Elle regardait les magasins d’un air vide, ayant perdu toute foi en la vie, puis à travers la vitrine d’un café, elle l’aperçut. Son frère la regardait, il était là, juste derrière elle, il lui souriait gentiment. Sans penser que c’était impossible, elle fit volte-face et au même moment, son frère se retourna et commença à marcher, s’éloignant d’elle. Elle abandonna donc sa mère pour partir à sa recherche. Elle le cherchait désespérément, et se mit même à courir pour espérer le rattraper. Elle pensait naïvement qu’il était peut-être encore là, qu’il ne l’avait pas vraiment abandonnée. Elle courrait toujours plus vite dans la rue, tournant et retournant la tête pour le trouver, puis enfin, elle le trouva. Il admirait la vitrine d’un magasin. Il semblait changé, comme s’il avait grandi d’un seul coup, mais Ava ne se posa pas de question. Elle s’approcha rapidement de lui et lui attrapa le bras. « Andrew ! J’ai cru t’avoir perdu ! Ne me fais plus jamais de peur pareille ! Mais tu ne peux pas mourir, hein, c'est impossible ! » Elle le prit dans ses bras, contact qui réchauffa son cœur avec une douceur incroyable. Mais il ne lui rendit pas son étreinte. Quelque chose était différent. Elle s’écarta légèrement pour mieux le regarder et s’aperçut finalement que ce n’était pas son frère qu’elle serrait si fort dans ses bras. Elle avait en face d’elle un total inconnu, qui ressemblait quelque peu à Andrew. Comment avait-elle pu se tromper ? Quelle idiote. Elle devait bien regarder la réalité en face, son frère était mort, et jamais il ne reviendrait. Elle baissa les yeux, et les larmes coulèrent toutes seules. « Pardon, excusez-moi je… Je vous ai pris pour mon frère… » Elle n’arrivait pas à s’arrêter de pleurer devant cet inconnu qui devait la prendre pour une vraie dingue à présent. Pourtant, il se contenta de sourire d’un air doux, puis il la prit dans ses bras, comme ça, comme pour la consoler. « Je m’appelle Austin. Je suis désolé pour ton frère. » C’était étrange, un inconnu qui l’enlaçait et la consolait, mais pourtant, Ava trouva un grand réconfort dans les bras d’Austin. Une première rencontre peu commune, qui allait changer leur vie. Pour le meilleur, et pour le pire.

Au fil des années, ils se rapprochaient toujours plus, et quatre ans après leur rencontre, il lui avoua finalement ses sentiments. Il avait été le seul à la faire tant chavirer. Avant lui, l’amour, elle n’y croyait pas, ou en tout cas, elle ne se posait pas la question. Il avait simplement fallu qu’elle le rencontre pour que tout change. Il était tellement exceptionnel. Toujours préoccupé par les autres, toujours prêt à l’aider quoi qu’il se passe, presque empathique à tout ce qu’elle pouvait bien ressentir. C’était l’être parfait pour elle. Il l’avait tellement aidé, l’accompagnant chaque jour pour lui donner du courage, l’encourageant à suivre des études dans l’art, elle qui aimait tant dessiner. Son rayon de soleil, c’était à présent lui. Andrew lui manquait terriblement, c’était certain, elle ne l’oublierait jamais, et regrettait qu’il ne puisse pas être là avec elle à profiter de sa vie. Si seulement elle avait pu l’aider, il n’aurait pas cherché à mettre fin à ses jours… Ce fut très long avant qu’elle arrête de se sentir tant coupable. Très long également avant qu’elle ne puisse se rendre sur la tombe de son jumeau. Puis un jour, elle se sentit enfin prête. Elle avait vingt-quatre ans, elle était folle amoureuse, elle travaillait en tant que dessinatrice, il fallait qu’elle avance. Elle emmena Austin avec elle au cimetière pour se donner de la force, et lui, il l’accompagnait avec plaisir, conscient que ça l’aiderait. Ils passèrent silencieusement les grilles du cimetière et avancèrent lentement au milieu des pierres tombales, jusqu’à arriver devant celle d’Andrew, tout à côté de celle de son père. A lui non plus, elle n’avait jamais rendu visite. Il était temps. Elle avait cueilli des fleurs un peu avant, dans un champ. C’était le printemps. Elle déposa un bouquet devant le nom de son frère, et un devant celui de son père. Deux êtres qu’elle aurait voulu garder toute sa vie et qu’elle avait perdus bien trop tôt. Elle resta assise devant les deux tombes, son sourire complètement avait complètement disparu, et la présence d’Austin semblait soudain secondaire. Elle sentait qu’à partir de ce jour, son deuil serait fait. « Andrew, papa. Est-ce que vous êtes ensemble, au ciel ? » Elle parlait comme une enfant naïve, espérant que dans ce ciel qu’elle aimait tant, ces êtres si chers l’observaient. Les larmes coulaient déjà. « Pardon de ne pas être venue plus tôt. Je n’avais pas le courage. Mais aujourd’hui, j’ai trouvé la force de faire le deuil. Je n’ai pas envie de vous oublier, mais je crois que ça, c’est impossible. On n’oublie pas les gens qu’on aime. Andrew, j’espère que tu as retrouvé papa et qu’il est comme maman l’avait dit. J’espère que vous êtes fiers de moi là-haut… » Austin fit un geste pour la prendre dans ses bras, mais elle lui fit comprendre qu’il devait rester où il était. « Vous me voyez ? J’ai rencontré quelqu’un. Il s’appelle Austin, il est là, avec moi. Au début, j’ai cru que c’était toi, Andrew. C’est bête hein ? En plus, tu ne lui ressembles pas tant que ça ahah ! Il m’a beaucoup aidée. C’est grâce à lui si je suis là. Il veille sur moi. J’espère que vous ne pensez pas du mal de lui. Il me protège, il me guide. Je crois bien que je l’aime. » Les larmes coulaient, mais un doux sourire se dessina sur ses lèvres. Austin assistait à une scène bien symbolique, en silence. Elle continua de parler un petit peu, puis vint le moment de partir. Ce fut le plus dur. Abandonner définitivement l’idée de revoir son frère en vie. Il était temps d’accepter. Elle se retourna et Austin sourit avant de la prendre sans ses bras. « Je suis fier de toi. » Elle pleurait, mais se sentait soulagée. C’était fini. Elle pouvait aller de l’avant maintenant.

