Affalé devant le canapé de la caserne, Liam se surprenait à ne pas penser à grand chose. En fait, si. Il adorait ne penser à rien, mettre son piteux cerveau au chômage technique et goinfrer son estomac de chips et autres bières nuisibles pour garder un semblant d'hygiène de vie. Il ne discutait pas tellement avec ses collègues, il les trouvait en général plutôt con. Si seulement admettait-il que son attitude hautaine n'était provoquée que par le sentiment que les autres mâles venaient parfois trop jouer sur ses plates-bandes. Mais n'espérez pas un aveu de bonne foi de la part de notre effronté. La seule chose qui le sortit de sa torpeur fût le bruit de la sirène d'alarme. Enfin un peu d'action, et dans ces cas là, sa cervelle ne peinait pas le moins du monde à passer de « off » à « on ». Liam enfila ses bottes, sa veste et son casque aussi vite qu'il avait plongé quelques minutes plus tôt dans l'hébétude médiatique des images idiotes défilant dans le petit écran.

Presque en un éclair (disons qu'ils vous aurait sans doute dit ça), le Sauveur prit place dans le camion en compagnie de sa brigade. Le véhicule rouge filant déjà à toute allure vers la source du feu. A priori, c'était un cas plutôt classique d'incendie de maison familiale et sans histoire. Mais l'Anglais avait appris que parfois des histoires bien plus complexes se cachaient derrière les rideaux de dentelles d'une bonne famille. Arrivés sur les lieux, l'équipe se déploya tout autour du bâtiment, le Fonceur n'eut que faire des ordres de son supérieur et s'aventura rapidement à l'intérieur. Il n'y avait plus personne dans le foyer, fort heureusement, à croire que personne n'avait été présent pour déclencher les flammes. Chacun campa ensuite son rôle et apporta l'eau au moulin pour éteindre les flammes. Le feu étant enfin stabilisé, Liam se retourna pour apercevoir un petit attroupement. Jusque là rien d'inhabituel, à croire que les gens aimaient se nourrir des misères des autres. Comme si observer les ravages du voisin exorcisaient votre propre peur que cela vous arrive. La police étant également arrivée sur les lieux, le Solitaire fût bien surpris de voir une femme brune franchir sans aucune gêne le ruban séparateur de la scène. Machinalement, Il posa une main à plat sur l'épaule féminine pour l'inciter à reculer. De son ton le plus avenant, il la mit en garde. « Reculez, il n'y a rien à voir, vous n'avez rien à faire ici. »

Vêtue d'un jogging de la même couleur que sa chevelure, Isabel arpentait au moyen de grandes foulées les rues de Montsimpa. Image rien de plus habituelle que celle-ci, puisqu'il s'agissait d'un de ses rituels. Par contre ce qui l'était moins c'est la fumée qui se dégageait d'une des maisons non loin de son chemin. Emportée par la curiosité la journaliste fit donc un léger écart sur son parcours afin de jeter un coup d'œil. Quelques personnes stagnaient là ; devant la scène, accompagnées de policiers et pompiers. Après s'être hissée sur la pointe des pieds et s'être rendue compte que coincée derrière le ruban de sécurité elle ne voyait définitivement rien, ou du moins rien d'intéressant, elle prit le parti de passer en dessous. Comprenez que suite à des années où elle avait des accès privilégiés, se retrouver contrainte au même régime que le voisin du coin, c'était frustrant. Ou peut-être était-elle juste mal élevée, va savoir. En tout cas son audace ne passa pas inaperçue, puisqu'il sembla opportun à un inconnu de l'arrêter dans son avancée.

