« Bonjour à tous, bienvenue à votre premier cours de littérature cette année. »

Anxieux ? Pas le moins du monde. J’avais beau suivre un cursus scientifique, les deux heures de littératures qui nous étaient imposées chaque semaine n'étaient pas ma bête noire, et malgré mon penchant pour les chiffres je savais disserter comme n’importe lequel de ces élèves. Qu’ils me donnent n’importe quel sujet, et on en reparlera après…

« Pour les deux heures d’aujourd’hui je vous demanderais d’être plus que concentrés. Ce que vous produirez aujourd’hui sera noté ! »

Et bam ! Ca commençait bien. Adieu la petite école, bonjour l’université.

« Vous allez tous prendre une feuille … »

Ni une ni deux, j’attrape mon stylo, dégaine mon bloc-notes, près à écrire.

« Aujourd’hui, votre production écrite portera sur … Vous ! »

Incompréhension dans la salle. Tous fixaient la prof d’un air étonné, voire abruti. Même moi, je dois l’avouer. Je ne comprends pas où elle veut en venir.

« Je veux que chacun me rédige une présentation caractérielle de sa propre personne. »

Quoi ?

« Par pitié, je ne veux ni d’éloges mensongères, ni de fausse modestie, et croyez-moi, je sais les reconnaître ! Je veux un texte vrai, un texte qui parle de vous. Je ne veux pas trois pages de connerie, juste quelques lignes de vérité. Je veux connaître chacun de vous selon votre point de vue. Je ne vous jugerais en aucun cas, ayez confiance, de toute façon, vous n’avez pas le choix. Alors mettez-vous au travail, mais prenez votre temps ! Inutile de préciser que celui qui ne se prêtera pas au jeu se verra gratifié d’un 0 ! »

Je restais sur le cul, vraiment. Jamais un professeur n’avait demandé pareil exercice. Et en toute sincérité, cela ne m’inspirais rien du tout. Je m’enfonçais dans ma chaise sans la moindre inspiration, observant d’un œil paniqué le reste de la classe se mettre au travail. Commencer l’année avec un zéro ? Moyen, surtout pour un boursier comme moi, mais je ne voyais pas du tout quoi écrire ! C’est pourquoi durant les dix premières minutes, je m’entrainai à faire tourner mon stylo autour de mon index. Notre professeur, loin d’être stupide, se dirigea bien vite vers moi, et s’accroupît pour me regarder dans les yeux. Elle savait mettre les gens à l’aise, il n’y avait aucun doute !

« Quelque chose ne va pas ? »
« On peut dire ca comme ça… »
« Et je peux savoir de quoi il s’agit ? »
« Le sujet ? »
« Oh ! C’est vrai, vous paniquez parce que vous n’avez pas révisé, je vous rassure tout de suite, vous avez les connaissances requises ! »
« Tordant..! »
« On me le dit souvent… Plus sérieusement, quel est votre problème ? »
« Rien c’est juste que… »
« …Oh ! Je comprends en fait. C’est vous le problème ! Tout s’explique ! »
« Bien sur que non ! Je vais très bien ! »
« En êtes-vous sur ? Si tel est le cas, prouvez le moi. Montrez-moi qui vous êtes en rédigeant ce devoir ! A moins bien sur que vous n’assumiez pas ce que vous êtes… Je comprendrais, seulement, si c’est le cas, vous n’avez rien à faire dans ma classe ! »

Piqué à vif par cette femme dont l’audace me surprenait de seconde en seconde, je fronçais les sourcils et me tassais davantage dans ma chaise en signe de protestation interne. Aussi pour lui faire comprendre que la conversation était terminée. Je voulais simplement qu’elle aille enquiquiner un autre élève et qu’elle me foute la paix, de l’air, j’avais besoin d’air.