Au printemps, saison favorite d’Ava, un certain quatre mai exactement, Austin lui avait donné rendez-vous à l’endroit favoris de la jeune femme. C’était un parc, tout bête, mais la vue était splendide. Un pont traversait un point d’eau du parc, entouré de cerisiers, en fleurs à cette époque-ci. C’était magnifique. Chaque fois qu’elle allait là, elle se sentait apaisée. Pour qu’ils se donnent rendez-vous ici, il avait certainement quelque chose de spécial à dire. Au fond, elle espérait qu’il la demande en mariage de la façon la plus romantique qui soit. Elle se prépara donc pour être aussi belle que possible, enfila une robe simple qu’il lui avait offerte et qu’il adorait, passant un léger rouge sur ses lèvres et un trait d’eye-liner sur les paupières. Elle avait grande hâte de le retrouver pour découvrir ce qu’il avait en tête. Elle mit des chaussures à talons blanches, sobres et élégante, et se rendit au point de rendez-vous. Elle était en avance d’un quart d’heure. En l’attendant, elle observait le ciel en souriant, repensant à Andrew et son père, espérant qu’ils l’observaient toujours. Elle attendait patiemment, cependant, il ne se décidait toujours pas à arriver. Une demi-heure après l’heure prévue, toujours pas de nouvelle. Une heure passa, puis deux, entrecoupés de nombreux coups de fil sans réponse. Il ne se montrait pas et ne répondait pas au téléphone. Il osait lui poser un lapin alors qu’il avait lui-même convenu de ce rendez-vous ! Trois heures après, toujours rien. Elle se décida finalement à rentrer, humiliée. Elle était folle de rage, inquiète cependant de ce qui avait bien pu arriver. Le lendemain, elle se rendit chez lui, mais il ne lui ouvrit pas. Elle tenta de rentrer pourtant, mais la porte était fermée à clé. Il avait disparu sans laisser de trace. Il ne répondait toujours pas. Il ne se montrait pas, et ne se montrerait jamais plus jamais. Ava se mit alors à le détester, pensant qu’il l’avait trahie. Pour elle, c’était une blessure suffisante pour lui retirer toute foi en l’amour. C’en était trop. Elle avait déjà perdu trop de gens, et lui, il était parti apparemment délibérément. C’était impardonnable. Elle le haïssait, sans chercher à comprendre ce qui était arrivé. Elle était humiliée, trahie, elle avait encore perdu l’être le plus cher à ses yeux.
---------------------------
Là encore, il a fallu longtemps pour qu’Ava s’en remette. Mais c’était différent. Là, elle le détestait, elle le haïssait de ne pas avoir prévenu, de n’avoir donné aucune nouvelle, d’avoir tout simplement disparu sans laisser la moindre trace. Elle venait de passer neuf ans de sa vie à l’aimer et leur histoire se terminait tellement bêtement. Elle n’aurait jamais qu’il puisse agir ainsi. Elle avait tellement de colère en elle ! Puis sa colère se transforma en force. Elle ne savait pas ce qu’il avait bien pu devenir, mais elle faisait en sorte de ne pas se poser la question. Elle se ferma alors à l’amour, clamant haut et fort que c’était pure illusion, que ça n’existait que dans les rêves d’enfants. Quatre ans plus tard, à trente ans, elle s’était remise. En apparence en tout cas. Elle poursuivait sa vie comme si Austin n’avait jamais existé, comme si ses sentiments n’avaient jamais été réels, elle ne s’engageait pas, rejetant l’idée du couple, méprisant ceux qui croyaient encore à cette rêverie niaise. Elle avançait dans la vie, seule, comme si elle n’avait besoin de personne. Et pourtant, parfois, au printemps, elle se sentait terriblement seule, dans ce parc, à contempler le ciel. Elle s’arrangeait pour ne pas se prendre la tête, rester légère et souriante en toutes circonstances, elle n’était pas triste, non, elle avançait et pensait profondément être heureuse et épanouie là où elle en était. C’était parfait, pourquoi s’encombrer de telles futilités quand on était heureux seul ?