Le frigo ouvert devant toi, tu restes immobile. Tu sais pourtant déjà qu’il n’y a rien à manger ici. Normal puisque tu n’as pas été faire les courses depuis quelques semaines. Tu pourrais commander quelque chose, du chinois ou une pizza mais ta conscience te dit de profiter de l’occasion pour sortir ta chienne. Elle tourne en rond dans ton petit appartement depuis hier déjà. Tu fais vraiment une maîtresse pitoyable, tu le sais. Tu es pitoyable tout court de toute façon. Mais aujourd’hui, tu es motivée, sans vraiment savoir pourquoi. Ça ne t’arrive jamais pourtant. Pourtant, tu pourrais sûrement rester sans rien manger jusqu’à demain, tu l’as déjà fait souvent. Mais le silence, là où il y a souvent le bruit de la pluie sur le velux, te donne une raison supplémentaire de sortir. Ce velux, c’est ta seule source d’information sur la météo. Tu enfiles un jean qui ne te tient plus à la taille mais avec une ceinture, ça passe inaperçu. Tu as encore maigri, tu le sais. Mais tu ne fais rien pour l’empêcher. Un pull, un manteau et des chaussures plus tard – soit une bonne demi-heure le temps de tout trouver – tu es sortie. Il y a un truc de restauration rapide juste en bas de chez toi, ça tombe bien. Dans l’ascenseur, tu offres quelques caresses à Bitch qui en réclame toujours. Pauvre chien. Elle aurait pu tomber sur quelqu’un de bien mieux que toi. Mais elle n’a pas l’air de tant te détester que ça. C’est bien la seule. Sûrement parce que c’est un animal. Un animal, ça aime n’importe qui. Pour la première fois depuis longtemps, tu mets les lunettes noires sur tes yeux. Tu n’as pas envie de faire la queue devant le camion. Tu trouveras bien un idiot pour aller te chercher à manger. Peut-être même te le payer. Ça t’éviterait d’avoir à fouiller dans ton sac pour trouver de l’argent après tout. Et c’est exactement ce qui se passe. Un petit vieux – à en juger par la voix et l’odeur – t’offre ton repas. Et en plus, il ne s’impose même pas pour rester manger avec toi. Il a un rendez-vous médical. Parfait. Tu t’assieds sur une chaise, pose tes lunettes sur la table et grignote les frites pendant que Bitch se promène entre les tables, heureuse d’être enfin dehors. En fait, tu n’as même pas vraiment faim. Mais tu n’es pas sortie pour rien alors tu te forces un peu. Soudain, tu sens une présence à côté de toi. La personne est visiblement arrêtée. L’odeur t’est familière mais tu n’arrives pas à mettre un nom dessus. « Salut, c'est Hevel. » Le vendeur de l’animalerie. Il salue ta chienne d’ailleurs. Tu n’as jamais compris les amoureux des animaux. Tu ne les comprends toujours pas, même si tu as une chienne maintenant. Tu entends le bruit familier d’un coup de langue de Bitch. Heureusement que tu lui as interdit de te le faire, tu détestes ça. « Comment vas-tu ? » A sa voix, tu devines qu’il ne sait pas vraiment quoi dire. Il a peur de t’énerver alors il ne prend pas de risque. Tu n’aimes pas ça. Mais tu ne vas pas laisser un si petit détail gâcher ton humeur pas aussi mauvaise que d’habitude. « Tiens, essuie toi. » Tu soulèves une des serviettes posées sur la table. Tu sais à quel point Bitch peut être baveuse. « Tu veux mon hamburger ? C’est un papi qui me l’a offert mais je n’ai pas faim en fait. Enfin en échange, tu me payes un dessert. » Tu grignotes encore une frite, un léger sourire aux lèvres. Tu es contente de ne pas être seule en fait. « Prends ce que tu veux, surprends-moi Hevel. »