« Je laisse un mot sur un papier, c'est quelques lignes d'un visage que je dessine. J'te fais une place sans hésiter, et je m'inspire de nous, j'imagine. Et puis je laisse au hasard quelques mots pour nous, comme pour marquer mon passage, dire que je pensais à toi. »

Je n'aime pas aimer, parce que lorsqu'on aime, on souffre. Je suis queqlu'un de pragmatique, bien que trop romantique. Je n'aime pas aimer, et pourtant, je n'arrête pas d'aimer. J'aimerais pouvoir me montrer plus dur, plus distant, plus froid, plus fort. Mais je ne suis qu'un enfant, un enfant perdu, un enfant abandonné. Je n'aime pas vivre seul, et pour combler mes solitudes, mes inquiétudes, je décide d'aimer le premier venu. C'est toujours le même shéma, je tombe amoureux, je m'offre sans conditions et je souffre, je pleure, je meurs. Je n'aime pas aimer, pourtant, je me sens obliger de le faire parce que sans l'amour, ma vie serait bien trop triste, morose et casanière. J'ai horreur de ma routine, en ce moment, j'ai horreur de tout. Lorsque je regarde l'état léthargique dans lequel les années passées m'ont plongé, je finis par penser que je n'étais peut-être pas fait pour être danseur. Je suis danseur, je suis chômeur. C'est triste mais c'est la réalité des choses. Il y a trop peu de place pour l'hésitation et les erreurs, dans un domaine comme le mien. On ne regarde que les meilleurs, on ne prend que les meilleurs. Moi, je ne suis qu'un danseur parmi des milliers d'autres, qu'une perle dans un collier, qu'un grin de sable sur une plage. Je n'ai rien d'extraordinaire, rien d'exceptionnel, sinon cette flamme qui anime ma passion depuis toujours. Danser, aimer, voilà à quoi se résume ma personnalité. Je suis aussi lourd et pénible qu'un gros bisounours. Certains hommes ne pensent qu'avec leurs attributs, moi, je ne pense qu'avec le coeur. J'ai 23 ans, en vrai, je suis resté coincé sur mes 10 ans. Tout m'émerveille, tout me rend fou de joie. Je vois un vol d'oiseaux, je souris, je vois un bourgeon en fleur, je suis excité et lorsque je regarde les Frères Scott, je pleure. Je suis trop sensible, on me dit. Je suis trop romantique, c'est vrai, je vous l'accorde. Mais je suis ainsi. Cette sensibilité est un attout dans mon métier, je sais que c'est ce qui, un jour, fera la différence. Je sais qu'un jour, c'est ce qui me permettra d'être regardé comme LE danseur plutôt qu'UN danseur. En attendant, je me contente d'aimer, de danser pour moi et de survivre, ai-je un autre choix.

Et puis, il y a Alyson, aujourd'hui. Alyson, hier, Alyson, demain, j'espère. Je ne le connais pas vraiment plus que tant, mais j'aime déjà ce qu'il fait de moi. Il est gentil, il est agréable, il est stable et posé. En fait, je crois bien qu'il est tout l'opposé du garçon que je suis. En vrai, j'ai l'impression que nous n'avons aucun point commun. C'est sûrement pour ça que je ne suis pas encore "amoureux" de lui. En temps normal, je me serai raccroché à lui comme une sangsue se raccroche à sa victime. En temps normal, je lui aurai déjà voué un culte, mon culte. Mais nous sommes trop différents et cette fatalité me laisse perplexe. Il est trop bien pour moi, il ne mérite pas d'une quiche dans mon genre mais d'un homme exceptionnel. Il mérite tout ce que je ne peux pas lui offrir. Pourtant, il s'intéresse et continue de vouloir me voir, pas plus tard qu'hier, il m'a appelé. Il m'a demandé si je m'en sortais, sans électricité. Il est adorable, vraiment ! Il m'a proposé de venir passer la nuit à la maison pour me tenir compagnie, mais j'ai refusé. Quoi que j'étais sur le point d'accepter, mais mon égo a parlé à ma place. Je ne veux pas qu'il me voit comme un être fragile, lâche et trouillard, même si pour beaucoup, c'est ce que je suis. Pour lui, je veux me montrer plus mature, plus grand. Alors je lui ai proposé de remettre notre soirée à une autre fois, mais que s'il était d'accord, nous pouvions nous voir aujourd'hui et prendre un café ensemble. Il a adoré mon idée. C'est la raison pour laquelle je m'étais réveillé avec le soleil ce matin-là. La raison pour laquelle je marche en direction du bar dans lequel nous devons nous retrouver. L'oeil averti et le sourire figé sur les lèvres, j'ai enfilé un cardigan beige, un jean simple et j'ai même pris la peine d'enfiler des gants. Les matinées sont fraîches par ici. Lorsque j'arrive au café dans lequel nous avions convenu d'un rendez-vous, Alyson n'est pas là. J'ai dix bonnes minutes d'avance. Je suis décidément incorrigible ! Trop envieux de bien faire, je suis parti trop vite de la maison. Alors je m'assied à une table, commande un chocolat chaud, sourit au serveur et le remercie pour sa gentillesse avant de me mettre à boire, observant la vitrine, observant l'extérieur. Je sais qu'il va venir, Alyson est trop gentil pour me poser un lapin, c'est pour ça que je l'apprécie autant.