« Bien. Je vous laisse réfléchir. »

Elle se releva et disparu bien vite de mon champ de vision. Mon regard se posa à nouveau sur ma copie vierge. Je devais faire un choix. Je pouvais sortir de la classe pour ne jamais revenir, et oublier ce stupide devoir, mais prendre le risque de perdre le seul professeur digne de ce nom que j’ai jamais rencontré. Je pouvais aussi réfléchir réellement à ce que j’étais, et me livrer totalement sur ce vulgaire bout de papier, quitte à passer pour un crêtin. Après tout… J’avais été un crêtin toute ma vie, pourquoi changer aujourd’hui ? J’attrapais mon stylo, jetai un regard méfiant derrière moi. Elle me fixait un sourire encourageant aux lèvres. Je pouvais commencer.

« Salut, je m’appelle Gabriel, et en toute honnêteté, dans la vie, je suis un vrai connard ! Depuis dix-huit ans déjà, je passe mon temps à me foutre de tout et de tous. J’en ai rien à faire des gens, la seule chose dont je suis capable, c’est leur faire du mal, et à ce jeu là, sans me vanter, je suis vraiment doué. Mais n’allons pas trop vite en besogne. Toute présentation qui vaille la peine se doit d’être structurée, et vu que j’en ai pour deux heures à plancher sur ce devoir, autant organiser tout ça !

En apparence, je renvoie l’image d’un mec mystérieux, vous savez, le genre de type, tu ne sais pas d’où il vient, ce qu’il fait, où il va, mais put*** tu ne peux pas t’empêcher d’être attiré par lui. C’est ce que j’appelle « l’aura ». C’est magnétique, quand quelqu’un t’intrigue, tu te dois de percer son mystère. Simple reflexe psychomoteur. Ben, dans le genre énigme à résoudre, je me débrouille ! C’est bien simple, j’intériorise tout (d’ailleurs je me demande bien ce qui me prend d’écrire ça !). Ma vie ne regarde que moi. Je suis comme ça, secret. Je n’aime pas parler de ma vie, de mes problèmes, encore moins admettre que j’en ai. Oui parce qu’en plus de pas être bavard, je n’aime pas avoir tord, ni reconnaître mes tords (sacré tableau je sais !). Quand on me démontre par a+b que j’ai merdé, ça m’énerve ! Il faut dire aussi que ça ne m’arrive pas souvent de me tromper. Je ne l’ouvre pas beaucoup, mais quand je l’ouvre, j’évite de dire des conneries.

Cependant, je dois l'admettre je sors facilement de mes gonds. C'est plus fort que moi, quand un truc m'énerve, je n'arrive pas à passer outre. Je ne contrôle plus rien, et surement pas mes pulsions. Je suis quelqu'un de terriblement sanguin et je réagis au quart de tour. Susceptible. PAS DU TOUT! Possessif ? Surement pas! Je défens simplement ce qui m'appartient, ce qui me revient de droit. Le plus souvent, ce sont les femmes, et croyez moi, à ce sujet je suis intraitable. Elles sont mon talon d’Achille, et pourtant je ne m'y attache pas. Mon "j'en foutisme" envers elles à le dont de les agacer au plus au point !

J'ai développé ce simulacre de desinteret grâce à ma confiance en moi (légendaire !). Je ne le cache pas, je crois en moi. Je ne nierai pas non plus que j’ai une certaine fierté, cependant, je n’en suis pas fier (ahahah, quel jeu de mot !). Ma fierté me pose parfois problème, elle m’empêche de faire ce dont, parfois, je meurs d’envie. Saloperie de fierté. La mienne elle m’oblige à être con quand je voudrais être bon. Elle m’oblige à être un salaud quand je voudrais être un type bien. Elle m’oblige à faire des trucs stupides que je regretterai au lieu d’écouter mon cœur et de faire ce que je veux réellement. Ma fierté, je le sais, elle me tuera un jour, mais en attendant, sans elle, je me sens nu comme un ver. Alors je conserve cette carapace, mélange de chevilles gonflées et d’actes stupides, qui au final parvient à me rassurer.

Avec toute cette confiance, j’ai pu développer une certaine ambition. Je mène tous mes projets à bien, je crois en ce que je fais, je suis passionné par mes projets. J’aime entreprendre des choses, diriger, prendre en main. J’aime commencer en bas de l’échelle pour finir au sommet. Et pour cela, tous les moyens sont bons. Je suis fourbe, manipulateur, séducteur (quand il le faut), en bref, complètement impliqué, habité, et je ne lâche jamais l’affaire, oh que non ! Ca serait comme avouer sa défaite. Je me bats toujours jusqu’au bout, je ne m’avoue jamais vaincu.

