“ le ridicule ne tue pas... et putain, heureusement ! ”

« Des problèmes dans une discothèque, le week-end dernier ». Voilà ce qu’il a dit. Non mais, sérieux quoi. Ça me gonfle, sans blague. Sérieusement, je suis pas du tout du genre à m’énerver pour un rien, je dirais même qu’il faut me chercher longtemps pour réussir à me trouver. Mais là, c’est le summum, nan ? Qui peut bien être assez con pour foutre le bordel dans une boite de nuit, un week-end ? Bah, croyez-moi, y’en a qui y arrive parfaitement, apparemment.
Bon, d’accord, aujourd’hui je suis pas énervé parce qu’encore une fois, mon devoir en tant que flic se résume à faire un truc de merde. Non, j’ai commencé à avoir l’habitude de ça, enfin, de faire des trucs pourris, je veux dire. ce matin, je suis énervé parce qu’on est lundi. Et parce que, autant le dire tout de suite, mon week-end n’a pas vraiment été de tout repos : je dirais même qu’il a été carrément crevant. Oh, c’est pas la peine de me demander en quoi il m’a fatigué, hein ; j’n’en ai aucun souvenir, et c’est peut-être bien ça, le vrai souci.

Bref donc, apparemment, y’a eu des problèmes en boite ce week-end – ça me rassure assez en fait de savoir que ce week-end, j’ai pas été le seul à déconner, ma conscience va un peu mieux du coup. Genre, elle cicatrise plutôt bien, finalement. Donc, comme prévu je me rends à l’adresse donnée. Chez Hogan, évidemment. C’est pas trop difficile en même temps : c’est un peu LA boite de Montsimpa. Bref, je descends de la voiture et j’entre dans la boite : c’est bizarre de la voir comme ça, genre, il fait jour, elle est quasiment vide et on n’entend presque pas la musique. Quand j’pense que dans quelques petites heures elle sera à nouveau remplie, ça me fait sourire. Sans blagues.
J’approche du comptoir et m’avance en direction d’une jeune femme, une brune, qui me tourne le dos. A peine le temps de chercher mon insigne que je lui balance quelques mots, d’un ton relativement… Banal. « Excusez-moi de vous déranger, je suis l’agent Lothario, et on m’a appelé parce que quelqu’un a dégradé votre boite de nuit le week-end dernier… » Et là, je suis à des kilomètres, à des milliards de kilomètres d’imaginer que le « quelqu’un » en question… C’est moi.

Ken and SiobhànLe ridicule ne tue pas.. et putain, heureusement !

Comme tous métiers, il y a des côtés négatifs et des côtés positifs. Parfois les uns plus que les autres, mais bon. Celui de Siobhàn n'était pas ingrat, et elle s'en sortait plutôt bien. Mais être une femme et devoir travailler en tant que barwoman dans une discothèque présentait pas mal de désavantages. Vous connaissez ces personnes extrêmement lourdes qui vous demandent des bières ou des whisky toute la soirée, et qui pour finir, ne s'arrêtent plus de vous harceler pour obtenir votre numéro de téléphone ? Non ? Eh bien elle, si. Malheureusement, ce fut une fois de plus le cas samedi dernier. Alors que son service s'annonçait plutôt bien au départ, voilà qu'une bande d'amis avaient eu la mauvaise idée de sortir leur copain apparemment bien déprimé et malchanceux en amour. Sans évoquer les propositions indécentes qu'il ait pu lui faire, il a sans doutes du prononcer les mots "numéro" et "ma jolie" une bonne trentaine de fois sans pour autant se décourager. Les rires niais de ses potes tout aussi bourrés n'arrangeaient pas vraiment la situation. Les nerfs de Siobhàn commencèrent à saturer jusqu'à l'arriver d'un certain homme.
Il avait lui aussi sans aucuns doutes consommé pas mal d'alcool jusqu'ici, mais le fait qu'il prenne parti de la jeune femme rendait la chose sans importance. Mais qui dit taux d'alcoolémie dans le sang élevé, dit forcément dérapages. Répétant sans cesse qu'il était flic et que le harceleur en question n'était pas décidé à le croire, la situation devint un peu plus violente. Siobhàn n'eut pas vraiment le temps de voir les coups de poings s'enchaîner, juste celui d'admirer la sortie spectaculaire des deux hommes lors de l'arrivée du videur.

