Ah la jeunesse. Magnifique période où la seule chose qui m'intéressait était la façon dont mes poupées étaient coiffées ou habillées. Quand j'étais encore qu'une enfant, je prenais toujours la vie au deuxième degré; je m'en foutais de savoir si j'étais belle, si j'allais réussir dans ma vie ou si ce que je mangeais était diététique. Tout ce qui m'importait, c'était m'amuser. Rigoler avec mon frère, avec mes amis, avec mes animaux. Ah, mes animaux. Une fois, on avait adopté un chat, Polochon. Chonchon, pour les intimes. Il était moche, il bavait partout, et pourtant, à mes yeux c'était le plus beau. Il avait cette manie de venir me faire un câlin après mon bain, probablement pour me refiler tous ses poils qui venaient se coller à ma peau encore mouillée. Mais je m'en moquais. Il était trop mignon, et tout le monde dans notre famille le chouchoutait. Je me battais même avec mon frère Jeremy pour l'avoir dans ma chambre. Enfin, de toute façon, avec lui, on se disputait tout le temps. Pour avoir la dernière boulette de viande, pour être le premier à commencer dans un jeu et même pour être celui que maman préfère. On se balançait toujours des méchancetés. Les "t'es bête" et les "sale moche" fusaient à tout va dans la maison. En même temps, nous n'avions que 6 et 7 ans, l'âge où les frères et sœurs ne peuvent pas se supporter. Notre mère avait beau nous sermonner, on se disputait quand même. Un jour, j'avais même avoué à mes parents que je détestait mon frère et que je voulais qu'il meure. Depuis, je me mords les doigts pour avoir dit une telle chose.

Puis suite à toutes ses futilités, est arrivée la réalité. En entrant au collège, j'ai vite réalisé que je plaisais. Autant par mon physique que par mon intelligence. Je n'étais pas pourtant une flèche en cours, mais comme disait ma prof de français: J'en avais dans le ciboulot. J'ai alors abandonné tous mes jeux, et j'ai commencé à m'intéresser à une plus grande partie de la vie. Les cours et les garçons en priorité. Mon premier petit copain s'appelait Jack et c'était le fils de la meilleure amie de ma mère. Il était beau physiquement, et puis mes copines m'avaient dit de tenter le coup quand il m'avait fait une déclaration. C'était sympa avec lui. On rigolait bien. Jusqu'à ce que.. « Je t'aime. » On avait treize ans, et je connaissais rien à l'amour. Alors pourquoi il me disait ça, lui? Moi je ne l'aimais pas. Je ne savais même pas ce que ça faisait d'aimer. Jack était sympa, mais c'était clair que je m'ennuyais avec lui. Devais-je lui répondre que je l'aimais à mon tour? Non, ma mère disait toujours qu'il ne fallait pas mentir. Alors au lieu de mentir, j'ai fui. Je suis partie, le laissant en plan dans le parc du quartier. Le lendemain, je l'ai largué par le biais de mon frère, ne voulant pas affronter une dispute. Oui, parce que c'était ce que j'étais: une petite lâche. Et c'est depuis ce jour là que j'ai toujours agi de façon dégueulasse avec les gens. Je suis indécise, cruelle et même pas foutue de dire les choses en face.


J'ai eu beaucoup de garçons qui me voulaient étant jeune, mais Romeo, lui, sortait du lot. Je le connaissais depuis mon enfance, parce qu'il venait tous les ans visiter sa grand-mère à Montsimpa pendant les vacances. C'était un ami de mon frère, et je ne l'avais que vu comme tel. Mais l'été de mes dix-sept ans, c'était différent. Il semblait différent. Pour moi, quelque chose chez lui avait changé. Il semblait plus mature, et pourtant il avait toujours été comme ça. Et de fil en aiguille nous sommes sortis ensemble. On se voyait tous les jours. Notre relation était si simple, si légère, si naturelle. Aucun tabou, aucun préjugé. C'était parfait. Et le veille du jour où il devait repartir, l'était encore plus. Ce jour-là, nous avons partagé notre première fois, en douceur et dans une ambiance plus qu'envoûtante. Et puis après ça, allongée sur lui, je lui avais demandé d'une manière impulsive: « Tu penses parfois au futur ? Qu'est ce que tu vois ? » Pourquoi je lui avais demandé ça? Je ne savais pas moi-même. J'étais peut-être dans l'espoir qu'il me réponde qu'il nous voyait tous les deux. C'était d'ailleurs bizarre que je sente ça.. étais-je amoureuse? « Toi, c'est toi que je vois. » C'est alors qu'une avalanche, ou plutôt même un ouragan de bonheur s'était abattu sur moi. Je m'étais mordu la lèvre, heureuse, et surprise de la réponse. Que m'arrivait-il? Je me posais encore la question, et pourtant je connaissais la réponse. J'aimais Romeo. J'aimais ce garçon, et j'étais heureuse. Du moins.. sur le moment.

