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Juste laisse-moi tranquille.
Mathéo & Anthéa

Lever. Se lever. Lever du soleil et puis lever personnel. Je suis au taquet. Il est onze heures et mon réveil sonne. J'ai travaillé de nuit hier, ducoup c'est comme si je me levais tôt. Autour de moi, tout est inhabituel. J'essaye de retrouver ma salle de bain avant de me rappeler que justement ce n'est pas mon appartement. Décidément, je n'arrive pas à me faire à ce déménagement. D'habitude, je suis un type plutôt cool, je prends tout au bon degré, je ne refuse rien et je m'adapte à tout. Cette fois-ci également, sauf que vraiment c'était trop étrange et tordu, et que j'aurais mieux fait d'y réfléchir au lieu de prendre une décision comme ça, du jour au lendemain. Quatre jours que j'habitais ici, quatre jours que je me débrouillais pour ne pas la croiser. Le miroir de la salle d'eau m'imposa mon reflet, un peu pâle et les traits un peu tirés. Les réverbérations de ces affreux néons me donnaient un teint ignoble et faisaient ressortir mes cernes. Barf, voilà que je me faisais des réflexions de fille maintenant. Non mais vraiment, pourquoi ai-je accepté de vivre chez Anthéa ? J'aurais dû l'obliger à venir chez moi dans ce cas, même si c'était quasiment un décor de fin du monde niveau rangement et déco. Voilà que je me retrouve debout dans une salle de bain presque féminine, ayant presque honte de m'y trouver. Ouais, c'est ça, honte. Comme un gamin qui s'en voudrait d'avoir regardé dans le tiroir de sous-vêtements de sa grande soeur. J'étais un peu un étranger faisant intrusion forcée dans son monde. Je m'en voulais pour ça, et sérieusement en plus; et j'avais l'impression qu'Anthéa aussi m'en voulait, du coup j'avais tout le poids de cette histoire sur les épaules. C'était bien ma spécialité, les histoires foireuses à Las Vegas où on finit mariés sans se rappeler de la cérémonie. C'est même du foireux de chez foireux. In-com-pré-hen-sible.

Bref. Pour ne pas du tout raconter ma vie, j'avais gardé de mes études scientifiques une certaine curiosité, assez maladive d'ailleurs. Quand je ne sais pas quelque chose, je me débrouille pour le savoir, et le problème avec ma... euh... avec Anthéa, c'est que je ne la connaissais absolument pas. Du coup j'essayais de me retenir mais ces derniers jours je n'arrivais pas à m'empêcher de lorgner sur ses affaires qui traînaient ça et là. Pour en savoir plus. Les produits de toilette qui trônaient sur le lavabo étaient une occasion, et j'eus beau me résonner, j'introspectais vaguement ces derniers. Ma colocataire était une fille, c'était sûr, et si il me restait un quelconque minuscule doute, ces affaires l'effacèrent. Finalement, je sortais de la pièce, n'osant toujours pas m'y investir. Même pour prendre une douche j'avais utilisé celles qui se trouvaient à l'hôpital où je travaille, parce que ça me dérangeait ici. Ce n'était pas du tout à mon habitude mais Anthéa me faisait cet effet de supériorité, et je cherchais toujours un moyen de me racheter envers elle pour cette embrouille. Et puis si ça se trouve j'avais fichu en l'air tous ses espoirs d'histoires d'amours pour l'année qui venait qu'on allait devoir passer ensemble avant de pouvoir divorcer.

Une fois dans le salon, ma curiosité me perdit une nouvelle fois et j'observais tout ce qui s'y trouvait dans le détail, des cadres photos jusqu'aux meubles et aux magazines. C'était peut-être pas la meilleure démarche à faire pour faire connaissance mais j'avais l'impression d'avoir fait un pas vers elle. Un tout petit pas. J'avais trouvé, posé sur un meuble, une sorte d'album photo mais avec des petits mots, des brochures et d'autres trucs du genre. Je regardais rien en détail, je feuilletais simplement, retenais l'essentiel. Elle aimait faire la fête, plutôt sociable, pas mal d'amis, plutôt épanouie. Et il y avait ce type. Apparemment elle était en couple depuis plutôt longtemps. Cela me fila la nausée. Je m'apprêtais à ranger le bouquin quand j'entendis des pas tout près. Ah merde. Soit je ne l'avais pas entendue entrer, soit je ne l'avais pas entendue se lever. Résultat, Anthéa allait avoir droit à une vision matinale plutôt agaçante, c'est à dire moi en tee-shirt et caleçon, pas réveillé, en train de regarder ses albums persos. Mon petit doigt me dit que ça allait l'énerver. Surtout qu'on ne s'était pas adressé la parole depuis au moins deux jours. Et c'était bien elle qui débarquait, et des que j'eus ses cheveux foncés dans mon champ de vision, je feins, l'air de rien.