A cause de cette ténacité dans tout ce que j’entreprends, j’ai écopé d’un caractère de merde ! Côté subtilité, je passe mon tour. Brut de décoffrage, je dis les choses comme elles sont, j’oublis souvent de mettre des gants (je le fais parfois avec ceux que j’aime, et encore, c’est dire). Je créer des disputes pour un rien, je m’imagine toujours le pire, je deviens jaloux en un claquement de doigts, je me tâte constamment, change d’avis, reviens encore dessus, en bref, je dois vraiment être impossible à vivre ! C’est surement pour ça que j’aime être tout seul. Je veux me prouver que je peux y arriver seul. C’est comme si j’essayais de me prouver quelque chose à moi-même, quelque chose dont j’ignore tout, mais que malgré tout, je continu a chercher. Je suis un chouilla torturé. Mais je le vis bien. Enfin… Je crois.

On arrive au terme de ces deux heures. Je ne sais même pas si j’ai eu le temps de faire le tour de mon (sale) caractère. J’espère que cette présentation vous aura convaincu de me mettre une bonne note, si ça n’est pas le cas, j’espère que cette girafe corrigera le tir :

[Seuls les modérateurs ont le droit de voir cette image] »


Une semaine plus tard.

C’est avec la peur au ventre que je pénétrais dans la salle de littérature. Oui, un nœud dans l’estomac me rendait nerveux, pourtant, j’attendais ce cours avec impatience, je voulais savoir ce qu’avait donné ce fichu devoir ! J’observe avec impatience la marrée d’élèves entrer. J’ai envie de les houspiller, de leur crier d’accélérer le pas. Je conserve néanmoins mon calme. La prof nous observe d’un œil sévère. La porte se ferme, enfin. Un paquet de copies dans les mains, notre professeur déambule désormais dans toute la classe, distribuant sans aucun commentaire chaque copie. Les minutes défilent, le tas de copie diminue, mais mon tour ne vient pas. Dernière copie. Fallait que ça tombe sur moi… Remarque, il faut bien un dernier ! Elle dépose la copie sur le coin de ma table, et je m’en empare avidement sans plus prêter attention à elle. Ma note ? 19.5/20 ! Le commentaire :

« Je suis enchantée de faire votre connaissance Garbiel. Vous perdez un demi-point pour ne pas avoir relevé explicitement sur le papier votre plus grande qualité : votre sincérité à toute épreuve ! Joli dessin, ma fille fait les mêmes ! »