Mon gros problème, au fond, c'était que j'avais trop peur de rester seul, de n'avoir personne à mes côtés, de vivre ma vie en solitaire, d'affronter les obstacles sans une épaule sur laquelle me reposer. C'était ça mon gros problème, j'avais tendance à idéaliser tous les hommes que je rencontrais tout simplement parce que je ressentais le besoin d'être avec quelqu'un. Contrairement à l'adage qui disait qu'il valait parfois mieux être seul que mal accompagné, moi, je préférais me fourvoyer. Vivre seul ? Non merci. Je préférais encore m'installer avec le dernier des imbéciles que de rester seul avec ce poids sur les épaules. Finalement, c'était plutôt un gros défaut dont je prenais gentiment conscience. Ma position de danseur, autrefois, m'interdisait tout simplement de m'attacher. J'étais en constant déplacement, je ne dormais que dans des hôtels, j'avais une "troupe" entière à mes côtés, je n'étais jamais seul. Et puis, depuis mon arrivée à MontSimpa, il y a trois ans, depuis l'arrêt de "Billy Elliot"… j'étais seul ! Et c'était terriblement pesant, terriblement étouffant. Alors oui, j'avais tendance à me bercer d'illusions quand je croisais la route d'un homme et j'en souffrais, toujours. Le résultat était constant, là aussi. Je m'attachais, je me livrais, et je me retrouvais finalement les quatre fers en l'air, sous le choc d'une séparation plus ou moins douloureuse, à chaque fois. Oui, j'étais "couplo-dépendant", mais ça pouvait se guérir, j'en étais sûr. D'ailleurs, ma dernière relation datait de quelques semaines à peine. Elle avait duré… quoi, trois semaines pleines ? Rien donc d'important. Un mec qui avait juste cherché à profiter de ma sensibilité et de mes faiblesses pour s'offrir de quoi s'envoyer en l'air quelque temps. Et puis, j'avais eu ce déclic. Et sous les conseils d'une amie, j'avais décidé de reprendre ma vie en main, de reprendre en main mes sentiments et d'apprendre à vivre seul, à affronter mes problèmes tout seul, comme un grand.

A peine une bonne résolution prise, voilà que je rencontrais Alyson. Sa douceur, sa gentillesse, son affection, sa grandeur d'âme. Pourquoi fallait-il que le destin me joue ce tour. A l'instant même où je m'interdisais de retomber amoureux du premier venu, on m'envoyait "l'homme idéal" en plein visage. Un garçon adorable, tout aussi sensible que moi mais beaucoup plus fort, beaucoup plus stable. Même en tentant de résister, je n'y arrivais pas. Il était là pour moi, il cherchait à m'aider le plus souvent possible et surtout, il me regardait avec une douceur que je ne connaissais pas. Une relation qui, d'après moi, pouvait m'amener là où jamais je n'avais été et pourtant… je refusais de me donner, je ne voulais pas en souffrir une nouvelle fois. Oui, Alyson était parfait, jusqu'à présent, mais s'il jouait les "parfaits petits-amis" peut-être n'était-ce qu'une façade ? Je ne tenais pas à souffrir à nouveau d'une désillusion, surtout pas. Alors j'avançais doucement, et s'il désirait me suivre, je ne pouvais décemment pas le lui interdire. Jusqu'à présent, il assumait cette position, il assumait notre "relation" et avait l'air décidé à suivre mon rythme, c'était juste génial. Alors ce matin là, effectivement, j'étais super impatient de le retrouver. Excité comme une puce, j'étais arrivée vingt bonnes minutes d'avance mais j'étais là. Assis à une table, seul, le regard vitreux parce que je n'avais pas beaucoup dormis, mais j'étais là. Le sourire aux lèvres, les mains scotchées à mon chocolat chaud, seule source de chaleur en ce moment. Et puis, le titillement de la sonnette qui indiquait qu'e la porte d'un café venait de s'ouvrir. Un regard soulevé, et je croisai le sien. Il était là, devant moi. Il s'approcha en souriant, il était impeccable. En complet, il dégageait un style et une classe naturelle qui me laissait sans voix. D'excellente présentation, toujours, il respirait la galanterie et la sincérité. A l'opposé de tous ceux que j'avais déjà connus jusque là, Alyson était une bouffée d'air pur, ma bouffée d'air pur. Il s'installa en face de moi, après m'avoir salué. Un léger malaise, je ne savais pas s'il fallait qu'on s'embrasse ou pas, qu'importe. Je le laissai guider, je le laissai mener la cadence, je m'y habituais. Le regard allumé d'une étincelle qui m'était étrangère, je lui souris tendrement.

« Salut, Alyson. » d'une voix calme et douce, je l'apostrophai à mon tour. Il s'installa alors en face de moi, et sourit. Il avait cette assurance qui me rendait toujours admiratif. Je l'observai avec une tendresse plus ou moins traduisible. Il me demanda alors si ma soirée fut bonne et bien que l'envie de lui répondre que sa présence aurait beaucoup aidé à ce qu'elle soit magnifique, je retins mes mots. Finalement, j'avais mal dormi. Je m'en étais beaucoup voulu de lui avoir refusé sa compagnie mais j'estimai avoir fait le bon choix. Même si ça en devenait frustrant parfois, je trouvais que nous avancions à un rythme convenable et suffisant. J'apprenais doucement à le connaître et j'en étais ravi. Alors, toujours en souriant, je me contentai de lui répondre. « C'était une nuit terrifiante. J'ai pas fermé l'œil, en plus, il y avait du vent et j'avais l'impression d'être dans un film d'horreur. Mais sinon, ça a été. Et ta nuit ? » lui demandais-je alors tout naturellement.