- Salut. Euh. Bien dormi ?

Que m'était-il passé par la tête ? C'était la question que je me posais chaque jours depuis un peu plus de deux semaines. J'avoue que l'idée de base n'avait pas non plus été une idée de génie, vouloir aller à Las Vegas pour faire la fête, où avais-je la tête ce jour là ? Je ne m'en souviens même plus.. Je me rappelle juste d'une grosse dispute entre Bryan et moi, comme la plupart du temps d'ailleurs. Mais au point de partir. C'était absurde comme idée, je le reconnais. De plus, boire autant, dans une ville qu'on connaît si peu, ça n'avait pas été très malin non plus, je l'avoue. Et la suite, c'était le noir complet. Je ne me souvenais même plus d'avoir rencontré Mathéo. Et donc encore moins que je m'étais mariée subitement avec cet homme que j'avais dû rencontrer quelques heures avant. Je pense que j'étais complètement saoule ce soir là et d'ailleurs ma migraine du lendemain me l'avait confirmé, ainsi que mon énorme trou noir.

Durant la première semaine du "mariage", j'avais dû annoncer la nouvelle à Bryan qui avait failli me tuer sur place, et je le comprenais, même si mes fiançailles avec lui n'étaient pas non plus une bonne idée. Il avait d'ailleurs appris la nouvelle par ma voisine qui avait dit que j'étais revenue un soir avec cet homme, avec des papiers et parlant de mariage, elle avait même ajouté qu'elle avait eu le temps de voir ma bague et l'avait tout de suite prévenu car elle trouvait ça très triste pour lui, ce pauvre Bryan. Pauvre de lui en effet, je reste persuadée qu'il n'en a rien à faire de moi, qu'il me voit simplement comme sa chose, un truc qui est sympa pour lui de posséder. Alors peut-être qu'au fond ça lui donnait une bonne leçon, de lui montrer que rien n'est acquis.

Durant cette période, Mathéo et mois nous étions renseignés et avions eu la belle surprise d'apprendre que nous allions devoir vivre ensemble pendant un an. Le supplice. Je lui avais proposé de vivre dans mon appartement qui était un peu plus grand que le sien, pour l'avoir vu, et un peu plus décoré et rangé aussi. Enfin ça n'était que mon avis. Du coup, nous avions convenu qu'il viendrait habiter chez moi et qu'il dormirait avec moi, le canapé n'étant pas la solution la plus confortable. Et puis de toute façon, l'envie de se sauter dessus n'était plus là, après s'être mariée à un inconnu, ma libido avait pris un sacré coup. Donc, depuis quatre jours, je vivais avec un parfait inconnu chez moi, à qui j'étais mariée et que je ne voyais jamais.

Ce matin là, je n'avais pas cours et Mathéo lui avait travaillé la nuit, je pouvais donc rester au lit tranquillement, profitant de ce jour de repos. Certes, j'étais en compagnie de mon inconnu de mari mais étrangement, je ne dormais pas mal pour autant, ce qui était pourtant surprenant, moi qui avait un sommeil très difficile et léger, j'avais même l'impression de dormir beaucoup mieux avec lui que seule. Peut-être un sentiment de sécurité, le fait qu'il y ait un homme sous mon toit. Bref, il était sur les coups des onze heures lorsque j'ouvris enfin les yeux, j'étais seule dans mon lit, il était étonnant que Mathéo soit déjà levé après une nuit si courte. Quoi qu'il en soit, je passais sous la douche avant d'aller me préparer un bon café pour que je sois de bonne humeur.

C'est alors que je vis Mathéo, en petite tenue, caleçon et tee-shirt, tout juste réveillé, en train de feuilleter un de mes albums. Déconcertant, après tout, s'il avait besoin de renseignements sur ma vie, il me semblait que je sois la personne la plus qualifiée pour répondre à ses interrogations, ça n'était pas un album qui allait le renseigner comme il le voulait. Il se retourna, l'air gêné et je dois avouer que je l'étais aussi. « Hmmm.. Salut. Mathéo. J'ai bien dormi merci, je suppose que toi non, pour que tu sois déjà levé. » dis-je en m'approchant de lui, l'air sérieuse et presque froide. « Tu cherches quelque chose ? Tu sais, je crois qu'au lieu de m'éviter et de fouiller dans mes affaires pour en savoir plus, tu devrais plutôt t'intéresser à la personne concernée, non ? », j'y allais un peu fort dès le matin mais après tout, c'était absurde.

