J'étais assise là, à attendre qu'il arrive. Qui ? Je ne savais même pas ! Je connaissais peut-être son nom, Senac, et son prénom, Malek, mais sinon, rien de trop personnel ! Je ne l'avais jamais rencontré en personne, je ne lui avais même pas parlé de vive voix au téléphone, on n'avait même pas chatté ni rien ! J'avais seulement rencontré son frère. Ce jour-là, je faisais une pause à la cafétéria et il était venu m'aborder, ne voulant apparemment pas déjeuner seul. N'étant pas de nature trop réservée, je commençai à discuter avec lui plutôt rapidement et une chose en entraînant une autre, nous arrivâmes au sujet fatidique des amours. Au début, je croyais qu'il était intéressé par moi, jusqu'à ce qu'il me demande si j'étais tentée par un rencart avec son frère. Je me rappelle qu'au début, j'avais hésité. Je ne savais même pas à quoi il ressemblait ! Mais finalement il avait réussi à me convaincre de part son charisme plutôt persuasif mais aussi par la description plutôt géniale du jeune homme : il aurait un beau physique en plus d'être un esprit agréable, drôle, ouvert, et qui plus est intelligent puisqu'il ferait des études de médecine ! De quoi faire rêver ! En plus, comme j'ai toujours peur de passer à côté de mon âme sœur, je n'osais pas vraiment refuser ! Du coup, me voilà, à attendre que Monsieur se pointe. Il était déjà en retard, pour bien commencer... Heureusement que je ne suis pas quelqu'un qui fait trop attention à ces détails. Tout ce que j'espérais, c'était qu'il soit à la hauteur de ce que j'attendais de lui.. Et si j'allais enfin rencontrer le grand amour ?

« Mec, tu vas pas sortir comme ça, rassure-moi. » Mon frangin, qui ose afficher un air réprobateur. Je le fusille du regard, le visage couvert de terre et le souffle court. « Où tu veux que je sorte, crétin ? » Non parce qu’au cas où il n’aurait pas remarqué, je viens juste de rentrer de l’une de mes chasses aux suceurs de sang. Et pas besoin d’être un spécialiste des arts divinatoires pour remarquer que ça s’est relativement mal passé. Ma peau salie par la crasse, mon jean déchiré, la barre de fer lamentablement tordue, la griffure au coin de mon œil, ça fait pas mal d’indices. Aucune nécessité, à priori, de hisser un étendard lumineux et clignotant ‘ne pas emmerder’. Et pourtant, j’aurais peut-être du reconsidérer cette solution pour éviter d’être la victime de cet imbécile. « Euh j’en sais rien. Probablement aux guitares hurlantes, où t’attends la petite brune sexy de la cafèt’ ? » Oh putain … Merde. « Tu fais chier ! » Je laisse échapper, rageur, détalant en direction de la salle de bains. Vous me croyez si j’vous dit que j’ai complètement zappé ce rancard ? En même temps, j’ai mieux à faire. Y’a des vampires qui se baladent à la recherche de pauvres innocents pendant que mon idiot de frère pense à prendre soin de ma vie sexuelle. N’en pêche, j’trouve ça relativement flippant qu’il se sente aussi concerné par un tel sujet. Je suis déjà à la bourre, et je déteste ça. Les gens qui te font poireauter, c’est mal poli. Et je ne suis pas un putain de connard mal poli. Juste un putain de connard. Pas le temps de prendre une douche, seulement de me nettoyer le visage à la va vite, d’enfiler une chemise à carreaux plutôt moche et un jean délavé. Pas la tenue adéquate pour un rendez-vous digne de ce nom, mais si elle n’est pas contente c’est pareil. Je claque la porte, arrache trois fleurs dans le jardin de la voisine en me penchant par-dessus la haie, et enfourche mon vélo pour pédaler comme si j’étais poursuivi par le fantôme de l’ancien garagiste –vous aussi vous pédaleriez comme ça si vous aviez connu l’ancien garagiste-. Je jette presque mon moyen de locomotion contre ses semblables, me plantant devant ma partenaire d’un soir en sueur, une tâche de terre oubliée sur le lobe de mon oreille gauche, les cheveux parsemés d’épis et la chemise mal boutonnée. Je lui tends mon bouquet de fortune composé d’une rose fanée et de deux trucs jaunes non identifiables, me raclant la gorge. « Tiens. » Je lâche assez sèchement. Pas d’excuses, pas de salutations, je lui colle simplement mes trois bouts d’herbe sous le nez pour m’en débarrasser. Bordel, si ça ce n’est pas un début de rancard complètement foiré. En même temps, mon objectif n’est pas d'exécuter la danse du paon pour lui arracher un gloussement de plaisir. Une chance pour moi, parce que je crois que je lui fais autant d’impression qu’un hérisson écrasé au bord de la route. Je m’assois en silence, osant à peine lui adresser un regard. J’attrape la carte que nous tends le serveur comme une bouée de sauvetage, la parcourant des yeux non sans pousser un léger grognement. Mon misérable salaire d’agent d’entretien est sur le point de fondre comme un esquimau –la glace, pas l’mec- au soleil.