La musique résonnait dans mes oreilles, mon cœur battait au rythme des musiques dance qui s’échappaient des enceintes de la maison, et je cherchais à mettre la main sur une bouteille de vodka encore pleine. Un sourire par-ci, un clin d’œil par-là. Voila bien longtemps que j’étais passé maître dans l’art de plaire et de me faire désirer. Je n’étais pas sympathique (loin de là !), j’étais juste désirable. Mon paternel (trader de son état) me répétait sans relâche « si quelqu’un n’a pas besoin de ce que tu as à lui proposer, créer ce besoin ! ». Alors je créais ce besoin. Ouais. Je les obligeais à avoir besoin de moi. Une fois l’objectif atteins, j’avais l’embarras du choix (et des années d’expérience) pour disparaître de leur vie, et ce, sans un préalable sevrage. Je ne savais pas si on pouvait me définir comme un parfait connard (quoique m’approchant de la perfection ha ha. Ahem.) J’avais un besoin malsain d’être aimé mais je fuyais les attaches comme la peste. Il faut dire qu’après s’être fais jeter tel un malpropre de chez soi à 18 ans à cause d’une simple histoire de coke par ma famille, j’avais bien moins envie de faire confiance à qui que ce soit ! « Gaaaab’ ! Par ici ! ». Je relevais un sourcil inquisiteur et cherchais d’où provenait la voix de ce qui semblait être une de mes nombreuses conquêtes. Ou qui ne tarderait pas à le devenir si tel n’était pas le cas. Je découvrais adossé contre le mur une Sarah ivre morte qui s’affala contre moi dès que je fus a porté de bras. Finalement, on oublie pour la future conquête ! « Ca me fait super plaisir que t’ai pu venir ce soir. T’as faim mon chou ? » J’esquissais une légère grimace lorsque ce « mon chou » passa le seuil de ses lèvres. Elle attrapa un saladier de cochonneries sucrée. Bien trop sucrées. « Sers-toi ! Tu rentres de ton entraînement non ? Tu dois avoir terriblement faim ! » Je ne relevais pas le fait qu’elle se souvienne de mes horaires d’entrainement et déclinait sa proposition. « Non merci Sarah. » Toujours veiller à citer le prénom. « CHRIIIIS ! » L’intéressé accouru. « Tu me dois 50 €, il a refusé ! » « Mec t’es pas sérieux ! » Incompréhension totale bonjour. « J’avais parié à Chris que tu ne mangerais rien de ce que je te proposerai. Comme à chaque fois. A croire que tu ne manges jamais en soirée. » « Gab’, vraiment, je pensais me faire de l’argent facile ! Aide moi ! Mange un truc s’teuplai ! » couais avec fermeté la tête. « VICTOIRE ! » « 50 balles mec ! Putain ! Je suis ton pote merde, manges un de ses bonbecs et on partage là! » « Lâche l’affaire… » Chris m’agrippa par la manche, mais sa poigne était si molle qu’on pouvait très aisément prédire son état d’ébriété. « Chris lâche moi, je ne mangerai pas ces merdes. » Je le repoussais doucement mais avec fermeté. « Ces merdes, ces merdes. Monsieur prône la nourriture bio peut-être ? » « Peut-être tu devrais y songer vu la largeur de ton postérieur darling. » Ok. C’était complètement foutu pour la conquête. Mais je voulais qu’ils me lâchent. Je tournais les talons en laissant derrière moi une Sarah outrée et un Chris moqueur bien que fauché. J’empruntais le chemin de l’étage et pénétrais dans une chambre vide. Dieu que j’en avais marre. Je sortais de ma poche de jean une large pochette que je dégrafais avec aisance et habileté. Avec habitude surtout… J’en extirpais une seringue. Je relevais ma chemise sans plus de cérémonie et plantais l’aiguille dans mon ventre. La porte s’ouvrit. Je me retournais rapidement, identifiant un couple clairement désappointé que je me trouve à cet endroit. Il fixèrent la seringue et je m’empressais de les chasser ivre de colère. « PUTAIN ! Mais frapper vous connaissez pas ? Si je rentrais alors que vous copuliez, ça vous ferait autant chier ! Dégagez ! Vite !. » La porte claqua. La seringue était vidée. Je pestais intérieurement de ne pas avoir été plus prudent, de ne pas avoir choisit un endroit plus discret. Si ca se savait… Déjà je me sentais mieux. Je rangeais tout mon attirail qui me faisait ressembler à un camé de première zone. Si seulement… Diabète de merde, je t’emmerde.