Il faut l'avouer, Anthéa était une des ces rares filles qui arrivent à me mettre profondément mal à l'aise. Vous savez, il y a des personnes parfois, on ne sait pourquoi mais on se sent minuscule à côté. A cause de leur autorité, de leur caractère, de leur taille, ou n'importe quoi d'autre mais là c'était différent. Difficile à décrire. Mais en tout cas elle arrivait à me faire faire n'importe quoi simplement avec un petit regard irrité. C'est de cette façon que j'en étais arrivé à habiter chez elle et même à dormir dans le même lit qu'elle par manque de place. Aucune fille ne m'influençait de la sorte habituellement. C'est bien la preuve que l'on se retrouve enchaîné quand on se marie; mon père me le disait tout le temps, et ma mère également quand elle était bourrée, c'est à dire souvent. Je me la souviens après une dispute avec son mari venir me voir en me disant très exactement : "Tu sais quoi mon petit Mathéo, je vais te donner un conseil, te marie jamais. C'est chiant, et c'est comme ça que je me retrouve avec un connard comme ton connard de père." Et elle avait ensuite continué avec encore plus de gros mots et en multipliant les allusions sexuelles. Cela m'avait évidemment encouragé à ne jamais rien vivre de sérieux avec aucune fille, ce qui fut quasiment le cas.

Bref. Mon sang ne fit qu'un tour quand Anthéa débarqua assez subitement dans la pièce, surprise de me trouver là. Entendre le son de sa voix me parut étrange, comme si c'était la première fois que je lui parlais. Sûrement parce que j'avais le cerveau dans le brouillard. Elle répondit à mon salut de façon très froide, qui me fit comprendre qu'elle n'avait pas cru à ma feinte et m'avait bien vu toucher à ses albums. Je bafouillais. "Si si, je suis juste... juste un peu lève-tôt." Et puis ensuite elle s'emporta vraiment et me fit une réflexion comme quoi il vaudrait mieux que je m'adresse à elle si je souhaitais des informations. Facile à dire, moins à faire. Je ne me voyais pas aller voir Anthéa et lui demander d'où elle vient, ce qu'elle aime faire, depuis combien de temps elle est en couple ou quoi que ce soit de ce genre. Ce serait bizarre. Bon, d'accord, ce que j'avais fait ne l'était pas moins.

Je ne répondis pas directement, posais l'album sur la table et me levais pour aller jusqu'à la cuisine. Du café m'aiderait à éclaircir mes pensées et peut-être à discuter avec elle. Mais là vraiment je risquais de raconter n'importe quoi. D'un côté, je n'allais pas planter Anthéa là. Je me stoppais au milieu de la pièce pour me retourner vers elle. "Excuse-moi. J'avoue, c'était stupide. Enfin là je suis pas du tout réveillé donc je vais faire du café. T'en veux ?" Un peu léger comme excuses, et pas très convaincant. Il faudra que je me rattrape plus tard, et surtout que je m'empêche de recommencer. Parce que si en plus de toute cette histoire on commençait à se détester l'un l'autre, ça serait vraiment l'enfer.

Spoiler:

Rien de pire que d'être dès le matin ramenée à la réalité aussi brutalement. J'avais l'impression que le sommeil me portait dans un autre monde où tout était plus simple mais lorsque je me réveillais, tout disparaissait et les problèmes revenaient aussi vite qu'il avaient disparus dans mes rêves. En fait, le problème n'était pas que mon mariage avec Bryan avait du être repoussé puisque je ne voulais pas vraiment me marier mais le problème était surtout la cohabitation avec un inconnu qui en plus de cela est mon mari. Je savais très bien que j'étais difficile à vivre et que le pauvre Mathéo allait devoir me subir chaque jour et subir mes sautes d'humeur plus que fréquentes. Pauvre Mathéo à qui j'avais ruiné la vie sociale pour tout le reste de l'année et en plus avec qui j'allais cohabiter tous les jours, j'allais vraiment le dégoûter de toute vie conjugale je pense.

Et au fond, moi-même je n'ai jamais voulu me marier, c'est bien parce que je n'ai jamais eu le choix que j'avais fini par accepter la demande de Bryan car j'étais certaine que la vie conjugale et en plus de cela maritale, n'était pas faite pour moi. J'étais convaincue que les relations sérieuses, ça n'était pas pour moi, mais c'était peut-être parce que je n'avais pas encore trouvé la perle rare comme on dit. Je n'avais jamais emménagé avec un homme et encore moins avec Bryan à cause de cela, je n'était pas faite pour et je le savais très bien. De plus, Bryan et moi nous supportons mais à petite dose, avant, lorsque nous étions meilleurs amis, c'était magique mais maintenant, j'ai plus l'impression de me traîner un gros boulet ou d'y être attachée.