J'étais assise là à attendre, et attendre... Et s'il n'allait jamais se pointer et que j'étais en train d'attendre un type imaginaire, que le type de la cafétéria m'avait juste fait une mauvaise blague ? Je sentis mes joues rougir de honte : NON, il était hors de question que ce soit le cas ! Je refusais que je me sois faite arnaquée comme une pauvre touriste dans un marché rempli de profiteurs. Et puis, si tout ça était qu'un mensonge, je pourchasserai cet idiot. Ou sinon, je me persuaderai de le faire, puis ensuite j'irai gentiment continuer ma vie. Me connaissant, ce sera sûrement la deuxième solution. Un peu de caractère, Prim ! Je me croyais dans un film. Oui, vous voyez bien le genre de films dont je vous parle, ce genre de belles comédies où la fille fixe la porte d'entrée et sursaute à chaque fois que quelqu'un la pousse, pour qu'au moment où elle laisse tomber, un beau mâle arrive et se dirige vers elle pour leur rendez-vous amoureux. Il y avait juste la différence que moi, je n'abandonnais pas. Alors que la serveuse arriva avec un air moqueur style "mais oui, bien sûr, ton rencard va arriver, dans tes rêves", il fit finalement son entrée... comme un fou furieux. Peut-être que si j'avais abandonné, j'aurais eu mon prince charmant, qui sait. Je le vis arriver rapidement jusqu'à moi puis me surpris en me brandissant ce qu'on aurait appelé communément des fleurs... ou du moins, ce qui en avait l'air. « Tiens. » Si j'étais une autre personne dans cette salle et que je voyais cette scène, soit j'aurais rigolé tellement ça me paraissait insolite, soit j'aurais pris pitié pour la fille. Mais où était le romantisme dans tout ça ? Probablement enfoui sous le peu de terre qui se trouvait sur son visage. Merci.. lui dis-je avec un sourire, prenant délicatement les trois malheureuses fleurs. Je les déposai sur la table, prit une serviette pour essuyer la terre qui s'était réfugiée dans les racines des plantes arrachées, preuve irréfutable qu'il était un malfaiteur, et passai une main sur ma robe. Je m'étais fait toute belle pour quelqu'un qui portait une chemise, certes, mais qui n'était pas des plus belles et un jean qu'il avait vraisemblablement attrapé au vol. Tu es bien Malek Senac ? Demandais-je, quelque peu hésitante. C'était lui, je le savais, mais, comment dire... mon conte de fée, je le voulais tellement ! Oh et puis, qui j'étais pour juger son apparence ? Si ça se trouvait, il était extraordinaire, c'était juste qu'il n'arrivait pas à le montrer au niveau de son apparence ! Je respirai un bon coup, ayant repris mes esprits et avec ça toutes mes chances. Alors, ton frère m'a dit que tu étais étudiant en médecine ! Tu es en quelle spécialité ? Je lui fis un large sourire tandis que je jetai un coup d'oeil au menu. Puis brusquement, ma mémoire se mit en route, comme quand quelqu'un met la bruyante machine à laver la nuit sans même vous prévenir, vous faisant vous sursauter alors que vous dormiez paisiblement. Sa tête me disait quelque chose ! Mais où est-ce que je l'avais déjà vu ?

