Le temps s'écoulait si vite. A passer tout son temps à l'hôpital, à se défoncer au boulot, forcément que Nathaël ne voyait plus les jours défiler. Il enchaînait les gardes et quand il avait atteint le nombre de gardes autorisées, il dormait quelques heures en salle de repos avant de repartir pour plusieurs heures de travail. Il vivait à cent à l'heure, ne comptait que sur l'adrénaline pour le tenir éveillé, pour le maintenir au meilleur de sa forme. Tant mieux. C'était ainsi qu'il était meilleur dans ce qu'il faisait, quand il avait à peine le temps de réfléchir, à peine le temps de se poser pour prendre une décision raisonnée. Il devait se décider comme ça, ici, maintenant, dans la seconde. Et il devait faire le bon choix. C'était la vie d'autrui qui en dépendait, c'était toute sa carrière, sa vie. Mais c'était le mode de vie qu'il préférait. Il n'aimait pas à avoir à compter les minutes, les secondes. C'était cruel. Tourner en rond, s'asseoir, se lever, prendre un verre d'eau, s'asseoir. Lire un journal. Qui lisait un journal de nos jours ? Nathaël n'avait pas le temps pour tout ça. Non, Nathaël préférait de loin occuper ses journées en faisant ce qu'il aimait, ce qui le passionnait. Et que faisait-il ? La médecine. Il ne voyait pas d'autre réponse à la question mais c'était largement suffisant. Et ça résumait plutôt bien son existence : Nathaël se dévouait tout simplement à la médecine. C'était comme une évidence, c'était comme inné. C'en était presque naturel, dans l'ordre des choses. Il ne voyait pas grand monde et ne sortait pas beaucoup. Mais ce n'était pas grave, parce que pendant ce temps-là, il réparait une jambe ou enlevait une étagère de la poitrine d'un homme. La médecine, c'est simplement ce qui le maintenant en vie, en haleine. Et pendant ce temps-là, il n'était pas rare qu'il abandonne son appartement, pour plusieurs jours, parfois même pour une semaine entière. Il avait un appartement parce que tout le monde en avait un, plus par coutume que par réelle utilité. Il revenait pour jeter les journaux empilés devant sa porte, payer les factures et vérifier que sa vieille voisine était toujours vivante, mais il n'y restait jamais bien longtemps. Mais aujourd'hui, c'était différent. Il avait été contraint de retourner à son appartement pour la journée. Il passait trop de temps au travail, paraissait-il. Tout ce temps libre et aucune façon de le dépenser. Et Nathaël ne se souvenait pas la dernière fois qu'il était resté si longtemps dans ce minuscule deux pièces mal éclairé. Et puis l'ennui devint son seul compagnon. Tourner en rond, s'asseoir, se lever, prendre un verre d'eau, s'asseoir. Lire un journal, pour une fois. Dormir. Depuis plusieurs mois maintenant, le jeune médecin était pris d'insomnies. Il ne pouvait simplement pas dormir, et il avait tout essayé. Compter les moutons, prendre un somnifère, vider une bouteille de mauvais alcool. Mais rien y faisait, tout comme aujourd'hui, où il avait fini par passer la nuit à réorganiser chaque placard de sa cuisine. Ereinté et d'humeur massacrante, il s'arrêta uniquement quand la lumière de la lune fit place à l'aube et envisagea de prendre un café. Il s'ennuyait à mourir, si bien qu'il s'était surpris à essayer de suturer l'une de ses casseroles. Nathaël compris qu'il était temps de s'aérer un peu et descendit en vitesse les escaliers de son immeuble, poubelles à la main, en chaussons et dans la tenue la plus confortable qui soit. Hélas, il ne semblait pas être le seul à avoir eu cette idée et allait sans doute devoir supporter les commérages de ses voisins. « Un soucis, Harper ? » Finalement, il n'eut aucun mal à reconnaître Sadie, toujours aussi aimable, bien qu'elle ait changé de couleur de cheveux depuis leur dernière rencontre. Il se maudit de ne pas avoir eu l'intelligence