Quoi qu'il en soit, j'étais devant Mathéo qui n'était pas habillé, complètement gêné par la situation lui aussi et qui restait presque muet à mon attaque matinale. Il allait devoir s'y faire le pauvre, je n'étais pas du matin et ça n'allait jamais changer. Après quelques seconde sil commença à partir en direction de la cuisine, et se rendit alors compte que j'existais et que, peut-être, moi aussi je voulais un café, ce qui était le cas. « C'est justement ce que j'allais faire alors si tu t'en charges écoutes. Oui je veux bien. Merci. » je me détendais enfin, je n'allais après tout pas m'acharner sur lui toute la journée, il était normal qu'il ait envie d'en savoir plus et qu'il soit gêné par le fait de me le demander. « Le café est dans le placard de gauche. » lui dis-je tandis que je le voyais chercher où se trouvait le café, il n'était encore pas familier avec mon rangement de maniaque.

Je m'assis alors à la table qui se trouvait dans ma cuisine, je veux dire, notre cuisine. Je ne pouvais pas détacher mon regard de l'homme qui faisait désormais entièrement partie de ma vie et que je devais présenter à tout le monde comme mon mari. Il était vraiment beau, grand, très bien proportionné, je comprenais tout à fait pourquoi j'avais eu ce coup de folie, il était vraiment séduisant. Soudain, il se tourna et me regarda étrangement, je compris alors que mon regard était peut-être un peu trop perçant et insistant. « Hmm... Ta nuit s'est bien passée sinon ? » dis-je tout en détachant mon regard, me passant la main dans les cheveux, un brin gênée.

Bon sang, qu'est-ce-qu'il m'était passé par la tête ? Moi même je déteste que l'on fouille dans mes affaires et je l'avais fait pourtant. Heureusement pour moi, l'état d'énervement d'Anthéa fut bref, ce qui me soulagea. Parce qu'avec la tête de mule qu'elle avait l'air d'avoir, j'avais peur qu'elle me fasse payer ma curiosité pendant quelques heures. Elle devait tout simplement s'être levée du mauvais pied. Ou alors, ma colocataire était peut-être du genre à ne rien dire puis à te ressortir ton erreur des jours plus tard lors d'une dispute. Possible ça aussi. Même si pour l'instant j'espérais que les accroches entre nous furent minimes. Enfin de toute façon avec ses cours de droit et mon boulot de nuit, l'activité principale que nous partagions était de dormir. Ensemble soit, mais ce n'était pas un moment de grand échange non plus. Et pour Anthéa les nuits se passaient bien en ma compagnie apparemment. Moi je rentrais de l'hôpital, je me couchais, et j'étais tellement embarrassé que je passais des dizaines de minutes à écouter sa respiration avant de tomber sous la fatigue. Mais à part cela on ne se verrait sûrement pas souvent, sauf apparemment ce jour là de la semaine où elle n'a pas cours. Cela suffirait bien après tout.

Anthéa répondit positivement quand je lui proposais du café, et elle paraissait plus sereine. Après un remontant, je pourrais essayer d'engager la discussion, parce que c'est vrai ce qu'elle disait, il me suffisait de lui demander. Enfin j'avais tellement de questions en tête qu'elle risquait de me prendre pour un psychopathe. Mais c'est pas ma faute, j'ai juste besoin de savoir toujours tout sur tout. Je me dirigeais vers la cuisine toujours un peu mou en me souvenant que je ne savais absolument pas où trouver de quoi faire du café. Je vis la machine, ça va elle se voyait bien sur le plan de travail, mais je me perdis complètement parmi toutes ces portes pour trouver du café moulu où je ne sais quoi qui y ressemble. Anthéa me souffla derrière où il se trouvait, et en attrapant le paquet j'en profitais pour lui lancer un sourire de remerciement. Elle s'était assise patiemment à table, l'air songeuse. D'un côté, je comprenais que tout cela soit encore plus confus pour elle que pour moi. Elle avait un mec, donc ce qui voulait dire qu'en plus de toute cette histoire, elle l'avait trompé. Enfin c'est ce que j'en déduisais. D'un côté, je ne me souvenais plus si on avait couché ensemble ou non. Je le supposais. Il restait dans ma tête quelques flashs de la soirée, dont certains plutôt explicites. Est-ce-qu'elle le lui avait dit ? Bon, faut que j'arrête. C'est pas mes oignons.