Elle me pose une question qui éveille une lueur d’intérêt dans mon regard. Une interrogation qui peut sembler vraiment stupide comme ça, mais qui est au contraire –dans ce contexte particulier- très intelligente. Je n’ai pas hésité avant de me ruer sur cette pauvre fille, comme un missile à tête chercheuse qui a reconnu sa cible, mais en vérité je n’ai pas la moindre idée de l’apparence de mon rendez-vous. Mon frère aurait pu me faire une mauvaise blague en me mettant face à un poids lourd aussi élégant qu’une baleine, ou j’aurais pu m’asseoir avec le rencard d’un haltérophile tout en muscle, ce qui aurait pu déboucher sur de fâcheuses conséquences. En dépit –et surtout sans même y avoir songé- de ces considérations, je me suis instinctivement dirigé vers la brune sexy esseulée –d’après la définition préalablement obtenue-, sans me préoccuper des autres tables. Parce qu’il faut le lui concéder, elle est bien plus jolie que les habituelles trouvailles de mon frère, ce que je constate en relevant mes iris sur sa bouille angélique. Il a haussé le niveau, espérant sans doute nous voir revenir collés l’un à l’autre, mais je ne suis pas près de poser un genou à terre et lui demander sa main parce qu’elle a de beaux yeux sombres. En plus, je subirais probablement une humiliation publique du à un refus, parce qu’il est clair qu’elle s’attendait à autre chose qu’un mec en retard accompagné d’une rose fanée et d’un attirail digne d’un homme de Cro-Magnon. Ça s’est senti dans le ton de sa voix, laissant poindre une tonalité plus aiguë que les autres qui a trahi sa déception. « Oui oui, rassure toi. » Ou pas. Et je ne lui retourne pas la question, parce que figurez-vous que j’ai complètement oublié son prénom. Je ne suis même pas certain que mon frère ait pris soin de me le confier, certainement parce que lui non plus ne s’en souvenait pas. Je reporte mon attention sur le menu, scrutant les plats aux prix les moins chers et constatant avec désarroi qu’il s’agit d’une salade de tomates aux noix. C’est emmerdant, parce que je suis allergique à cette connerie. J’attrape la carafe d’eau que le serveur nous a apportée pour en verser le contenu dans nos deux verres, engloutissant le mien d’un seul trait. Cette chasse m’a totalement déshydraté, et pour quoi ? Rien. Niet, comme d’habitude.

C’est là qu’elle décide de dire un deuxième truc, pour faire la conversation, et je m’étouffe presque avec ma propre salive et le fond d’eau qui s’écoule dans ma gorge. Je fixe son sourire enjoué mal à l’aise, inventant mentalement de nouvelles insultes que j’adresse à mon adorable frère. Médecine ? Mais il a perdu la boule ? Si elle savait que je passe mes journées à récurer la crasse du métro, elle tomberait de sa chaise. La vérité est beaucoup plus facile à annoncer quand l’autre ne s’attend à rien de particulier, mais si elle s’imagine que je suis un brillant chirurgien, la tâche sera plus ardue. « Certainement pas de la pédopsychiatrie en tout cas. » Je lâche un rire âcre auquel je mets rapidement un terme en croisant ses pupilles sombres. Elle doit se demander pourquoi cette éventualité m’arrache un rictus méprisant. « C’est parce que … j’aime pas les gosses. » Je me justifie pour expliquer cette affirmation, sans me soucier du fait que j’aurais probablement mieux fait de la fermer. Si elle projetait de me laisser une seconde chance au-delà des apparences, je crois que je suis définitivement rayé de la liste de ses princes charmants potentiels. Parce que toutes les nanas veulent des mômes qui traînent dans leurs pattes en leur tirant la jupe. C’est un truc génétique. Je me racle la gorge, me tortillant sur ma chaise en tentant d’attirer le serveur par ma force psychique sans succès. « Pourquoi, ça t’intéresse ? » J’ajoute par déduction. Je sais que mon frère a l’habitude de mentir pour appâter sa victime en choisissant un centre d’intérêt commun. Je peux donc légitimement en conclure qu’elle suit ces études. Mon attention se porte alors sur l’une de nos voisines qui semble fasciner par l’observation de ma personne, ne cessant de me dévisager. Qu’est-ce qu’elle a cette conne ? « Vous avez choisi ? » « Oui ! » Je saute sans doute trop rapidement sur l’occasion, mon sourcil gauche effectuant son haussement habituel sans permission. Chiottes. « Enfin … tu veux peut-être plus de temps pour réfléchir ? » J’interroge ma partenaire, enfonçant doucement le bout de mon index sur la pointe du couteau, mais pas assez pour faire jaillir une goutte vermeille.

« Oui oui, rassure toi. » m'avait-il répondu lorsque je lui avais demandé s'il était bien mon rencard. Bon bah, je pouvais définitivement faire une croix sur mon Orlando Bloom. Mais je n'allais pas me plaindre – je trouvais quand même qu'il était beau, c'était juste qu'il ne faisait pas d'efforts, il y avait donc du potentiel dans tout ça ! Et l'amour, ça aide à utiliser ce potentiel, même si bien évidemment je ne suis pas encore amoureuse, je ne suis pas aussi facile hein ! En tout cas, je l'espérais. Je remarquai qu'il ne me demanda pas mon identité, probablement que son frère lui avait déjà précisé comment je m'appelais. Tandis qu'il regardait le menu que proposait le restaurant, je continuais de le scruter, comme si j'étais dans un magasin et que je regardais un vêtement que j'hésitais à acheter, le vêtement dont tu cherches tous les défauts et qualités pour ensuite les contrer pour voir ça vaut bien la peine de dépenser son argent pour ça. Malek n'était peut-être pas un vêtement, mais je ne pouvais pas m'empêcher de voir les hommes comme des produits de vente, même si la plupart du temps, ça dépendait surtout d'eux, s'il voulait me prendre ou pas. Quand il remplit mon verre sans retenue, je revins à mes esprits. Je le regardai avaler son eau cul sec. Je me disais que s'il faisait ça avec l'eau, j'osais pas imaginer avec l'alcool. MAIS STOP, PRIM' !
