Je portais des caleçons d'homme trop grands pour moi avec des avions dessinés dessus. Mes bas étaient remontés jusqu'à mes genoux. J'avais un chandail de Batman. Mes cheveux étaient attachés en un chignon négligé. Je n'étais pas maquillée. La seule personne qui avait le droit de me voir ainsi - à part mon futur mari encore inexistant -, c'était évidemment Dylan. Ma Dydy, ma Roro, ma Skylander. Le popcorn était chaud et reposait sur la table-basse du salon de mon condo, les chocolats et bonbons éparpillés un peu partout autour. Le DVD de Friends était déjà dans le lecteur. Ne manquait plus qu'une chose : ma meilleure amie. Je me couchai sur le divan, fermant les yeux afin de prendre un cinq secondes de sommeil puisque cette nuit je ne connaîtrais pas le monde des rêves. C'était vendredi soir, je n'avais pas envie de sortir, Dylan non plus. Nous avions tout de suite opté pour nos bonnes vieilles soirées TV shows. Nous en faisions depuis que nous avions quinze ans. Nous avions déjà regardé Lost, Roswell, Mad Men, The OC. Nous étions à jour dans Glee, Gossip Girl et How I Met Your Mother. Seule solution : recommencer à zéro la série complète de Friends. Bref. On cogna rapidement à la porte. Je me levai d'un bond, un grand sourire scotché aux lèvres. J'ouvris la porte et découvrit ma belle Dylan-Robin, aussi heureuse que moi. « IIIIIIIHHHHHHHHHHHHHHHH !!!!! » Criais-je hystériquement en lui sautant au cou. Je la tirai dans mon condo et refermai la porte derrière. « Comment tu vas ma belle ? Toujours aussi en manque de sexe ou tu t'es trouvé un étalon ? Moi j'en ai pas trouvé, putain, faut que je m'achète un vibrateur. » Déballais-je tout d'un coup.

Avec elle, j'avais l'impression de ne pas avoir besoin d'être droite et fière. Je pouvais me montrer comme j'étais réellement, c'est-à-dire sentimentale, vulnérable mais aussi délirante, bonne à être internée. Nous n'avions aucun sujet tabou, aucune limite, aucune gêne. Lorsque j'étais jeune, je voyais ces amitiés être décrites dans les livres et à la télévision, mais je n'avais jamais eu le sentiment de vivre une relation aussi intense. D'ailleurs, même en rencontrant Dylan, la confiance extrême ne s'était pas établie tout de suite. Encore aujourd'hui, ce n'était que jour après jour que nous devenions de plus en plus proches. Nous en avions encore tant à voir ensemble, tant à vivre. Dans tous les cas, ce soir, ce n'était que nous deux, de la bouffe et des séries télévisées. Ça faisait du bien de se déconnecter du monde. Me déconnecter d'Alec et de ce que tout le monde pensait de nous, me déconnecter de Jep et ce que je pouvais ressentir pour lui malgré l'impossibilité d'un "nous", me déconnecter de mon travail, me déconnecter de tout quoi. Dylan était la meilleure pour me transporter dans un monde de filles où tout est rose et en bonbons. Bref, après l'avoir accueillie dans un cri hystérique, nous commençâmes à installer les couvertures, les oreillers, la nourriture sur la table, afin d'être confortables et d'avoir tout à notre portée pour ne pas avoir à nous lever de notre petit nid. « Sans déconner, je suis grave en manque aussi, là. trois semaines sans sexe, je vais mourir. Comment ça se fait en plus que personne ne veuille de nous ? Si ça continue comme ça, je vais finir par virer lesbienne, et c'est toi qui en fera les frais ! Oh, et j'ai emmené du chinois ! » J'éclatai de rire. Le pire était que j'avais récemment eu une aventure avec une demoiselle, Bretzel, mais disons que je me sentais encore un peu trop mal à l'aise par rapport à la situation pour en parler tout de suite à ma meilleure amie. Évidemment, j'avais déjà embrassé des femmes, mais aller jusqu'à coucher avec, alors ça c'était nouveau. Je n'étais pas bisexuelle, juste très ouverte, et cette nuit-là avait dépassé ce que je pensais un jour faire. « Deux filles canons comme nous, ils savent pas ce qu'ils manquent, ces pauvres idiots. Ils vont s'en mordre les doigts quand on va s'embrasser langoureusement en bikini à la plage. » J'éclatai de rire de nouveau puis m'emparai du chinois qu'elle avec encore dans les mains. « Heureusement que Général Tao va toujours vouloir de nous, lui ! » Dis-je en reniflant les sacs avec un sourire de bébé satisfait. Une fois le salon prêt, Dylan et moi allâmes nous asseoir en petites boules sur le divan, enroulées dans les couvertures chaudes. Didi s'empara tout de suite des bonbons. « Oh mon Dieu ! Je suis en plein orgasme de sucreries, si tu savais. Tu sais comment me faire plaisir, ma chérie. » Je lui fis un petit regard pervers. « C'est parce que je te connais par coeur et en profondeur, si tu vois ce que je veux dire ... » Je rigolai en la poussant légèrement sur le côté, puis je m'emparai du DVD afin de l'insérer dans mon petit lecteur DVD portable. Pourquoi utiliser ce petit écran plutôt que la télévision juste en face ? À cause de cette superbe panne de courant qui plongeait la ville dans le noir depuis des jours. Mon appartement était bien éclairé grâce à mes fausses bougies à batteries, cadeau de maman, alors ça ne paraissait pas trop.