Je songeais activement à tout ça une fois la machine remplie prête à faire du café. Je la lançais puis me retournait vers ma colocataire. J'avais senti son regard dans mon dos. Cela la mis mal à l'aise visiblement. Est-ce-que Anthéa me matait ? Cela me fit sourire, et je me retenais de lancer une petite blague à ce sujet. Je me l'étais promis, plus de provocations. Pour changer de sujet, elle me questionna sur ma nuit de boulot. "Oh oui, oui. La routine quoi, des accidents de voitures, des bras cassés et des accouchements..." Je ris brièvement. Elle me regardait toujours bizarrement. J'essayais d'y trouver une raison, me regardait. C'était sûrement parce que je n'étais pas habillé. Le peu de fois où j'avais cohabité avec un mec ça ne gênait pas mais peut-être que pour les filles oui. De toute façon le café n'était toujours pas prêt, je pouvais faire un détour par la chambre. "Deux secondes. Je vais... euh... mettre un pantalon."

Quelques fouilles au fond d'un carton plus tard, j'étais de retour dans la cuisine de l'appartement. De loin, j'observais Anthéa assise, visiblement dans le coaltar matinal autant que moi. Chose impossible à nier, elle était genre hyper séduisante. Sans rire, je m'en voulais mais au début de notre "mariage" j'avais envisagé qu'on pourrait passer un an à se sauter dessus. Enfin ça c'était avant que je sache qu'elle était en couple. Et en plus ça me paraissait simple mais une fois que l'on se retrouve mariés, on n'a plus tellement envie de faire quoi que ce soit. Et ce même si c'était une fille parfaitement sexy. Je déboulais donc dans la cuisine avec un grand sourire, espérant détendre l'atmosphère. "Nettement moins gênant, hein ?"

Habituée à ma petite solitude, à mon appartement seule, à ne devoir parler à personne dès le réveil, à ne voir personne à mon réveil, j'étais un peu chamboulée, Non pas que mes habitudes seraient changées puisque c'était chez moi et que j'étais tellement maniaque qu'il était impossible de me changer, mais j'avais l'impression d'être notée à tout ce que je faisais, d'être observée. L'avantage était que c'était rare puisque Mathéo et moi passions notre temps à nous croiser ou bien juste à se regarder dormir au final. Mais cette proximité était nouvelle pour moi. Je veux dire, Bryan et moi avions été très proches pendant un temps et c'est cela qui nous avait poussés à nous mettre ensemble mais jamais en cohabitant et c'est ce qui faisais que j'avais l'impression d'être mariée à Mathéo depuis longtemps, le fait de se lever et d'avoir un homme dans sa cuisine, en caleçon qui plus est, en train de faire du café. En fait, c'était rare quand Bryan et moi dormions ensemble, enfin ça arrivait mais la plupart du temps, il rentrait chez lui ou je rentrais chez moi.

Le fait est que Mathéo était un inconnu pour moi, même si nous dormions ensemble et tout ça. Mais ce qu'y avait d'étrange dans cette histoire c'est que je me surprenais plusieurs fois en train de regarder Mathéo avec envie et de me dire qu'il valait mieux être mariée à un homme aussi sexy que lui. Et encore plus étrange, un jour de la semaine dernière, un matin où j'allais en cours, je m'étais surprise à regarder Mathéo dormir pendant plusieurs minutes, un réflexe de petit couple niais, répugnant. Enfin bref, j'avais de la chance ce matin, il me faisait gentiment du café, même si c'était avant tout pour lui. « Ahh je vois. Je t'envie pas quand même, travailler la nuit... Je pourrais pas ! » dis-je tout en essayant de sourire un minimum. Il est vrai que moi, j'avais toujours eu cet avantage que mes parents m'avaient tout payé et que je n'avais jamais eu besoin de faire quoi que ce soit, même si après mes études je comptais bien évidemment avoir un travail. Même cet appartement, ils me l'avaient acheté, même pas loué.

Je vis alors Mathéo partir pour mettre un pantalon, ma foi, ça ne m'avait pas trop dérangé, enfin au début si, mais il n'était pas désagréable à regarder, cause de mon malaise soudain. « Ohh, tu sais, ça me gênait pas, enfin je veux dire, on passe toutes nos nuits dans le même lit. Et on a sûrement même déjà couché ensemble alors... » dis-je en riant quand il revînt dans la cuisine. Puis je m'arrêtai sur ce que je venais de dire et cela amena un bref silence gêné. Je n'y avais encore pas pensé et c'était bête de ma part, car étant donné que nous étions complètements bourrés et que nous nous sommes même mariés, nous avions sûrement couché ensemble, me connaissant j'aurais même dit à quatre-vingt-dix-neuf pour cent que c'était certain. Et c'est là que ça me vînt enfin à l'esprit, j'avais trompé Bryan, bien que ça n'était pas mon genre, je veux dire, habituellement l’infidélité me révulsait.