J'avais ensuite demandé au jeune homme dans quelle spécialité il était. Je me voyais déjà en train de faire du bouche à bouche quand je le vis avaler de travers et failli s'étouffer avec sa salive. Pourquoi cette réaction ? Est-ce que j'avais mal fait de croire à la description de son frère ? Je me sentais stupide. A tous les coups, j'avais toujours un problème : soit je tombais sur un taré, soit je tombais sur un homme qui me plaisait, certes, mais qui ne me rappelait pas le lendemain,... et aujourd'hui, je me faisais le menteur. Je ne serai jamais Cendrillon, Malek ne sera vraisemblablement pas le prince qui me rendra ma chaussure de verre, à mon plus grand désespoir. Oh et puis, peut-être que je me trompais sur toute la ligne ! Ce soir, étais-je de nature cruelle ? Je le jugeais alors qu'il n'avait pas encore ouvert sa bouche. Qu'est-ce qui me prenait ? Et l'ouverture d'esprit dans tout ça ? « Certainement pas de la pédopsychiatrie en tout cas. » Je restai fixe. Il avait quoi avec les pédopsychiatres ? Ces gens sont toujours d'une gentillesse, d'une compréhension infinie ! Je continuai de le regarder avec insistance, attendant après son argumentation. « C’est parce que … j’aime pas les gosses. » Je lâchai un " Ah" silencieux. Si ce n'était que ça... Chacun ses choix, après tout, lâchai-je sans grande conviction, mais avec un léger sourire. Pour moi, l'amour était le plus important. Après, les enfants, moi j'adore ça ! C'est d'ailleurs pour cette raison que je fais des études de gynécologie ! Même si ces paroles ne m'avait pas non plus rien fait du tout, j'avais tendance à croire que l'espoir en ce genre de sujets est possible car ils sont toujours négociables une fois que l'on a quelqu'un qui nous aime et avec qui on projette notre avenir. « Pourquoi, ça t’intéresse ? » A cette question, je me redressai. A vrai dire, ça m'intéressait parce que je suis également des études de médecine ! Je suis même interne à l'hôpital. Donc je me demandais si toi aussi tu faisais un internat, ou si tu étais déjà résident, ou enfin, pour voir les points communts. Souvent, la spécialisation en dit beaucoup sur la personne... Je parlais trop pour rien, hein que je parlais trop ? LA FERME ! Je secouai la tête en signe de reproche à moi-même. Bref, je voulais juste te demander ça pour en savoir plus sur toi, finis-je en faisant un sourire crispé et en baissant mes yeux vers le menu. Sur celui-ci n'étaient pas affichés les prix. Ce restaurant devait donc être bien côté. Je lançai un soupir, tant pis, j'allais choisir ce qui me parlait le plus, de toute façon, s'il est bien élevé, il payera toute la note... « Vous avez choisi ? » demanda un serveur. « Oui ! » Je levai instinctivement mes yeux vers Malek qui venait de répondre à une vitesse surprenante. Il avait vite fait son choix. Heureusement que, moi aussi, j'avais trouvé ce qui me tentait. « Enfin … tu veux peut-être plus de temps pour réfléchir ? » Non, ça ira, j'ai déjà choisi, lui répondis-je poliment, bien que le fait qu'il ne m'avait pas demandé au tout début m'avait interpellé. Ais-je maintenant le droit de dire que ce rendez-vous allait tourner au désastre ? Je dis mon choix au serveur, puis lui donnai le menu. Maintenant, je pouvais contempler le jeune homme sans être distraite. Mon dieu, je pouvais le jurer, je l'avais déjà vu quelque part ! MAIS OU ? Je sentais que ça allait me rendre folle. Je déteste avoir un blanc comme ça. C'est comme quand quelqu'un vient vous dire bonjour et que vous ne revenez pas sur son prénom : c'était frustrant. Je remarquai que notre voisine de table regardait Malek avec insistance. Eh ben, manquait plus que ça, fallait que quelqu'un d'autre ait des vues sur mon rencard ! J'étais maudite ou quoi ? Je m'en fichais, quitte à me battre pour lui comme le dernier morceau de viande à la boucherie, c'était le mien, pas touche, en tout cas pas tant que je ne savais pas s'il était mon futur mari.