La nuit tombe, déjà. La journée semble avoir défilé à une vitesse folle. Cloîtré dans son bureau, Gahis s'y sent apaisé, dans son élément. Il apprécie être en ces lieux. Il aime ce qu'il fait et cela se voit dans son acharnement. Il peut parfois être dur envers ses employés, souvent même, mais ça part d'une bonne intention. Il n'est pas cruel, juste exigeant, car il attend le meilleur venant d'eux. Il n'a pas conscience de sa constante fermeté. Alors que petit à petit les bureaux se vide, lui reste. Sa gosse étant encore chez la nourrice, il n'a pas besoin de se presser, malgré sa hâte de la retrouver. Enfermé dans son cocon, sa bulle, il a l'esprit ailleurs. Il pense, il se pose beaucoup de questions. Il a toujours été ainsi, tourmenté, peut-être un peu tordu, complexe. Il sort de sa rêverie, dénoue le noeud de sa cravate avant de l'ôter. Plus besoin d'endosser le rôle du méchant patron, les employés sont tous partis. Il se détend, signe de la paperasse et sort une bouteille de bourbon. Une dure journée telle que celle-ci mérite son petit réconfort. Il a perdu un peu de son engouement du début, mais il n'en perd pas le plaisir. Il aime se décarcasser pour son job. Bien qu'à une époque il ne vivait que pour ça, au jour d'aujourd'hui il partage son addiction au travail avec sa petite perle. Même si au fond, il n'y a qu'elle qui compte. D'ailleurs il ne peut pas s'empêcher de fondre devant son fond d'écran de portable. Son bébé. Buvant plusieurs gorgées de son verre, il est soudainement interrompu dans ce petit moment détente par une imbécile. Elle s'incruste timidement dans son bureau après avoir frappé. Mais il y avait si peu de fougue et de force dans ses coups, qu'il ne l'a même pas entendu. Celle-ci marmonne et encore une fois, il ne comprend rien. Une idiote. Mais une idiote qu'il n'arrive pas à renvoyer malgré son incapacité à être productive. Il a les poings serrés, agacé par cette intrusion. Aussi, s'il est autant embêté de sa présence, c'est qu'elle a un certain pouvoir sur lui. Un pouvoir qui dérange ce grand patron, lui qui contrôle absolument tout. S'il ne peut pas la renvoyer, c'est qu'il n'y arrive pas. Quelque chose le bloque. Une question sans réponse, de quoi le contrarier davantage. Il prend une grande respiration, mais ça sort tout de même aussi sec. « J'espère que tu as une bonne excuse pour venir me déranger à une heure aussi tardive ». Au vu du ton employé, il attend une réponse claire et précise.

Il est tranquille, peinard dans son bureau à décompresser d'une longue journée accablante et cette andouille ose venir le déranger. C'est à ce moment de la journée qu'il est le plus sensible et susceptible de baisser sa garde. Il faut qu'il conserve cette carrure de big bosse effrayant, autoritaire, pour être continuellement respecté. Donc oui, ça le fait chier qu'elle vienne pour des dossiers à une heure aussi tardive. Pourquoi n'est-elle pas rentrée chez elle comme les autres ? N'a-t-elle pas de vie ? Ou celle-ci doit être trop chaotique. Elle est faible, naïve et idiote. Ce n'est qu'une pauvre chose. Une pauvre chose qu'on a envie, d'un côté, de protéger. Mais il ne faut pas. Il ne faut pas qu'il craque et qu'il soit faible à nouveau. Il n'a pas le droit et ça serait contre l'éthique. Il garde son sang-froid malgré la froideur dans sa voix. Il veut d'un certain côté qu'elle comprenne qu'elle le dérange. Le regard fuyant sa bouille, il a chaud et il est mal à l'aise. Il termine son verre et tente de dissimuler sa gêne. Il faut qu'il garde le contrôle. « J..je. ve.nais dédéposer des dossierrrs ». Il est agacé et pousse un long soupire. Et il ne le cache pas. D'un signe de tête, il lui ordonne. « Venez les déposer sur mon bureau et par pitié, rentrer chez vous ! Vous voir me déprime ... ». Il est dur, sans aucun doute méchant, mais c'est sa manière de la repousser et de garder le contrôle.  Il a peur de ce qu'il pourrait arriver s'il baissait sa garde, si elle pouvait le voir sous son véritable jour, si elle voyait son vrai visage, celui de l'homme aimant et attentionné qu'il est avec sa perle, sa fille. Donc oui, il en rajoute des caisses, se montre d'autant plus glacial, distant, atroce. Il ne se comporte pas ainsi avec tous ses employés, juste elle. Incompréhension et crainte, voilà ce qui lui arrive. Elle doit le détester, le haïr, le maudire. Le contraire serait étonnant. Pourtant ce n'est pas ce qu'il cherche, loin de là. Elle s'approche de son bureau et de sa position. Hésitante et tremblotante, elle vient déposer les dossiers et sur son passage, frôle le grand patron. La faible proximité déstabilise Gahis et la caresse accidentelle qu'elle lui a offerte, le chamboule. Elle s'apprête à repartir, à quitter ce bureau, l'être ignoble qui lui fait face. Mais l'ordure qu'il est en sa présence empoigne fermement son poignet. Il l'a retient. Il sent qu'il va craquer. Son regard plongé dans le sien, il bloque. Son visage, sa beauté, son innocence, sa fragilité, punaise la saleté. Comment peut-elle avoir autant de contrôle sur un homme ayant autant de pouvoir ? C'est l'hôpital qui se fout de la charité. Ainsi il se remet les idées en place, lâche son poignet, son emprise. « Pardon ..., juste ... fermez bien la porte en sortant .. ». Il se retourne honteux. Il a été faible et le lui a encore prouvé. Il se déteste de se laisser autant submerger et charmer. Pourtant elle n'a rien fait pour, ça doit être ça le pire.