Avec mes blagues pourries signées Billie-la-folle, j’avais failli faire mourir mon amie. Je portai ma main à ma bouche en écarquillant les yeux, feignant d’être inquiète et désolée mais en fait j’étais morte de rire moi aussi. Évidemment, c’était parce que je savais que Dylan était sans danger, dans le cas contraire j’aurais probablement été en train d’appeler l’ambulance, les secours, ma maman, n’importe qui ou n’importe quoi, paniquée. Quand la blondinette retrouva enfin son souffle, je ris encore plus à sa remarque.« Bordel, j'ai failli mourir Billie ! En plus, ça aurait trop con comme mort, sérieux. » Je me calmai un peu pour pouvoir lui répondre. « T’imagines dans les nouvelles du journal demain matin ! Une jeune adulte meurt étouffée par un bonbon schtroumpf en gelée ! » Dis-je en mimant une page de journal de mes mains étendues vers l’avant. Une fois notre fou rire passé, je cliquai sur l’épisode de Friends que nous allions regarder et Dylan approcha la nourriture chinoise. « Oh la la, par quoi on va bien pouvoir commencer ? On dirait que j'ai fait les courses pour une semaine. » J’haussai les épaules. Je m’en fichais carrément. Nous irions faire du jogging demain, au pire. « Pas besoin de choisir par quoi commencer, tu prends tout en même temps. » Avec mes baguettes, j’attrapai minutieusement et du poulet général tao, et des nouilles cantonaises, et des crevettes, et du canard laqué. Je fourrai le tout en même temps dans ma bouche, en lâchant un « Hmmmm. » de contentement. « Tu me connais, j'en fais toujours trop. » « Et c’est comme ça que je t’aime. Allez, tais-toi, mange et bave devant le duo que forme Chandler et Joey. » Je voulais les marier, ceux-là. Au diable Ross, il n’était pas aussi sexy.

Avec Dylan, j'avais l'impression que plus rien n'était sérieux - même si nous étions capables de l'être, évidemment ! Au diable les responsabilités, quand on peut s'amuser, faisons-le avant que ce moment ne nous file entre les doigts ! Ce soir, je n'avais pas de boulot à rattraper, elle non plus, alors plutôt que de rester seules chacun de notre côté ou alors de se faire chier dans un bar en attendant que le prince charmant arrive - sachant pertinemment qu'il ne viendrait jamais -, nous nous étions réunies. Pour manger comme des porcs - et je ne me fis pas prier. « Tu es magnifique la bouche pleine. Ca fait ressortir tes lobes d'oreilles, magnifique. » Je laissai tomber mes baguettes dans une des boîtes et je plaquai mes mains sur mes oreilles. La bouche encore pleine, je m'exclamai : « Bah qu'est-ce que t'as contre mes lobes d'oreilles ? Pourquoi tu dis ça ? » J'avais les yeux ronds de surprise. Une blague cache toujours un fond de vérité, non ? J'allais devenir complexée de mes lobes d'oreilles, maintenant. Merci Dylan. Bref, l'épisode de Friends commença et je m'installai confortablement, calée dans le fauteuil, bouffe en mains. « C'est drôle, ils me rappellent un peu nous. Ce sont les inséparables, comme toi et moi, mon amour. » Je plissai les yeux en ramenant mes épaules vers le haut avec un grand sourire - style mimique asiatique tu vois - quand Dylan vint déposer un gros bisou sur ma joue. Je me collai finalement à ma meilleure amie, passant mon bras sous le sien. « T'as tout à fait raison. Faudrait devenir comme eux. Genre, encore plus tu vois. Genre ... faudrait reproduire leurs conneries. »Je nous imaginais bien déambuler dans les rues de Montsimpa en imitant nos idoles Joey et Chandler. Bref, nous nous fermâmes finalement les deux gueules et nous écoutèrent Friends, lâchant par-ci par-là quelques commentaires, mais la plupart du temps nous étions trop occupées à rire et à bouffer du chinois et des bonbons pour dire quoi que ce soit. Quand l'épisode prit fin, je laissai s'échapper un énorme rot. « J'vais exploser. »