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Je suis né un onze mai. Il pleuvait ce jour-là. Généralement, les gens disent que c'est signe d'une vie paisible, loin des tumultes. Peut-être s'étaient-ils trompés. Je ne crois pas pouvoir critiquer mon enfance, j'ai sans doute été l'un des plus chanceux à cet âge-là. Mes parents étaient fous amoureux l'un de l'autre et ne me délaissaient jamais, bien au contraire : étant le seul enfant qu'ils ont eu, ils étaient à mes petits soins continuellement et je le leur rendais bien : j'étais l'enfant exemplaire, à l'école, celui qui avait les meilleures notes, promis à un bel avenir. Je passais mes récréations à lire, m'enfermant dans ces lignes qui me permettaient de m'évader un peu. J'étais plutôt solitaire - je le suis toujours d'ailleurs - et ça me convenait. Mais les années passaient et moi, je commençais à m'ennuyer de tous ces livres que je connaissais par cœur à force de les lire. J'avais mal aux doigts à force d'écrire des histoires dans le carnet que l'on m'avait offert. Je commençai alors à m'intéresser aux autres. Autant dire que ce n'était pas si simple que je l'avais imaginé. Les gens me repoussaient, comme une vengeance de ce que j'avais dû faire. J'ai essayé de ressembler aux autres pour m'intégrer, faisais des actes rebelles pour qu'on m'admire. C'était la seule chose que je souhaitais, après tout. Mes parents ne me reconnaissaient plus, blessés par mon brusque changement d'attitude. Plus le temps passait, plus je m'éloignais d'eux et leur manquais de respect. Les gens appellent ça crise d'adolescence. Comme s'il fallait donner un nom à tout, alors qu'il ne s'agit pas forcément des mêmes symptômes. On ne vit pas tous ces "périodes" de la même manière, et on peut ne pas les vivre tout court. J'imagine que pour moi, c'était le cas. Car depuis ce changement, plus rien n'est devenu aussi rose, joli qu'avant. Mes parents divorcèrent quelques années plus tard - je devais avoir dix-sept ans - , sûrement déchirés par toutes les méchancetés que je disais, tous les mensonges que j'inventais qui les montaient l'un contre l'autre.

Les années défilaient, se succédaient sans que je m'en rende compte. J'avais quitté le domicile familial à vingt ans, après avoir cherché des études en vain, j'avais réussi à décrocher une formation chez un tatoueur. Certes, ce métier est loin d'être celui que mes parents auraient souhaité - moi aussi d'ailleurs - , mais je n'avais plus vraiment de choix, après mes nombreuses erreurs. Mes parents m'avaient offert d'un commun accord un logement à Montsimpa, peut-être plus pour se débarrasser de moi que pour me faire plaisir. Je leur rendais visite, ma mère habitant toujours là où je suis né, et mon père à Bridgeport, même si je n'y prenais plus le moindre plaisir. Je le faisais seulement parce que je me sentais redevable de tout ce qu'ils avaient fait pour moi. Je les ai vus jusqu'à mes trente ans environ. Après, j'ai coupé tout contact avec eux, simulé une dispute pour qu'ils m'en veuillent à tout jamais. J'avais tout simplement peur qu'ils découvrent la vérité. Je ne voulais pas qu'ils gardent une image de moi encore pire que celle qu'ils avaient déjà.

A mon vingt-cinquième anniversaire, j'avais décidé de fêter ce quart de siècle avec mes amis de l'époque. Nous étions allés dans un bar où nous avons l'habitude de venir boire un verre. Une ravissante demoiselle, dont j'appris le nom (Aleksandra) un peu plus tard, était assise seule au comptoir, j'avais donc décidé d'aller la rejoindre, éméché que j'étais. J'en oubliai mes amis, ainsi nous partîmes dans un lieu plus intime. Je ne voulais rien faire de particulier avec elle. A vrai dire, je regrettais un peu d'être allé vers elle, mais qu'importe. Elle me racontait de sacrées insanités -du moins c'est ce que je pensais - , me disant qu'elle était un vampire. Je riais à ce qu'elle me disait sans y prêter attention, si bien que lorsqu'elle me proposa une "transformation", j'acceptai le sourire aux lèvres. Voici comment je suis devenu ce que je suis. Les premiers jours, j'avalai mal la pilule, pensant qu'il s'agissait seulement de restes de la soirée. J'ai dû dévorer une personne pour comprendre que tout ce que cette fille m'avait dit était réel. J'ai pris aussitôt goût à séduire quelques personnes dans le but de m'amuser un peu, de les tuer ou les transformer. I wanna do bad things with you...