« Vous êtes bien sur la messagerie de Jilly, je ne suis pas joignable pour… » Je raccroche mon téléphone, encore plus inquiet pour mon amie. Cela faisait déjà quelques jours qu’elle ne répondait pas au téléphone, ce n’était pas son genre. Surtout que j’étais passée devant chez elle, elle y était. Je la connaissais trop bien pour penser que tout allait bien et qu’elle filtrait juste mes appels. Aux dernières nouvelles, je n’avais rien fait de mal, elle n’avait aucune raison de m’en vouloir. Alors l’autre solution, c’était que la demoiselle allait mal. Et ça, je ne pouvais pas le supporter. Elle avait été là pour moi, toujours. Si c’était à son tour d’avoir besoin d’aide, je devais l’aider. Je ne pouvais pas la laisser seule. Alors après une autre tentative vaine de l’appeler, je prends la voiture et je vais chez elle. Je sonne à la porte, elle vient m’ouvrir au bout d’un moment. Elle n’a pas le temps d’ouvrir totalement la porte que je passer derrière elle, enroulant un foulard autour de sa tête pour lui cacher les yeux. « Ne l’enlève pas, j’ai une surprise pour toi Jiji. » J’espère qu’elle va jouer le jeu. J’ai eu le temps d’apercevoir ses yeux humides, je sais quoi faire pour lui changer les idées. C’est sûrement ce… je ne me souviens jamais de son prénom, j’ai jamais pu le voir en peinture son copain. Et je vais encore moins l’aimer maintenant s’il s’avère que j’ai raison et qu’il l’a fait souffrir. Je prends doucement la main de Jilly, je referme la porte et je l’emmène dans ma voiture. Alors que je démarre, je lui dis « Tu peux en parler si tu veux. Ou pas, je ne te force à rien. » La voiture prend rapidement de la vitesse, le trajet sera court. « Tu vas voir comment je me venge quand tu ignores mes coups de fil ! »

Parfois on a l'impression que les jours contiennent plus de vingt-quatre heures. Alors que parfois on croirait qu'ils en contiennent moins. J'ai toujours fait partie du deuxième groupe. Excepter en ce moment. Non en ce moment je fais bel et bien partie du premier groupe. Et pourquoi ? Parce que je me lamente. Je suis devenue le genre de fille pitoyable qui est abattue lorsqu'elle se rend compte que son mec la trompe. Et j'ai honte. Oui honte d'être devenue comme les filles dont j'ai toujours eu l'habitude de gentiment me moquer. Et je ne sais pas comment j'ai fait pour en arriver là. En fait, si je sais. J'en suis arrivé là le jour où j'ai décidé qu'Iwan serait plus qu'un ami et voilà où j'en suis aujourd'hui. A filtrer les appels d'amis pour ne pas avoir à me justifier. A passer ses journées à pleurer. A rester dans une tenue qui ne donne pas vraiment l'impression d'être à son avantage. A regarder des films niais qui font rêver mais dont on sait pertinemment que c'est loin de la réalité. Vous avez dit pathétique ? Je suis d'accord, c'est le mot qui convient et j'en suis consciente mais c'est plus fort que moi. Mon téléphone sonne, encore. C'est Cooper qui tente une nouvelle fois de me joindre. Mais je ne réponds pas, je n'en ai pas envie. Je ne supporterais pas de faire semblant que tout va bien alors que j'ai l'impression que tout va de travers. Je n'ai pas envie de mentir. Alors je ne réponds pas mais je me sens mal, je ne veux pas qu'il croit que je l'évite, même si au final c'est un peu le cas. Après avoir regardé mes appels en absence, je ferme chaque application ouverte de mon téléphone pour voir la photo d'Iwan et moi en fond d'écran. Une nouvelle goutte d'eau qui fait déborder mon vase de larme. Décidément, aller de l'avant allait être dur et je n'étais pas sûr d'en avoir envie. Peut-être allais-je garder le