La jeune femme était en train de se remémorer cette fameuse soirée lorsqu'une voix masculine et familière la fit sortir de ses pensées. « Excusez-moi de vous déranger, je suis l’agent Lothario, et on m’a appelé parce que quelqu’un a dégradé votre boite de nuit le week-end dernier… » Elle fit volte-face, pour maintenant se retrouver en tête à tête avec cet homme qui l'avait défendu au cours de la fameuse soirée. Alors c'était en fait vrai, il était bel et bien flic. Elle mit quelques temps avant de tout comprendre. Quelqu'un a dégradé votre boite de nuit le week-end dernier, autant qu'elle se souvienne, c'était de sa faute à lui. Elle retint un rire par un sourire amusé quand elle comprit enfin qu'il ne se souvenait d'absolument rien. Malheureusement pour lui, Siobhàn avait tous les souvenirs en tête. « Dites-moi monsieur Lothario.. on se connaît, non ? »

“ le ridicule ne tue pas... et putain, heureusement ! ”

J’me souviens de rien. Sans blague, aucun souvenir, le gros trou noir. J’imagine que j’ai probablement picolé comme un véritable trou, j’ai dû aligner les verres, peut-être bien les bouteilles. En même temps, j’ai jamais vraiment tenu l’alcool, hein. enfin, une bière ou deux ça me fait rien. Mais dès que je passe aux shooters, c’est même plus la peine d’espérer me retrouver, hein. L’alcool fort, surtout, ça me tue à une vitesse hallucinante. Et j’me réveille sans aucun souvenir. Amen ! J’devrais peut-être avoir honte de pas me souvenir de mon week-end, puisque je suis flic. Mais non, en vrai, j’m’en fous. Ils peuvent me dire quoi, hein ? « Oh Mon DIEUU, t’es flic et tu te bourres la gueule ?? » Bah, ouais. Comme TOUT le monde quoi. Mentez pas, c’est pas parce que sur ma voiture de fonction y’a un gyrophare que j’ai pas le droit de toucher à un verre. Surtout que bon, je suis flic à Montsimpa, hein, pas à New York, ou à Los Angeles.

Bref donc, aucun remord. J’me suis probablement amusé comme un malade, pour pas en avoir de souvenir c’est que j’ai dû m’éclater, là-dessus j’me fais confiance. Le truc difficile, maintenant, c’est de se remettre au boulot. Sans blague, ça me tuerait presque de devoir travailler aujourd’hui. J’me sens comme un mollusque, genre un animal dégueulasse et moche à peine sorti de l’eau, tu vois ? Ouais bah là je suis ça, moi. Sauf que l’animal aquatique il a pas besoin de porter un uniforme, ni de se déambuler dans la rue. Moi si. Pas que j’sois enthousiasme, mais plus vite j’arrive et plus vite cette affaire est réglée. Des casseurs j’imagine, c’est courant. Enfin, pas part chez-nous, mais en général ouais, parait que ça l’est. Des connards qui reviendront pas de sitôt, j’imagine. Enfin, ils ont intérêt, surtout ! Je vais pas toujours nettoyer leur bordel, moi. J’ai beau être un petit flic, j’ai pas que ça a faire…

On. Se. Connait. AHAHAHAH. Je crois pas, non. Enfin genre, si on se connaissait, déjà j’le saurais, nan ? Allez Ken, respire, calme-toi, la pauvre t’as rien fait. Soit elle t’a remarqué dans la rue et elle t’a maté. Ou soit bah, elle se fait des idées et elle te confond avec un autre. Rien de plus. Non, cette histoire n’est absolument pas compliquée. J’inspire doucement, un sourcil relevé et les yeux plongés dans les siens. Pourquoi elle sourit comme ça, au juste ? Meeerde. « Je crois pas, non. » Et là il me faut quoi, trente secondes pour réaliser que ma phrase était pas spécialement gentille. Je rectifie donc, un sourire se dessinant peu à peu sur mes lèvres. « Enfin, vous m’avez peut-être aperçu dans la rue ou je n’sais où, je suis flic c’est pas étonnant… Mais y’a peu de chances qu’on se connaisse personnellement. » Mais bon, ça, ça peut vite se régler, hein. ;D