Même s’il s’était temporairement installé à Bridgeport pour elle, il semblait cependant que la réussite professionnelle de Clyde passait quoiqu’il arrive avant sa vie personnelle, incluant alors ses retrouvailles avec Armance. Certes, il avait hâte. Hâte de la revoir mais surtout, il était impatient de l’écouter, d’entendre les arguments qu’elle allait avancer pour se faire pardonner. Parce que oui, Clyde savait que sa femme allait tenter de sauver la mise. Personne ne ferait le contraire, personne n’oserait se mesurer à lui. Encore moins maintenant. Seulement un an qu’il exerçait le métier d’avocat et déjà plus de deux cents procès gagnés. Des statistiques qui avaient réussi à lui bâtir une solide réputation dans le monde juridique, une renommée dont il veillait soigneusement à entretenir. Une fois de plus, ce soir était le début d’un nouveau combat réussi d’avance. Clyde devait rencontrer un particulier lors d’un bal de charité organisé dans l’institut d’art moderne et lui faire signer un contrat pour éviter de lancer un procès. Tout était parfaitement bien programmé, aucun risque d’échouer. Habillé d’un élégant costard noir, le blondinet se présenta à la galerie d’art, arborant son sourire charmeur. Et après trente minutes chrono, Clyde serra la main de son client, l’accord signé dans son autre main. Jetant un coup d’œil furtif à sa luxueuse montre, il releva la tête puis fourra ses mains dans ses poches. Sa mission terminée, il pouvait soit rentrer chez lui, soit profiter encore un peu de la soirée. Suspicieux, il balaya la salle du regard. Des jolies filles, des personnes du même monde que lui… Il avait tout intérêt d’opter pour la seconde option. Sans plus attendre, il s’empara d’une flûte de champagne lorsque son regard croisa celui d’une brune. Armance. What a surprise. Conquérant, Clyde s’avança vers elle, gardant cependant une certaine proximité entre eux. Son sourire arrogant collé aux lèvres mais qui faisait de lui un atout de séduction, il but d’abord une gorgée de sa boisson avant de parler. « Bonsoir, Armance. » Sa voix vibrait sur un ton d’amusement. Il semblait se délecter de la moue étonnée que faisait son interlocutrice. Non, rectification, il ne semblait pas, il se réjouissait de la prendre au dépourvu de cette façon. « Ça fait longtemps, dis donc. Tes parents vont bien au moins ? C’est pour eux que tu as quitté New York, je me trompe ? » Satisfait de la façon dont il avait engagé la conversation – c'est-à-dire brutalement – Clyde posa sa coupe de champagne et s’adossa à un meuble, les bras croisés, attendant la réponse d’Armance.

Contre son gré, Armance entraîna rapidement Clyde qui se retrouva isolé, seul en face de celle qui officiellement, était encore sa femme. Une mine insolente inscrite sur son visage, il s’écarta de quelques pas avant d’arquer un sourcil, ahuri par ce qu’il entendait. Il savait qu’Armance allait arborer une attitude hautaine mais de là à vouloir l’acheter pour qu’il la laisse tranquille… Même pas en rêve. Surtout que franchement, ce n’était pas en étant vue en compagnie de Clyde qu’elle risquait de « ruiner sa réputation », bien au contraire. Dans un sens, il se considérait toujours comme celui qui avait aidé Armance à lancer sa carrière, celle-ci avait beau prétendre faire partie d’une glorieuse famille, il n’empêche qu’à son arrivée à New York, elle était méconnue de tous… Amusé, le blondinet soupira, faisant son maximum pour agacer son interlocutrice. Les sourires arrogants, son ton amusé, tout, absolument tout était calculé. Chacun de ses faits et gestes était médité et destiné à irriter la demoiselle. « Ta réputation ? Qu’as-tu fait pour avoir une si importante réputation ? Tu es à mariée à 5 hommes différents, c’est ça ? » Un rire mutin vint poursuivre sa réplique et provocateur, il continua sur sa lancée : « Laisse-moi deviner ton nouveau nom de famille. Windsor-Gates-Jobs ou quelque chose du genre, je présume ? » Il avait conscience que son comportement était puérile, stupide. La railler ne changerait rien à la situation actuelle. Mais il avait besoin de se défouler, il avait besoin d’évacuer la colère qu’il avait contenue pendant l’année de silence radio d’Armance. Elle l’avait blessée, et c’était quand il se retrouvait à présent face à elle qu’il se rendait compte des dégâts qu’elle avait pu engendrer dans son esprit et dans son cœur. Se radoucissant, Clyde croisa ses bras avant de fixer de son regard bleuté sa femme. « Pourquoi t’es partie, Armance ? Dis-le-moi. Et je te laisserai tranquille, après. On fera chacun notre vie de notre côté, tu n’entendras plus parler de moi et vice versa. Mais dis-moi. » déclara-t-il d’une voix on ne peut plus sérieuse. Si au départ, il avait voulu lui pourrir la vie, en cet instant, il n’exigeait que des explications. De la sincérité, c’était tout ce que souhaitait Clyde.

