La vie est vraiment injuste. Certains vivent une enfance heureuse, pendant que d'autres souffrent en silence. On ne peut rien pour eux, c'est ainsi. Il faut se résigner, et malgré tout réussir à surmonter nos épreuves. Pourtant, le bonheur était une chose presque évidente lorsqu'on voyait le milieu dans lequel j'ai grandi. Née dans une famille aisée, je ne manquais de rien, mes parents m'aimaient et rien de plus ne comptais. J'avais une sœur jumelle également. Toujours ensembles, on avait l'habitude de faire les quatre-cent coups. Ma meilleure amie, ma confidente, celle qui me connaissait par cœur. Voilà ce qu'elle représentait à mes yeux : la personne parfaite. Mais comme on le dit si bien, les meilleurs partent les premiers. Et elle ne manqua pas à la règle.

« En te levant le matin, rappelle-toi combien précieux est le privilège de vivre, de respirer, d'être heureux. »


« Je t'en supplie Eden, ne me laisse pas. Pas maintenant. Pas dans ce monde de brutes. J'ai besoin de toi près de moi, je ne sais pas comment je vais faire si tu t'en vas. Tu sais, personne sur cette foutue ne me connaît mieux que toi. Je dirais même que même moi je ne me connais pas assez. Tu ne peux pas. Accroche-toi. Pour nous deux. Pour moi. »

Les larmes coulaient sur mon visage. C'était plus fort que moi. Je ne pouvais plus me retenir. Cela faisait beaucoup trop longtemps que je refoulais ma peine. Je n'arrivais plus à être la fille forte et optimiste que j'étais. J'ai cru en toi, j'y ai cru tellement longtemps, si tu savais... Mais la réalité nous rattrape un jour ou l'autre. Il n'y a pas de place aux rêves dans ce monde. C'est impossible. Une fait, plus ou moins important, vient toujours gâcher la tranquillité. Comme une malédiction. Celui qui nous empêcherait d'être heureux toute notre vie. La vie, si tu savais comme je la déteste. Pourquoi toi ? A cet instant précis, j'aurais très bien pu être à ta place. Nous marchions l'une à côté de l'autre et en l'espace d'une seconde, une malheureuse petite seconde, ta vie – ainsi que la mienne – fut entièrement chamboulée. On dit que le hasard fait bien les choses. Moi, je dis que non. J'ai un sérieux problème avec lui d'ailleurs. Le hasard. Jamais je n'ai perdu espoir, jamais. Je ne cessais de penser à elle, je ne pouvais l'oublier ou du moins essayer. Je ne veux pas l'oublier. Elle est ma moitié. Et si elle va mal, je le suis également. Même si son cas est plus grave, j'en reste atteinte psychologiquement.

Le son émis par son électrocardiogramme est de moins en moins fréquent. Le temps entre chaque « bip » se fait plus long. De plus en plus long. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus d'intervalle. Plus rien. Seulement un son continu. Celui qui annonçait la fin. La fin de tout. Je restais figée là, devant toi, ne sachant que faire. De toutes façons, il n'y avait plus rien à faire. Il m'a fallu du temps avant de comprendre ce qu'il se passait. Tout allait tellement vite. En l'espace d'une minute la chambre rassemblait une dizaine de personnes. Des médecins, des internes et des infirmiers. Mais ils n'étaient pas là. Mes parents étaient absents. Je sentis mon cœur se déchirer. En réalité, je suffoquais. L'air devenait de plus en plus lourd, et je n'arrivais plus à prendre correctement ma respiration. Si bien qu'un vertige me prit puis la seconde d'après, plus rien. Un malaise, voilà ce qui m'était arrivé. Quelque chose de tellement insignifiant.

« On prend toujours un train pour quelque part. Au bout du quai flottent des mains et des mouchoirs. »

Passons ce passage dramatique dans ma vie. Elle n'est pas misérable non plus. Les personnes avec qui j'ai grandi à Londres étaient toutes exceptionnelles. Au fur et à mesure du temps, nous avons tissé de bons liens, l'amitié, la vraie. Sans hésitation, je vais citer ce cher Dakota Winstead. Lorsqu'on est enfant, un rien nous fait rire, on veut découvrir le monde et sans cesse repousser ses limites. C'est un peu ce que nous faisions tous les jours, lui et moi. Notre jeu favori, celui qui est le fondement de toute notre amitié, est le « cap ou pas cap ». Peut-être était-ce idiot, mais nous nous amusions, et là était l'essentiel. Des heures folles à faire tout et n'importe quoi. A faire morfler les autres, nous inventer des défis tous aussi extraordinaires les uns que les autres. L'entente parfaite. Le bonheur à l'état pur. Grandis ensemble à Londres, notre imagination était débordante. Tout y passait, et tout le monde surtout. Les parents, les professeurs, la vieille du dessus, le jeune couple d'à côté, la baby-sitter. La liste serait bien trop longue. Je me rappellerais toujours de ce jour, à l'hôpital. Nous jouions avec la vie, c'était glauque et immoral. Mais c'était drôle. Seul Dieu sait comment nous avons réussi à entrer dans la morgue. Lieu préféré des internes en médecine au passage, pour leurs « expérimentations ». Seulement, disséquer le corps d'un enfant, c'est franchement dégueulasse, le pauvre. Après notre passage, ils allaient le comprendre. « Cap de te faire passer pour une morte dans la morgue et de faire flipper les étudiants jusqu'à ce qu'ils pissent dans leur culotte ? Alors cap ou pas cap ? » Un sourire malicieux aux lèvres, je ne pouvais qu'accepter. Mais avant, je devais poser mes règles aussi. « On va se faire choper à tous les coups. Quand on nous demandera des comptes, tu leur diras que c'est le teletubbies vert qui t'a soufflé à l'oreille cette idée. Cap de te faire passer pour un dingue ? » Game on. Allongée et recouverte d'un drap blanc, je n'attendais plus que leur entrée, le moment où ils allaient me découvrir, et le moment où j'allais leur donner la peur de leur vie. C'était trop booooon, je jubilais à voir l'expression de leur visage. Pari réussi.