C'était la première fois que je voyais Mathéo sourire autant et il était encore plus beau avec le sourire que lorsqu'il faisait cette moue boudeuse de blasé. Je repris alors, brisant le bref silence qui s'était installé, « dis-moi Mathéo, je t'ai pas encore posé la question, mais j'espère que notre mariage n'a pas compromis une quelconque relation amoureuse de ton côté ? Je m'en voudrais encore plus sinon... »

Travailler de nuit est une chose bien compliquée, mais ça m'avait toujours plu. Premier avantage, avoir une excuse pour se faufiler en douce hors de chez une fille à vingt-trois heures sans la vexer. Deuxième, pouvoir passer des journées à dormir sans jamais être traité de flemmard. Et pour finir, il ne se passait pas grand chose à l'hôpital la nuit, juste quelques types bourrés ou des accros à la drogue en quête de substances. Pour résumer, c'est un super boulot, assez bien payé, que la plupart des gens admire. Oui, j'en avais bavé quelques années à emmagasiner des tas de connaissances, mais mine de rien ça sert toujours après. Et puis l'université est un endroit en plus pour faire des tas de trucs géniaux, des fêtes géantes, des stupidités... Dans tout les cas, l'inconvénient majeur de mon travail reste qu'il ne laisse presque pas de place pour une vie de couple, ce qui n'était pas un problème pour moi, ou peut-être plus tard. Mais certains hommes et femmes avec qui je bossais ont beaucoup de mal à gérer ça avec leur conjoint. Enfin, ce n'était pas Anthéa qui allait se plaindre de ne pas me voir assez souvent.

Le café n'était pas des plus rapides à couler. J'ai plus l'habitude des machines de l'hôpital genre tu mets des pièces dedans et ça te sort un petit gobelet tout beau, du coup le fait d'attendre me surpris. Anthéa paraissait plutôt calme, et je la pris même à sourire un peu en me disant qu'elle ne supporterait pas de faire un travail comme le mien. En fait, je commençais presque à trouver l'ambiance agréable, c'est une première. Avec nos embrouilles, il était tout aussi facile de tout mettre à froid d'un coup. Mais je ne comptais pas essayer. Distraitement, je lui répondis, occupé par le regard qu'elle posait sur moi. "Bah, ça vient avec l'habitude." Je retins une nouvelle fois une petite vanne hasardeuse. Décidément, si je n'avais pas un minimum de tact, je m'en serais donné à cœur joie.

Une fois revenu habillé, disons, plus décemment, Anthéa me rassura en disant qu'en fait cela ne la dérangeait pas. Elle ne savait pas qu'elle venait de me donner la conscience pour me balader à poil dans l'appartement, tout en lui répondant : "Ben, tu as dis que ça ne gênait pas." J'en étais bien capable, mais bon, c'est un truc qu'on fait quand on a quarante ans pour soûler sa femme. Ma colocataire ajouta que de toute façon on dormait dans le même lit et qu'on avait couché ensemble. Je notais qu'elle aussi se souvenait d'ébats sexuels cette nuit là à Vegas, donc cela devait sûrement avoir eu lieu. Cela jeta un bref silence sur la pièce, sûrement quand chacun de notre côté nous réalisions soudainement avoir goûté à l'infidélité. Je fut mal à l'aise à faire le point là-dessus d'ailleurs, comme si encore une fois je me mettais sur le dos toute cette histoire. Je ne savais pas du tout ce que son petit-ami savait ou non mais j'espérais que ce ne soit pas beaucoup, et surtout qu'il ne soit pas plus grand et baraqué que moi, parce que qui sait ce qu'il arriverait si un jour il me tombait dessus.

Quelques secondes passées, je réalisais que je ne lui avais toujours pas répondu et m'apprêtais à ouvrir la bouche quand elle me devança, corroborée par son regard soucieux. Elle me fit part de sa crainte d'avoir brisé une quelconque vie de couple de mon côté. Cela me fit presque rire. "La blague du jour : Mathéo vivre quelque chose de sérieux. Non, non, t'inquiète." Je lui souris, pour la rassurer, car visiblement sa crainte principale sur le moment est d'avoir pu détruire mon couple. La cafetière émit un son purement étrange et je supposais que le café était prêt. Je sortis deux mugs et pensais à ajouter, même si j'étais de dos : "Et puis ne t'en veux pas plus, on se prend déjà beaucoup trop la tête l'un et l'autre." Ce qui reflétait parfaitement ma pensée du moment, c'est à dire que l'on avait qu'à juste oublier tout ça et vivre une année tranquille. Je remplissais les deux mugs, réussissant à me brûler le pouce au passage puis revenais à la table en posant une tasse devant elle. A mon tour de poser des questions. "Dis-moi, tu viens d'où ? Je veux dire, t'as toujours habité à Montsimpa ?" Je fouillais dans un pot bizarre posé à côté et contenant des morceaux de sucre et lui lançais un sourire charmeur tout en en jetant un dans mon café. "Du sucre ?"

