Lilianne Ҩ Dakota

« Never sigh for a better world: it's already composed, played & told »

Ah ça, j'en avais connu de meilleures, des journées de ce genre. Non mais franchement, qu'est-ce qui était passé par la tête de cet idiot, hein? Pourquoi je le gardais encore une fois, lui? Pourquoi est-ce qu'il avait été décidé qu'il soit mon partenaire, tout court... Tout autant de questions avoisinant bien d'autres qui me trottaient dans la tête. Non, mais sérieusement. C'était humiliant assez d'avoir à me faire botter le train par un de ces fichus bureaucrates qui se targuait bien de me mettre en échec, sans avoir besoin d'avoir mon partenaire qui se mêle de tout ça et s'amuse à me mettre des bâtons dans les roues lorsque je voulais reprendre le boulot... "Ce n'était qu'une coïncidence", qu'il disait. "Il ne savait pas", qu'il ajoutait... Ouais, peut-être, mais en attendant, à ne pas savoir ravaler ma fierté qui dictait le désir insatiable de le tuer moi-même, j'avais eu la pressante envie de fustiger mon collègue tout en laissant l'opportunité à l'autre de s'enfuir. Non mais franchement, quel mentor cela fait-il de moi, hein? Ne comprenait-il pas que j'avais envie, non besoin, de reprendre du service ? Que rester là à me tourner les pouces en étant interdite d'enquête sur mon propre accident me rendait dingue ?! Peut-être que la prochaine fois, je devrais les achever tous les deux, le partenaire et le patron, cela aurait au moins le mérite de me débarrasser de ces casse-pieds...

Je ne sais pas ce qui a guidé mes pas vers le cimetière, quand on considérait que mon appartement temporaire dans la région ne se trouvait pas du tout dans cette direction... Tout ce dont j'étais sûre, c'était que la première personne à croiser mon chemin allait en prendre pour son grade. Je ne voulais pas me battre, mais je n'avais pas envie qu'on me cherche pour autant, surtout qu'une nouvelle migraine commençait lentement à faire son apparition. Sérieusement, n'aurais-je donc jamais droit à une journée de tranquillité, hein? Une sur l'année, est-ce que c'est vraiment trop demander? J'avais laissé mon collègue là où je l'avais découvert et résistant à l'envie (trop) pressante de lui mettre un coup de pied où je pense dans une réaction qui, je m'en rends maintenant compte, semble bien trop affective pour réellement me plaire, j'avais eu également à subir une nouvelle fois la fuite de celui que je voulais tant choper. Ce petit insolent qui s'éclatait bien de moi et criant à qui veut l'entendre qu'il savait bien des choses à mon sujet que tous les autres n'auront jamais su me dire sur la vie que j'avais oublié. Petit con de détective privé...

Raaaah. Que je n'étais pas d'humeur. Je suis sûre que je bouillonnais tant de frustration, de colère, d'incompréhension face à tout cela que ça devait se voir en ce début de journée: ma main à couper que de la vapeur pouvait se voir... Oui, bon, bien sûr que non, on était en plein printemps et la température était LOIN d'être fraîche assez pour provoquer une telle réaction, mais métaphoriquement, ça n'aurait pas été si stupide, hein? J'étais persuadée d'être seule ici, bien qu'étant le jour du Seigneur, je me doutais bien qu'une bande de petits vieux trouveraient moyen de venir s'occuper de quelques tombes autrement délaissées. La charité chrétienne, quelle bonne blague. J'allais aller encore à pester à voix haute lorsque l'instinct d'agent m'alertait d'une présence alentour. Et ce qui aurait dû à la base n'être qu'une suite de jurons à voix haute pour me défouler mua bien trop vite en une série de grommellements qui n'eurent pas totalement raison de mon humeur exécrable.

Peut-être qu'une rencontre ne serait pas de trop, finalement.... si seulement j'étais vraiment d'humeur à parler. Et ce n'est qu'en apercevant la frêle silhouette d'une jeune femme qui ne devait pas avoir énormément plus que la moitié de vingtaine que mon ton s'adoucit, suivant l'expression de mes traits: je n'avais pas besoin qu'elle appelle les flics parce qu'une folle furieuse s'en était pris à elle, hein? Non pas que je n'aurais su me débrouiller si tel avait été le cas. Réalisant qu'en général, les gens contournaient les cimetières plutôt que les traverser et que mon inaction risquait plus d'attirer la jeune femme à moi que le contraire, je choisis une tombe au hasard. Un certain Bobby Crawford. Nouant mes mains devant mon torse, je fis semblant d'avoir une pensée pour ce pauvre bougre qui me servait de diversion pour l'instant. Elle avait sûrement remarqué mon agitation. Elle le voyait toujours. Même s'il n'était pas s'agit de la jeune femme qui me servait de colocataire occasionnelle, ange gardien curieux depuis mon accident, je restais sûre que même le gardien pouvait ressentir mon humeur. Et pourtant il se trouvait à l'entrée, à 50m de moi... Tout ce que j'espérais, en jetant un regard furtif vers Moriarty (qui n'avait sûrement pas eu de trop de me remarquer maintenant) c'était qu'elle ne soit pas d'humeur curieuse ou désireuse de me poser des questions auxquelles je ne trouvais jamais la moindre réponse. J'étais bien assez frustrée comme cela sans qu'elle n'en rajoute.