rôle de la fille triste encore un moment. Alors que j'allais mettre en route un énième film sur le grand amour, la porte sonne. Alors que je pensais que cela allait être un voisin, il s'avéra que c'était Cooper qui se faufile aussi rapidement qu'un chat pour venir me mettre un bandeau sur les yeux. Mais.. Ne l'enlève pas, j'ai une surprise pour toi Jiji. Je ne résiste pas. Après tout se changer les idées peut être bénéfiques alors je ne dis pas non. Alors qu'il me prend la main mes autres sens semblent décuplés, en particulier l'ouïe. J'entends la porte d'entrée se fermer, puis quelques secondes plus tard la porte de la voiture s'ouvrir puis se refermer une fois que je suis à l'intérieur et le trajet commence. Tu peux en parler si tu veux. Ou pas, je ne te force à rien. D'accord parlons-en. Où m'emmènes-tu ? Faisant mine de ne pas avoir compris de quoi il parlait. Oh tu sais ce ne sont pas tes appels en particulier que je ne prenais pas. Mais bizarrement avec toi je m'attends à tout. dis-je en faisant une légère grimace et en finissant par laisser s'échapper un léger rire.

Je n’étais pas un pro pour réconforter les gens. J’étais plutôt du genre à fuir les problèmes, à éviter de voir les gens pleurer. Enfin ça, c’était surtout quand j’étais la cause de leur malheur. Personne ne mérite d’être malheureux pourtant. Et encore moins Jilly. Jilly, c’est un vrai rayon de soleil, une des seules qui puisse me faire sourire, me faire revenir une dizaine d’années en arrière. Elle me rappelle l’ancien Cooper, celui qui n’avait pas bousillé sa vie, celui qui avait encore un avenir et des rêves. Alors s’il y a bien une personne que je ne veux pas voir pleurer, c’est elle. Parce que je la connais depuis toujours, parce que je ne veux que son bonheur. En la faisant monter dans la voiture, j’ai une idée bien précise de la destination. Un endroit où nous ne sommes pas allés depuis longtemps, un endroit magnifique. « D'accord parlons-en. Où m'emmènes-tu ? » Ça ne m’étonne pas qu’elle refuse de parler de ce qui la rend triste. Elle est plutôt du genre à garder la tête haute, ne rien dire à personne jusqu’à ce qu’elle aille mieux. Si elle veut aller mieux, je vais l’aider. « Sur la lune ! Quoique, c’est pas très prudent vu que t’as le vertige depuis que t’es gamine. » Elle n’avait même pas vraiment le vertige, elle avait juste eu peur du vide quelques fois mais j’aimais le lui rappeler. « Oh tu sais ce ne sont pas tes appels en particulier que je ne prenais pas. Mais bizarrement avec toi je m'attends à tout. » Exactement son genre. Elle s’isole du monde, ne veut pas partager sa tristesse, être aidée. Heureusement que je suis là pour elle, qu’elle le veuille ou non. Nous arrivons rapidement à destination et je me gare juste à côté du phare. Il fait beau aujourd’hui, tant mieux. Le paysage n’en sera que plus magnifique. Je sors de la voiture et j’aide Jilly à en faire de même. Puis je prends sa main pour la mener jusqu’au bord de la falaise. La tenant toujours, j’enlève le bandeau de ses yeux et je murmure à son oreille. « Comme dans nos souvenirs, non ? » On venait toujours ici quand on était gamins, on prenait nos vélos et on pédalait comme des fous juste pour venir regarder les vagues s’écraser contre la falaise. Et on parlait de tout et de rien. C’était notre endroit, voilà tout. « Si tu veux piquer un plongeon, je saute avec toi, ok ? » C’avait toujours été notre défi : sauter du haut de la falaise. Ce n’était pas dangereux, on avait déjà vu des gens le faire. Et il y avait une petite plage pas loin du tout. Aujourd’hui sera-t-il le jour où nous oserons ?