Mathéo m'énervait. Non pas par son comportement ni par quoi que ce soit qu'il ait pu dire mais parce que sa gentillesse m'énervait, son côté incertain aussi et son charme surtout. Je lui en voulais surtout de s'être marié avec moi, d'avoir été aussi saoul, sinon pire, que moi ce fameux soir, je lui en voulais parce que grâce à lui, j'avais une bonne raison de m'éloigner de Bryan et de faire le point sur notre relation. Oui j'en voulais un peu à Mathéo parce que finalement, il ne m'avait pas apporté que des mauvaises choses, au final tout était presque positif et je lui en voulais pour ça, même si ça n'était pas clairement sa faute mais la notre, un truc partagé, un truc de couple, encore une fois. Et en plus, je sentais que j'allais l'apprécier, enfin c'était déjà le cas mais il avait quelque chose qui me faisait sentir que cette année n'allait peut-être pas être aussi pénible que je l'avais imaginée, même si c'était difficile à admettre et que ça me tuerait de lui dire.

« Je te comprends, j'étais comme ça avant.. », je ne terminai pas la fin de ma phrase mais la suite était claire ; avant que Bryan ne me demande en mariage au bout de deux mois et que je n'ai pas d'autres choix que de dire oui. Au fond, Mathéo et moi on se ressemblait peut-être un peu, avant je ne voulais rien de sérieux et j'avais été enchaînée. Enfin maintenant, je ne suis pas certaine que le problème se posait toujours avec toute cette histoire. Mais comme disait si bien Mathéo, je devais arrêter de me culpabiliser et surtout de penser à tout ça, ce qui était plus facile à dire qu'à faire mais les hommes ont toujours été connus pour êtres simples d'esprit. Quoi que, c'était peut-être juste un mythe, peut-être qu'au fond, Mathéo était aussi préoccupé que moi, sûrement même. « Tu as sûrement raison.. »

Et encore une fois, j'avais souri, décidément, ce Mathéo était doué car pour me faire sourire dès le matin, il fallait y aller fort. « Non pas du tout, en fait, je suis née à San Diego et je suis arrivée ici pour ma première année d'université. Mes parents n'ont supporté que dix-huit ans de ne pas déménager une seule fois. Et depuis, ils sont repartis, à Atlanta cette fois, je ne les ai pas suivis. », en vérité, ils n'avaient pas tellement voulu m'emmener, ils vouaient retrouver "leur jeunesse", les choses qu'ils faisaient avant que je naisse, leur complicité d'avant. Et ça tombait bien car à l'époque, il y a un an donc, je venais de me fiancer et j'étais en pleine avant dernière année d'études, donc le mauvais moment pour partir. « Oh non merci, j'avale déjà assez de cochonneries comme ça.. » dis-je avant de me raviser, « Bon ok, mets en deux. Et arrêtes avec ce regard, c'est ta faute si j'ai craqué pour ce fichu sucre ! »

Je riais, je n'en revenais pas mais je riais, j'étais même à l'aise, et le regard que Mathéo m'avait lancé m'avait même plu et j'avais craqué, abandonné le régime du zéro sucre mais plutôt le sucre multiplié par deux, ce qui au fond n'était pas grave vu que je ne prenais jamais de poids. « Et vous monsieur Kerty ? » repris-je, un sourire aux lèvres, amusée par la situation, pour la première fois d'ailleurs. Je me rendis alors compte que je l'avais appelé par son nom de famille et que c'était désormais le mien aussi, je n'étais plus Anthéa-Lou Bradford mais Anthéa-Lou Bradford-Kerty, ce qui était assez long comme nom et donc sur mes nouveaux papiers administratifs, on ne pouvait lire que "Madame Anthéa-Lou Kerty", c'était étrange mais ça ne sonnait pas faux, c'était ça le pire, quand je me le répétais ou quand je le lisais, ça ne me choquait pas tant que ça, du moins depuis ce matin. Je revins à Mathéo, observant son regard puis penchai la tête vers ma bague, mon alliance plutôt.