C'était la belle époque. Celle où j'étais encore jeune et insouciante. J'étais encore un enfant dans mon esprit. Le drame nous fait grandir subitement. J'ai du prendre quinze ans d'un coup, ça fait un choc. Peu de temps après ce cinéma à l'hôpital, nous avions commis l'irréparable. Le défi de trop, celui qui n'allait pas être drôle du tout. « On ne se voit plus pendant cinq ans, cap ou pas cap ? » J'ai cru avoir mal entendu l'espace de quelques secondes, mais très vite, je me repris : « Bien sûr, compte sur moi ! » Qu'est-ce que cela voulait dire finalement ? En avait-il assez ? Tout se bousculait dans mon esprit, et de toutes façons, je ne pouvais rien faire d'autre qu'accepter. Peu de temps après, Eden est décédée. Et je souffrais de l'absence de Dakota. J'avais besoin de lui. Impossible, un pari est un pari. Rendez-vous dans cinq ans.


« Quand on ne peut pas changer le monde, il faut changer le décor. »

Vivre chaque jour sans elle devenait de plus en plus pesant. Je n'arrivais plus à supporter ce manque. Un énorme gouffre avait pris sa place dans mon cœur, un vide que je ne pourrais à présent plus jamais combler. J'ai encore du mal à y croire. Parfois, la nuit allongée dans mon lit, je me mets à lui parler. Je peux paraître pour une folle, mais je n'en ai que faire. J'ai besoin de lui parler. Cela me permet de m'évader. Sinon, la journée, j'écris. Tout ce qui me passe par la tête, et je ne quitte jamais mon petit carnet. L'écriture m'aide à retranscrire mes émotions. Ce que je n'arrive pas à dire, je l'écris. C'est tellement plus simple. Au moins, mon ordinateur ne me pose pas quinze mille questions. Il me laisse tranquille. Depuis que tu n'es plus là, j'ai beaucoup changé. Crois-moi, j'essaye de rester la même, mais c'est mission impossible. Je ne sors plus, je ne ris plus, je ne vis plus. Une partie de moi est partie avec toi. Tu es partie. Et je dois m'en aller. Je ne veux plus aller au café du coin sans toi, c'était notre endroit. Je ne veux plus passer devant une chambre vide chaque soir avant d'aller me coucher. Je voudrais tout effacer. Seulement ma peine. Mais toi, je ne veux pas te perdre. Après tout, tu es toujours vivante pour moi, du moins tu l'es dans mon cœur. Tu sais, j'ai parlé avec papa et maman, chose quasi impossible ces derniers temps, et je m'en vais. Ils ont accepté. En même temps, je leur ai posé un gros dilemme. Je suis affreuse, sans pitié, dégueulasse. Je leur ai dit que c'était ça ou il me perdrait. Mais sans cette décision, je n'irais pas mieux. Tout ce que je vois me rappelle ton sourire, ou alors tes yeux ou bien encore ta façon si élégante de marcher dans la rue. Je te vois partout. Et je ne peux plus continuer ainsi. Au revoir Londres.

Quoi de mieux qu'une ville au nom sympa pour se reprendre en main ? Je n'avais jamais entendu parler de Montsimpa avant, je ne sais d'ailleurs plus comment j'ai découvert ce lieu. En tout cas, je pense ne pas avoir fait le mauvais choix. Dix-sept ans aujourd'hui, et je ne vis plus avec mes parents. Adieu le cocon familial. Et ça ne l'est plus depuis bien longtemps. Nouveau lycée, nouveaux amis, nouvelle vie, nouvelle moi. Je ne suis plus la fille joyeuse et dynamique que j'étais avant, mais j'essaye d'arranger tout cela. Je ne peux plus me morfondre. Tu as laissé ta vie, et je suis toujours vivante. Je n'ai pas le droit de me laisser aller. Profiter de la vie au maximum. Profiter pour deux personnes. Toi, et moi. J'ai plein de projets en tête, tu sais ? Après avoir terminé le lycée, je suis entrée à l'université pour faire carrière dans le cinéma. Pour cela, je dois être la meilleure, monter tous les échelons, et travailler en parallèle. Il me faut de l'argent, tout simplement. Il faut s'armer de patience et attendre. Mon œuvre sera phénoménale, tout comme toi. Mais j'aimerais aussi publier un roman. Ne t'en fais plus pour moi, je vais de mieux en mieux. Pour toi. Pour nous.

Et pour le plaisir

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