J'étais peut-être quelque peu "calmée", sûrement forcé par l'apparence innocente de la nouvelle venue, cela ne voulait pas forcément dire que j'avais envie de m'éterniser non plus. Reportant pour une fraction de seconde mon attention sur la miss, histoire de voir si elle était partie, je me retrouvais plongé dans deux orbes incroyables, brillant d'une lueur étrange que je ne comprenais pas. Un peu comme si elle pouvait lire en moi comme dans un livre... Mais c'était con, comme impression...

Pas vrai???

Mais je suppose que d'un côté, ayant été la première sur les lieux de l'accident et étant restée à chaque étape de ma convalescence à mes côtés, je présume qu'elle me connait mieux que je ne me connaissais moi-même. Et ce n'était pas nécessairement une bonne chose...

Je ne savais pas exactement ce qui m'avait poussée à sortir de chez moi. C'était une journée des plus monotones, des plus banales qui s’annonçait tout aussi longue et ennuyante que les précédentes. Assise sur ma chaise de bureau, mes mains encadrant mon visage, un stylo entre mes dents et mes yeux rivés sur une page blanche, je savourais le silence, tentant de trouver quelques idées farfelues pour mon prochain roman, malheureusement, je séchais complètement. Dans un soupir exaspéré, je me redressais, défaisant mon chignon, lâchant ainsi mes longs cheveux roux qui tombèrent en cascade sur mes épaules. Cela faisait plusieurs jours que mon inspiration stagnait, aucunes idées n'illuminaient mon esprit sur une quelconque suite à mon écrit. Je passais mes mains devant mes yeux, épuisée, prenant donc la décision de changer d'air, malgré le peu de motivation qui m'animait à quitter la chaleur de ma maison pour affronter le froid de l'extérieur. Attrapant mon cardigan beige et une écharpe de la même couleur, je sortis donc de chez moi.J'errais pendant quelques temps, sans trop savoir où aller. D'habitude quand les mots ne venaient pas, j'allais me terrer sur la terrasse de mon restaurant préféré, buvant une tasse de thé, prenant notes de ce qui m'entourait pour ensuite piocher quelques détails qui pourraient éventuellement me servir à l'écriture de scènes, mais pour une fois, j'avais envie de sortir de ma petite routine habituelle et changer d'air, ne sachant cependant pas trop où aller pour réaliser ce doux fantasme.

Mes pas me menèrent vers le cimetière de Montsimpa. L'endroit semblait être déserté, je fus étonnée de me retrouver là mais un fin sourire finit par s'accrocher à mes lèvres tandis que je me mis à marcher d'un pas furtif pour atteindre l'entrée et sillonner les allées, mains croisées derrière mon dos, sifflotant un petit air des Beatles. Soudain, je me stoppais, levant les yeux vers une statue imposante qui se trouvait entre deux tombes. C'était un ange dont les ailes étaient légèrement courbées, son bras cachait ses yeux dénués d'expressions tandis qu'elle était agenouillée sur son socle, silencieuse et terrifiante. J'eus la vague vision de ce même ange, abaissant son bras durant quelques secondes pour observer avec curiosité les visiteurs venu se recueillir sur les tombes de proches disparus. Une de mes mains sortit de ma poche et je la posais sur le bras glacé qui ne bougea pas d'un millimètre. A quoi m'attendais je ? A ce qu'elle me repousse avec violence, son visage déformé par la colère, prête à fondre sur moi comme un rapace sur sa proie ? D'un côté, cela aurait été une anecdote amusante à raconter à mes futurs petits enfants...Si j'avais survécu à cette attaque bien entendu...Je souris de ma propre bêtise, tout en caressant la pierre froide, mes yeux balayant les environs. Je m'arrêtais alors sur une silhouette qui ne m'était pas inconnue, même familière. Je haussais un sourcil, surprise de voir cette personne ici, dans un endroit aussi improbable. La curiosité me poussa à aller lui parler, il y avait certaines choses que je voulais éclaircir avec cette jeune demoiselle, tant de questions me taraudaient l'esprit en ce moment précis que je me demandais pourquoi aucune migraine ne m'avait encore frappée de plein fouet. La jeune femme semblait en proie à une discussion à voix haute, je m'arrêtais à quelques tombes d'elle, l'observant attentivement.

Elle semblait m'avoir remarquée également mais son regard se détourna bien vite quand je plongeais le mien dans le sien. Les mains jointes, elle observa une tombe, silencieuse, me faisant froncer les sourcils. Lentement, je m'approchais de Dakota avec discrétion jetant un coup d'oeil sur le nom inscrit sur la pierre tombale. Je ne savais pas exactement si elle se recueillait vraiment ou si c'était une quelconque diversion pour ne pas croiser mon regard. Finalement, ses yeux s'ancrèrent dans les miens et je soutenais ce regard un peu comme si je pouvais lire son âme, ce qui aurait été pratique pour répondre à mes diverses questions. Je croisais les bras, continuant de regarder cette jeune femme avec attention. « Bonjour... » soufflais-je tout d'abord, me rendant compte que je ne savais pas vraiment comment lancer la discussion, je n'étais pas très bavarde en temps normale, sauf quand je me parlais à moi-même. « Vous le connaissiez ? » demandai-je alors en fixant pendant un instant la tombe de ce "Bobby". Je vrillais mes prunelles émeraudes dans les siennes avant de m'entendre poser une nouvelle question: « Vous avez du temps devant vous ? J'aimerais que l'on discute. » Mon ton était calme, mais déterminé. Il fallait que je connaisse la vérité, coûte que coûte.