Le lendemain, au moment où Romeo me quitta, je remis tout en question. Comme une souris entre les pattes d'un chat, j'étais prise dans un piège. J'éprouvais des sentiments pour quelqu'un, et ça ne me plaisait pas. Je me trouvais dans une situation horrible. Je savais que si je restais dans cette ville, près de mon frère, j'allais continuer à espérer le retour de ce cher Romeo chaque jour durant. Alors quand mes parents engagèrent le sujet du futur, je leur ai dis que je voulais faire mes études à New York. Je leur avais fait tout un speech, en racontant comme quoi c'était mieux pour ma réussite et aussi que je ne pouvais rien faire dans une ville telle que Montsimpa. Ils avaient eu du mal, mais au final ils avaient accepté. J'obtins mon diplome, et sans même me retourner, je partis à New York comme une lâche. Je n'assumais rien, et n'avais même pas eu le cran de téléphoner à Romeo pour lui dire au revoir. Non, c'était bien mieux de laisser mon frère se charger de ça à ma place.


New York.. Dès l'instant où j'avais mis un pied dans cette ville, je n'avais eu envie que d'une chose: retourner à Montsimpa. Mais je ne pouvais pas, j'avais fait une promesse à mes parents. Alors, il fallait que je m'y tienne. Les premières années ont été les plus difficiles: J'ai travaillé dur pour obtenir ce diplôme d'infirmière, que j'ai eu haut la main. J'ai alors exercé quelques années ce métier, sans pour autant y trouver le bonheur. Ce n'est pas la vue du sang qui me troublait, mais plutôt le fait que j’eus l'idée stupide de faire un métier pareil seulement pour fuir une relation. D'ailleurs, fuir n'avait rien changé. J'y pensais toujours à ces picotements que j'avais ressenti à ses côtés. Je me rappelais ce cette sensation étrange, qui faisait battre le cœur et qui rendait les mains moites. Cette sensation que Romeo seul m'avait fait ressentir. Pourtant, dans la ville qui ne dort jamais, je fis pas mal de rencontres. De bonnes comme de mauvaises, jusqu'à ce que je me mette avec un garçon qui venait du Michigan. Je suis restée deux ans avec lui.. une vraie petite vie de couple comme tout le monde semblait en rêver. Et pourtant, quand j'étais avec lui, je pensais souvent à Jack. Vous savez, le premier copain que j'avais eu quand j'étais petite. Et bien la relation que j'avais avec cet homme était semblable à celle que j'entretenais avec Jack. Je m'amusais, je riais.. mais je n'aimais pas. Alors après ces deux ans de relation, je suis partie en lui laissant un mot sur son frigo. Non, on ne se réinvente pas. Malheureusement.

Seulement cette fois, je ne suis pas partie n'importe où. Je suis revenue à Montsimpa après dix ans de déménagement. Je m'y étais rendue à de rares raisons pour voir ma famille, mais le fait d'y retourner y vivre ne faisait pas le même effet. Je retrouvais le sourire, celui qui s'était perdu dans les abysses de la ville de New York. La première semaine fut forte en émotion quand je retrouvai ma famille. Mon frère avait déménagé dans un appartement, mais était toujours dans la même ville. Quand à mes parents.. qu'est-ce qu'ils avaient vieillis... Mais ils étaient toujours aussi adorables avec moi; ce que moi je n'avais pas toujours été avec eux. Et puis, c'est alors que Jeremy m'appris que Romeo était là lui aussi. Qu'à présent, lui aussi vivait à Montsimpa. Même si j'avais été une vraie ordure avec lui en le laissant m'oublier sans un mot, je n'hésitai pas une seconde et me rendis chez lui. J'avais envie de le voir; une cruelle envie de le voir. « Salut » avait été le seul mot capable de sortir de ma bouche quand je l'avais vu. Il avait tellement changé, et en même temps presque pas. Mon cœur me faisait mal, et j'ignorai pourquoi. Est-ce que j'éprouvais encore des choses pour lui, dix ans après? J'espérais bien que non. L'amour me faisait fuir. Pire, il me faisait peur. « Tu m'as tellement manqué » J'avais été bêtement impulsive en m'approchant de lui pour espérer le serrer dans mes bras, parce qu'il me repoussa sans que je puisse le voir arriver. « Drôle de façon de le montrer. » Sans même continuer de parler avec moi, il sortit de son appartement, et me laissa en plan dans mon coin. Je récoltais ce que j'avais semé. Depuis, on ne se parle presque plus. En même temps, je ne suis même pas foutue de m'excuser ni même de m'expliquer. Je suis idiote, et incroyablement pitoyable. Comment avais-je pu imaginer qu'il avait tiré un trait sur cette histoire?