Arborant un sourire mielleux, celui-ci se transforma bien vite en un moins doux, plus narquois, tandis qu'elle détaillait un sourcil haussé la tenue de son ralentisseur. Un pompier. Logique vous me direz vu le spectacle brûlant. Mais il fallait un peu plus qu'un guignol du feu pour la ralentir. Sincèrement, avec tous ces stripteaseurs qui revêtaient ce même genre de tenue, il ne fallait pas s'étonner que ce métier ne soit pas prit au sérieux. De plus, un guignol qui venait de poser sa main sur elle. Ouais, comme ça. C'est dans ce genre de situation qu'Isabel regrettait d'avoir tourné le dos à sa vocation de flic. L'idée de pouvoir brandir sa plaque au nez de l'impétueux était plus que jouissive ; seulement elle ne put que lui envoyer un regard noir -ce qui était légèrement moins impressionnant-. Avant d'asséner quelques mots, deux doigts féminins prirent la fonction de pince et attrapèrent la présence étrangère sur son épaule pour l'en écarter. Maintenant le corps libéré, la demoiselle se tourna vers l'objet de l'attention du voisinage. « Oh vraiment, rien à voir ? » Vague mouvement de tête vers le taudit fumant. « Et ça ? Une maison qui brûle, j'appelle ca 'quelque-chose' à voir personnellement. Et en tant que citoyenne lambda, le malheur de mon prochain m'intéresse. Il me touche. » Elle papillonne des cils, peu convaincue par ses propres termes. Le malheur intéresse non pas pour compatir, mais pour se complaire dans le fait que notre vie n'est pas si triste que ça finalement, en comparaison. Les pieds de la belle définitivement ancrés dans le sol, inutile de préciser qu'ils n'allaient pas bouger de là. Ou alors pour s'approcher encore d'avantage. « Rendons cet échange moins désagréable, et plus utile ! » Finit-elle par lâcher vivement. « Vous savez comment le feu a démarré ? Un incendie criminel peut-être ? » Sous-entendu : le thème de ma prochaine enquête peut-être ?

Une réfractaire ? Tiens cela faisait un petit moment que cela ne lui était pas arrivé. Enfin de quoi s'amuser un peu dans cette ville où tout le monde semblait parfois avoir un sourire colgate plaqué en permanence sur le visage. Ses sourcils se froncèrent à la sensation de la pince insidieuse venant le déloger de l'épaule de la Téméraire. Il eut tout à coup l'impression qu'une crotte de chien laurait fait le même effet à son interlocutrice. Celle-ci semblait d'autant plus nullement se démonter, d'un ton froid il lui répliqua : « Je vois que vous êtes perspicace, c'est une maison qui brûle effectivement, mais jusqu'à preuve du contraire les citoyens lambda n'ont rien à faire dans les parages immédiats d'un incendie, à moins que vous ne soyez particulièrement suicidaire. » Inutile de dire qu'elle savait faire preuve d'un certain culot mais que néanmoins sa prose altruiste ne l'avait nullement convaincu. Il fallait vivre dans le monde des bisounours pour penser qu'un individu s'intéresse à son prochain, et quoique Montsimpa s'apparente parfois à une étrange dimension parallèle, n'allons pas pousser le paradoxe jusque là. C'est donc pas pour le moins du monde décontenancée que la jeune femme poursuivit son interrogatoire. Un sourire s'étira sur ses lèvres : « Non mais sérieusement ? Vous pensez que j'ai le temps d'avoir une conversation agréable, vous êtes quoi au juste flic ? » En réalité, le soldat du feu ne se doutait aucunement de l'activité précédente de sa nouvelle compagnie, mais sa façon d'être, le ton de sa voix, tout laissait entendre qu'elle aurait pu effectuer ce travail à merveille. Il ne voyait pourtant aucune raison de lui répondre, il n'avait d'ailleurs pas pour habitude de ménager les badauds. « Tant que vous ne me montrez pas une plaque de flic ou un truc du genre, je ne vous dirai rien sur la nature de cet incendie. Lisez donc la presse demain. » Pas des plus avenants pour répondre, mais pour lui tirer les vers du nez, elle devrait se montrer plus convaincante. Elle devrait au préalable lui passer sur le corps, et en débattre avec cette tigresse, cela lui disait bien, justement il trouvait que sa vie manquait légèrement de piment ces derniers temps...