La conclusion que je tirais de ces quelques échanges avec Anthéa était plutôt sans appel. Elle paraissait clairement beaucoup plus embrouillée que moi par tout ça, constamment songeuse, toujours à s'inquiéter. Personnellement, si j'avais été à sa place, je n'aurais jamais cherché à connaître l'autre personne, et surtout pas à me renseigner sur le mal que j'aurais pu lui faire, le couple que j'aurais brisé ou non. En fait, je crois que j'aurais tout simplement eu envie de faire la gueule pendant un an. Je ne sais rien d'elle, c'est vrai, mais ce dont je ne doutais pas c'est qu'elle avait une certaine force de caractère. Elle ne s'emportait pas, ne se lamentait pas sur son sort, simplement elle était sympa avec moi. Sans fausses notes. Je n'aurais pas réussi à faire ça si ça avait été moi. J'aurais trouvé toutes les excuses du monde pour faire de la vie de mon mari un enfer, lui crier dessus, lui reprocher le déclin de mon couple ou l'infidélité. Mais non. Et je ne le reprochais pas du tout à Anthéa-Lou, au contraire je l'admirais réellement pour ça, et je me promettais de ne jamais reporter une colère ou une tristesse qui me viendrait sur elle. Je lui devais bien ça.

Quand j'allais chercher le café, et que je blaguais sur le fait qu'elle aurait pu m'imaginer en couple, je fus surpris de l'entendre s'y comparer. C'est stupide mais dans ma tête, étant donné les circonstances de notre rencontre, je ne me la figurais pas en train de batifoler, je la voyais genre mariée et rien de plus. Son "avant" fut presque comme un soupir, et j'eus l'impression qu'elle parlait de notre mariage, ou peut-être de son fiancé je ne sais pas. C'était compliqué à dire mais je voyais que dans tous les cas c'était quelque chose qu'elle n'avait pas souhaité, elle préférait sûrement mener une vie comme la mienne. Je lui adressais un sourire sincère en guise de réponse. Par contre, elle fut moyennement convaincue par ma proposition de ne plus se prendre la tête. Visiblement cela lui paraissait totalement hors de portée, c'est vrai qu'il est parfois dur d'ignorer un évènement comme celui-ci. D'habitude je me sors tout de l'esprit aussi, mais là c'était horrible parce que dès que j'étais avec une fille j'avais une vague impression d'homme marié, presque d'adultère. Ce qui rationnellement n'était pas le cas, puisque Anthéa et moi ne partagions rien de plus qu'un papier signé quelque part dans un dossier moisi, ainsi qu'un appartement, pas de sentiments.

L'odeur du café me chatouilla les narines. Ce qu'il y a d'étrange c'est que j'adore en boire mais je ne supporte pas l'odeur, qui me rend presque malade. Et ça le sucre n'y changeait rien. J'écartais donc un peu la tasse de moi tandis que j'écoutais Anthéa répondre à mes interrogations. La pire c'est que je n'écoute jamais ce que raconte les femmes d'habitude, je feinte en lâchant un petit son de temps en temps. Sauf que dans ce cas, comme je n'avais aucunes intentions douteuses supplémentaires, je m'intéressais réellement à ses réponses. Il fallait que mon cerveau se fasse un dossier "Anthéa Bradford" et le remplisse avec pleins d'informations, car pour l'instant il était genre presque vide. Je lui proposais ensuite du sucre avec un regard appuyé, peut-être exagéré. C'est celui que j'utilise habituellement et disons qu'il m'avait échappé. Elle y résista mais mis ensuite deux dixièmes de secondes pour se raviser. Ahah, ça marche à chaque fois. En ajoutant à mes yeux un sourire charmeur, je mettais deux sucres dans sa tasse. "Je ne vois pas du tout de quoi tu parles." Elle rit. Cela me parut comme étrange, comme si ce n'était pas normal entre nous. Mais d'un autre côté auquel je ne préférais pas penser, cela la rendait encore plus séduisante. Je me joignis à elle quelques secondes. Elle me questionna ensuite à mon tour, sur où j'ai habité je suppose. D'habitude je n'en parle pas, mais ce matin tout paraissait différent. "Pas loin de chez toi, à L.A., j'y ai fait mes études d'ailleurs également. J'ai habité d'autres endroits, ou même pays, quelques mois mais la Californie nous manquait toujours." Je l'observais, et elle paraissait vraiment songeuse, gênée ou je ne sais pas quoi. Elle regardait sa main, son alliance. Je fronçais les sourcils. On avait beau faire semblant, on revenait toujours à ça de toute façon. Mes yeux la questionnèrent car Anthéa paraissait toujours absorbée.. "Hey, ça va ?"

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