d'esprit de faire demi-tour avant qu'il ne soit trop tard et se surprit à trouver soudainement mille et une choses plus intéressantes que de se retrouver en bas de son immeuble avec son ex petite-amie. « Ils n'ont pas de poubelles dans ton immeuble hyper sécurisé, Sadie ? » Nathaël, comme tous les autres locataires de son immeuble, il pensait, avaient passé des heures à envier ceux de l'immeuble d'en face, en l'occurrence, celui de Sadie. Plus grand, plus imposant, plus propre, plus sécurisé, plus luxueux. Et avec un gardien ! Evidemment, on pouvait tout se permettre quand une horde de paparazzis nous suivait à tout instant. Nathaël n'avait besoin de rien de tout ça mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'imaginer dans un appartement de luxe, avec une baignoire qui se remplissait d'elle-même. « Et depuis quand t'es devenue brune ? » Nathaël revint sur son principal sujet d'intérêt et fut presque offensé qu'elle ne l'ait pas averti d'un tel changement. Cela faisait longtemps qu'ils se passaient des banalités d'usage et d'ailleurs il se demandait pourquoi elle aurait intérêt à le prévenir de quoi que ce soit, à présent.

Spoiler:

« J'avais besoin de changement. » Nathaël hocha la tête, comprenant pour une fois l'état d'esprit de la jeune femme. Il avait pendant longtemps connu cette sensation de besoin lui aussi. Maintenant, tout ce qu'il se contentait de faire, c'était enchaîner les heures à l'hôpital, et trouver un moyen de dormir. Sa vie était si plate dernièrement qu'il n'avait pas d'autre point d'intérêt. Puis il se rendit compte que Sadie pensait certainement à quelque chose de plus concert, où le besoin se manifestait par une nouvelle paire de chaussures, ou bien, dans son cas, une nouvelle coiffure. Tout d'un coup, la réflexion philosophique sur le sujet sur lequel il venait de se lancer n'avait plus aucun sens. « C'est réussi. » Il haussa les épaules avec indifférence alors qu'il contemplait d'un air curieux le fond de la poubelle. Son état de fatigue était tel qu'il se surprit à imaginer ce que ses voisins pouvaient bien y jeter. Il avait souvent entendu dire que les ordures d'un foyer révélait souvent un tas de choses sur les personnes qui l'occupaient. Mais bref, encore une fois, il s'écartait du sujet. De toute façon, la poubelle était vide. « Le changement, je veux dire. » Ses lèvres se fendirent en un sourire sadique à l'idée qu'elle puisse penser qu'il s'agissait d'un compliment. C'est qu'il se croyait drôle, en plus. Blague à part, il avait toujours du mal à voir Sadie en brune, peut-être parce que du temps où ils étaient ensemble, elle était encore blonde. Ce changement soudain était plutôt récent, si récent, que Nathaël n'arrivait pas à mettre une date dessus. Ca devait sûrement s'être produit lors de son dernier voyage. Pas qu'il ne s'intéresse à la vie de la jeune femme, évidemment, mais son nom était en première page de toutes les couvertures de magasine, magasines dont était remplie la salle d'attente des urgences de l'hôpital où il travaillait. « Comment était ton voyage ? » s'enquit-il sans réelle curiosité. Maintenant qu'ils étaient réunis autour de la poubelle sacrée, en pyjama, quelque part entre le rêve et la réalité, il se sentait comme obligé d'échanger les banalités d'usage avec son ancienne partenaire. Il était difficile à croire, après les quelques semaines de relations dans laquelle ils étaient engagés, qu'ils soient devenus si distants à l'égard de l'autre et pourtant c'était bien tout ce qu'il restait entre eux. Sans compter sur le plaisir que Nathaël prenait toujours à remettre Sadie à sa place, à croire qu'il ne restait vraiment plus aucun vestige de leur relation. De toute façon, mieux valait rejeter la faute sur l'autre que de se demander si on aurait pu agir différemment, pas vrai ?