C’était si bizarre. Et si douloureux. Se retrouver dans cette pièce avec elle, un an après. Il ne pouvait que constater à quel point elle avait changé, à quel point elle était méconnaissable. Ou peut-être, Armance avait-elle toujours été comme cela ? Plus le fil de la discussion avançait, plus Clyde se sentait trahi. Il avait été idiot, d’y avoir cru. Ce n’était qu’après deux ans et un mariage qu’il prenait conscience du vrai visage de la jeune femme. Tentant tant bien que mal de maintenir son éternel cynisme fixé au visage, un rictus vint pincer ses lèvres. « Et bien, techniquement, nous sommes encore mariés. Alors tu vois, apprendre que mon épouse est mariée à plusieurs hommes est plutôt gênant. Et puis, ça risquerait de ruiner ma réputation. » répondit-il en reprenant ses mots. Evidemment, Clyde savait qu’elle mentait. Elle jouait avec lui, comme elle avait pu le faire auparavant. Il connaissait suffisamment Armance pour savoir que sous ses airs de petite princesse, elle avait des valeurs. Et puis, orchestrer plusieurs mariages n’aurait, d’un point de vue objectif, pas pu être possible. Alors qu’il stoppait leur ridicule joute verbale pour s’avancer sur une pente glissante, les mots tombèrent. Il resta figé quelques secondes, essayant d’assimiler les tranchantes phrases de la brune. Au fond, il n’était pas surpris, alors pourquoi l’entendre faisait-il toujours aussi mal ? A ce moment même, Clyde ne savait comment réagir. Il ne savait même pas ce qu’il ressentait. Probablement un mélange de colère, tristesse, et d’amertume… Il avait juste envie de s’éloigner d’elle, de faire un break, le temps d’encaisser. Il ne souhaitait même plus se venger, Armance n’en valait décidément pas la peine. « Au contraire, je te rassure, tout est très clair à présent. » Aucun reproche, aucune once de colère dans la voix. Juste un chapitre qui se refermait. Du coup, c’est ce qu’il voulait. Se dirigeant à grands pas vers la sortie pour rejoindre la pièce principale, le jeune homme s’arrêta à l’encadrement de la porte. « Tant qu’on y est, autre chose à me dire ? Puisque l’on ne se verra plus, autant tout s’avouer. » Fidèle à lui-même, un amer ricanement suivit ses propos et il enfouit ses mains dans ses poches, prêt à partir.

Le fait de revoir Clyde ici, sans même être prévenue de son arrivée, ça mettait Armance très mal à l'aise. Enfin, d'un autre côté, personne ne pouvait la prévenir puisque personne ici ne connaissait son passé, surtout son mariage avec Clyde. Elle n'avait pas honte de lui, bien au contraire, il était beau, tout à fait son genre d'homme mais elle avait honte de devoir emprunter un nom de famille à un homme, pour ne pas prendre celui qu'elle détestait, son nom de naissance, Buckley. Ça faisait agriculteur, paysan, c'était moche. Windsor, c'était bien mieux ou Lloyd, celui qu'elle s'était inventée avant de rencontrer Clyde. Armance avait mal, de se retrouver avec lui, avec ses remarques, ses reproches. « Quelle réputation, celle d'un vulgaire avocat ? Laisse moi rire Clyde. » Armance laissa elle aussi échapper un petit rire mesquin, un rire qui lui était propre. Et puis, inconsciemment, elle balança toutes les pires vacheries à Clyde, pour le faire fuir, qu'il passe à autre chose. Elle ne voulait pas avoir à lui expliquer toute sa vie, pour qu'il se foute d'elle. Aussitôt qu'il tourna les talons pour s'en aller, elle eût une bouffée de remords qui l'envahit dans tous son corps. Qu'est-ce qu'elle venait de dire ? Pourquoi elle venait de lui faire mal inutilement ? Sans attendre, elle ne sût même pas pourquoi elle fit ce premier pas, elle se précipita vers lui et le retint par le bras. « Attends s'il te plaît, je pense pas un mot de ce que j'ai dit. Il faudrait que je t'explique pourquoi j'ai fait tout ça, mais j'ai peur, je peux pas Clyde. » Armance était sincère, cela pouvait se voir à son regard. Elle tenait encore son bras et petit à petit, elle glissa pour effleurer sa main. Elle s'apprêtait à lui dire toute son histoire. Son enfance, sa vraie nature, tout ce qu'elle n'avait jamais dit à personne. Peur, ce n'était pas le sentiment qu'elle ressentait en ce moment, elle était tétanisée. Et s'il se vengeait ? S'il divulguait toutes ses informations ? Elle pourrait faire une croix sur sa carrière, sa réputation, sa vie.



Ma Chloé, désolée du retard, promis je recommence plus.