mais Nathaël savait qu'il aurait bientôt l'occasion de vivre comme un roi s'il en avait envie, c'était une promesse qu'il s'était faite quelques années plus tôt. Il était bien mieux à l'hôpital, à prendre des gardes de trente-six, parfois quarante-huit heures. Il avait son propre coin dans la salle de repos, s'en était presque pathétique. Et s'il y avait une urgence ? C'était bien à cela que servaient les médecins urgentistes. Et son appartement était bien trop loin de l'hôpital à son goût. Non, il était mieux ici, à boire des cafés jusqu'à tomber d'épuisement. Il avait au moins l'avantage d'être les premiers sur les lieux quand quelque chose se produisait. Nathaël en avait pratiquement terminé avec ce patient. Un pansement pour rassurer le bambin et il pourrait, il l'espérait, boire un café et grignoter quelque chose. Il lui restait encore plusieurs heures de boulot, mais à partir de vingt heures, les salles d'attentes étaient désertes et il pouvait en profiter pour récupérer un peu. Il accompagna le jeune patient et sa mère jusqu'à la porte de la salle d'examen, se préparant à recevoir le suivant. « Suivant. » C'était une voix calme et fatiguée, la voix de fin de journée quand la journée n'a pas été très palpitante. Levant les yeux du dossier qu'il avait entre les mains, Nathaël posa son regard sur la dernière silhouette restante, qui avait levé la tête au moment où il avait invité le patient suivant à entrer. Et cette silhouette, dieu qu'il la connaissait. Elle le hantait plus que de raison depuis le fameux jour où il l'avait reçu dans la salle des urgences. Aujourd'hui, même s'il mettait un point d'honneur à prendre soin de cette jeune femme, il remarquait encore ses propre cicatrices sur le visage angélique de son amie. « Romy ? » Ses yeux s'écarquillèrent à la vue du corps recroquevillé, tremblant et trempé de la jeune femme, lui qui n'avait même pas conscience qu'il pleuvait à l'extérieur. Lentement, il prend place sur le siège voisin afin de rassurer son amie. « Tout va bien ? » Question idiote, évidemment, mais il ne sait pas vraiment par quoi commencer d'autre. Il l'encourage gentiment, la main dans le dos de la jeune femme, à entrer dans la pièce. Ils y seront plus au calme, à l'abris des regards ou d'éventuels curieux. « Allez viens. » D'une voix patiente, il ne lui laisse pas le choix, il l'entraine à l'intérieur de la pièce où il laisse la jeune femme prendre place. Et finalement, devant son silence, il tente de la sonder. « Quelque chose est arrivé, Romy ? » D'un geste maladroit, il s'asseoit à ses côtés, il ne sait pas vraiment comment s'y prendre. Lui qui n'a jamais vraiment été doué pour réconforter les gens, voilà que Romy lui donne du fil à retordre.

Romy ? Cette dernière leva la tête à l’appel de son nom. Elle était encore toute tremblotante à cause de la pluie puis de la panique qu’elle avait eue depuis l’incident. Heureusement c’était le jeune Nathaël qui le découvrit le premier. Elle le regardait avec un air de désespoir. Généralement Romy n’était pas du genre à montrer ses émotions comme ça, et à se plaindre mais dans ces moments là Romy ne savait pas quoi faire et Nate était la seule personne qui la comprenait réellement. Tout va bien ? Il vint s’asseoir près d’elle. Non.. Sa voix tremblait également. Elle n’arrivait pas à s’en remettre, pourtant il n’était rien arrivé mais le visage de Jarhed revenait sans cesse depuis et elle n’en pouvait plus. Il posa sa main sur le dos de la jeune femme afin de l’entraîner à se lever et d’entrer dans la pièce en face d’eux. Elle se leva et suivit Nate. Ils entrèrent et elle s’assit, toujours aussi déboussolée. Quelque chose est arrivé, Romy ? Romy regardait son ami et tenta de lui répondre. Je … j’ai traversé la rue et … cette voiture a failli … elle a failli me renverser Nate et à ce moment là … Nate, j’ai revu toute la scène … Jar… Jarhed, la voiture qui fonçait sur nous, l’hôpital … Je n’arrive pas à m’ôter ces images de la tête, je n’en peux plus, j’ai peur … Elle regardait toujours Nate puis elle enchâina Je suis désolée de venir comme ça … je ne savais pas où aller … Elle tremblait un peu moins, la présence du jeune homme l’apaisait mais elle était toujours mal…

« Je … j’ai traversé la rue et … cette voiture a failli … elle a failli me renverser Nate et à ce moment là … Nate, j’ai revu toute la scène … Jar… Jarhed, la voiture qui fonçait sur nous, l’hôpital … Je n’arrive pas à m’ôter ces images de la tête, je n’en peux plus, j’ai peur … » Il passe son bras derrière le dos de son amie en guise de réconfort. Il n'a pas grand chose à dire, pas grand chose à faire. Parce qu'il n'y a rien à dire. Il pourrait dire qu'il comprend, qu'il compatit. Mais ça, elle le sait probablement déjà. Il pourrait dire que ce n'est pas grave, que tout ça n'est que passager et que ça s'améliore avec le temps. Mais il mentirait, parce que ça ne s'arrange pas avec le temps. Que tous ceux qui disent que la peine disparait à mesure que le temps passe viennent jusqu'à lui, il ne demande pas mieux. Alors bien sûr, les détails s'effacent au fur et à mesure que le temps défile mais son visage le réveille toujours en sursaut quand la lune est à son point culminant. On oublie les raisons, on oublie les pourquoi et les comment mais on oublie jamais les faits. Et bizarrement, ce qu'on donnerait de plus cher pour oublier, c'est finalement ça qui reste gravé en nous et qui nous hante à jamais. Alors non, il ne lui dira pas combien ça semble difficile, et combien il comprend, parce que c'est tout le monde dit sans réellement le faire. Il se contente d'un simple « Je sais. » et appuie sa tête contre celle de la jeune femme, peu importe combien ça lui semble difficile. Parce qu'il sait. Parce que lui aussi reste tétanisé quand une voiture grille un stop et s'enfonce trop rapidement dans la nuit. C'est aussi pour cette raison qu'il ne se déplace plus qu'à moto, même si c'est cent fois plus stupide et dangereux, c'est la seule façon qu'il a trouvé pour éviter d'avoir à remonter sur un vélo comme le fait maintenant Romy. « Je suis désolée de venir comme ça … je ne savais pas où aller … » Il affiche un large sourire tandis qu'il tourne la tête pour pouvoir lui faire face. Il y a quelque chose qui le surprendra toujours chez Romy, cette sorte de timidité dont elle n'arrive pas à se débarrasser, sa gentillesse, vraiment il n'en sait rien. « C'est rien. Tu sais que ma porte sera toujours ouverte, hein ? » Nathaël consulte sa montre et espère que les habitants de Montsimpa attendront demain pour se blesser. Il lui reste peut-être plusieurs heures à travailler, mais il ressent le besoin urgent d'avaler quelque chose, et il se dit que ça ne pourrait pas faire de mal non plus à Romy. « Qu'est-ce que tu dirais de manger un morceau ? » Evidemment les distributeurs de l'hôpital ne sont pas très consistants, à moins qu'ils ne descendent à la cafétéria, mais ce sera toujours ça de pris avant de pouvoir terminer les quelques restes de son frigo.