« Hey mec, je t’ai pas dis ?! J’en ai rencontré une l’autre soir. Je crois bien que j’ai touché le gros lot » Darren est un prétentieux. Un concurrent également. Je n’arrivais d’ailleurs jamais a mettre le doigt sur ce qui pouvait séduire les filles chez lui, mais en apprendre un peu plus sur les aventures d’un « adversaire » ne pouvait que m’être bénéfique. « Raconte… » « Blonde, super bien gaulée, et d’une souplesse… Enfin une fille à ma hauteur. » Sinon tes chevilles se portent bien ? « Et alors au lit… Un feux d’artifice mec. J’en ai encore des courbatures… Mais je peux te dire qu’elle a pris son pied comme jamais. » « J’ose imaginer… » « Ah je peux te dire la petite Loïs la prochaine fois que je la croise j’en fais plus que mon quatre heures… » Mon cœur a raté un battement. La petite qui ??? « Loïs ?!! » J’ai chaud. Je sens que j’ai chaud. « Ouais ouais, une étudiante en médicine super bien foutu… » Je le dévisage et tout simulacre de sympathie a déserté mes yeux. Résiste. Résiste. Putain elle a pas fait ca. Pas avec lui. Et merde ! Je n’arrive pas à réfréner à temps mon envie de lui coller mon poing dans la tronche et je sens son nez s’aplatir contre mes phalanges. Le tout accompagné d’un magnifique bruit ressemblant à un brisement d’os. Sans oublier un Darren hurlant de rage. Je me souviens qu’il a répliqué. J’ai surenchérie. Cependant. J’avais oublié de remarquer la bière qu’il tenait à la main. Sans le voir venir, Darren m’envoi sa bouteille en plein visage et je la sens se briser contre ma mâchoire. Intuitivement je ferme les yeux afin d’éviter de recevoir le moindre éclat dans les yeux. Le salaud. Une violente douleur m’assaille de toute part. Je reçois un coup de pied dans le ventre que je ne parviens à éviter de par ma cécité momentanée. J’atterris au sol comme un malheureux. « Connard ! »
Darren s’en va, me laissant à terre en suffoquant. Je sens un liquide chaud me couler le long de la gorge. J’ouvre enfin les yeux. La douleur se fait plus vive. Je crache ma salive mais découvre avec un rictus qu’elle a davantage l’aspect du sang. Un gout métallique m’envahit la bouche. J’ai mal. Et c’est un doux euphémisme. Je tremble de tout mon corps et n’arrive pas a bouger. Et ce liquide chaud qui continue a couleur. Je comprends enfin que je suis en train de pisser le sang a même le sol. Je porte ma main à ma gorge en effleurant le dessous de mon menton. Ce contact m’arrache un cri de douleur. Je peux clairement sentir un bout de verre encore planté sous mon menton. Merde… J’extirpe mon portable de ma poche et compose un numéro en essayant de trouver appuie contre le mur derrière moi. « Loïs, je crois que j’ai besoin de toi. Maintenant. »


Encore un matin. Encore un matin à ouvrir les yeux pour découvrir le plafond défraichi de ma cellule. Encore un matin à grimacer parce que j'ai oublié à quel point ils m'ont cogné fort hier soir. Encore un matin ou je resterai bien sur la planche de bois qui me sert de lit depuis déjà deux mois. Encore un matin où mon regard se pose sur la mince fenêtre qui permet à la lumière de passer à l'intérieur en me essayant de me rappeler quelle sensation cela fait d'être libre. J'ai oublié. j'ai tout oublié. Quel bruit font le moteur des voitures, de quelle couleur est le parquet de la chambre d'ami chez mes parents, quel gout ça a le chocolat, comment c'est l'intimité, comment c'est la liberté. J'ai tout oublié. J'ai presque tout oublié. Tout, sauf elle. Comment l'oublier ? Mais chaque jour elle revient, et ce depuis plus de deux mois. Sans que je ne sache pourquoi. Sans jamais aborder mon arrestation. Mais toujours avec le sourire, et Dieu merci sans une once de pitié au fond de ses yeux. Comme a chaque fois on m'appellera en salle de visite. Je la verrai assise derrière la vitre qui me sépare du monde depuis mon arrestation. Elle posera sa main contre le verre, je ferai pareil. Elle me racontera sa journée, me racontera une blague qui m'arrachera un rire non sans douleur. Elle me demandera si j'ai mal. Je répondrai "courbatures". Elle fera semblant de me croire. Elle parlera du mec de la veille. Je changerai de sujet en déclarant que moi aussi j'en avais "une multitude de mec ici". Je la ferai sourire. Le gardien me fera signe que le temps des visites est écoulé. Elle m'adresserai un dernier sourire, et sans un mot, s'éclipserait. Jamais elle ne disait "a demain". Alors j'espérais la revoir le jour suivant, puis celui d'après, puis le surlendemain. Encore un matin, puis un autre matin. Encore un matin oui, mais je sais qu'elle sera là.