échasses, toboggan, ranger.

C'est quand j'ai voulu monter sur les échasses de sa sœur que Jimmy a décidé de me virer de chez lui. Comprenez, sa sœur elle fait partie d'une troupe de cirque, ou un truc comme ça. J'ai pas trop capté moi, j'ai vu des échasses, ça m'a fait délirer, fin de l'histoire. Sauf qu'après s'être tapés une journée de stage intensif, Jimmy et moi on a décidé d'organiser un petit apéro chez lui. Un petit apéro posé ouais, comme tous les mardi soir. Mais le petit apéro posé il s'est transformé en beuverie atomique. Le genre Tchernobyl de la beuverie, je sais pas si vous voyez. J'ai pas trop suivi le déroulement de la soirée. De base j'me sens un peu bizarre ces temps-ci. A la cité des sciences y'a une affaire top secret dont tout l'monde parle. Je pige pas trop le principe du "top secret" si la moitié de Sunset Valley est au courant que circule un truc top secret, m'enfin. On était à moitié euphoriques, à trois-quart fatigués et à cent pour cent ivres. C'est la cachaça que je lui ai ramené ça, il a kiffé le Jimmy. J'lui ai dit bois pas trop vite, mon gars, tu vas finir mal. Mais il m'a pas cru et il m'a défié. Alors moi, comme d'habitude quand on me défie j'me prends au jeu. Y'a pas de fête sans Elio. Et puis ça vient de chez moi, comprenez, ça vient de chez moi. C'est quand on s'enfile notre treizième cul-sec que je commence sérieusement à voir le monde tanguer. J'propose aux mecs qu'on aille à la piscine, y'a un toboggan d'enfer là-bas et ça doit être bien marrant à cette heure-ci de la journée. Mais mon idée se fait noyer par un quatorzième verre. Très bien, j'accepte. " oh putain les gars j'vois l'carnaval dans ma tête " j'souffle avant d'me lever et de m'approcher de ces fameuses échasses. J'entends une voix qui m'dit non Elio, touche pas. J'décide volontairement de l'ignorer, cette voix. Mais ça retentit une deuxième, puis une troisième fois. Jusqu'à ce qu'on m'prenne par les épaules et qu'on m'pousse contre un mur plus loin. J'crois qu'on m'dit de rentrer chez moi. On m'tend un verre et à ce stade là je suis plus trop capable de distinguer si c'est de l'eau ou de l'alcool. J'crois que c'est de l'eau. " eh les mecs j'ai des cachetons on file au septième ciel ? " j'balance un peu comme ça, sur l'euphorie du moment. J'me tâte la poche mais en fait j'sais pas où je les ai foutues, ces pilules. Tant pis. J'vois trop d'monde autour de moi et la musique me noie la tête. " y'a les fliiiiiics ! c'est l'heure de ranger ! ", y'a pas les flics. J'sais pas pourquoi j'ai dit ça, sans doute parce que j'ai décrété que l'ambiance est pourrie et qu'au lieu de m'faire virer j'préfère me casser tout seul. Mouvement de foule, j'discerne plus trop les silhouettes et j'commence franchement à me sentir stone. J'claque la bise à Jimmy qui est mort contre sa chaîne hi-fi et ça me fait marrer. J'pense que j'me marrerais moins si je voyais ma propre gueule, mais tant pis, à l'heure qu'il est j'suis convaincu d'être le mec le plus clean du monde. " ah bah t'es lààààà " j'souffle en voyant Bamba la chipie sortir de la maison. J'suis content de la croiser, j'suis même assez fier vu que j'considère que c'est moi qui ai organisé cette soirée. Et puis ça m'fait une bonne compagnie avec qui rentrer, vu que je crèche chez elle et Nora depuis un bout d'temps maintenant. " bambaaaa " je relance, en chantonnant, parce qu'en fait j'suis pas très net à l'heure qu'il est. J'm'appuie contre son épaule et je me marre " toi aussi c'est le carnaval dans ta tête ? ", parce que moi clairement j'suis passé au stade feux d'artifices.

salamèche, goyave, glisser

Je n'ai envie de rien. C'est drôle, ça doit bien faire deux jours. Pourquoi ? Je ne sais pas. Moi, petite Bamba est-ce que je commencerais à changer ? A grandir ? Non, je ne veux pas. J'aime bien la petite Bamba moi, je refuse de voir la grande Bamba faire son apparition comme salamèche qui sort de sa pokéball, sinon ça sera plus drôle. Nora, elle dit qu'elle ma contaminé, qu'elle ma donné le blues. Je ne sais pas ce que c'est le blues, mais le bleu ça n'a jamais été couleur. J'aime bien le jaune, oui le jaune c'est beau, c'est vif, frais, c'est vivant, comme la vie. Alors que le bleu, bah c'est bleu. Bref, je suis là, allongé dans ce lit depuis deux jours, sans but précis. Je ne sais même qu'elle heure il est, quel jour, je n'ai aucune notion du temps. Je n'ai pas envie de parler, je n'a pas envie de sauter, je veux juste rester et être allongé. Pleurer ? Pourquoi, personne ne m'a crié dessus ou peut-être que si, je ne sais pas, je ne fais pas la différence. C'est perturbant de réfléchir, de penser, de se poser des questions, d'habitude je ne suis pas comme ça, je ne réfléchis jamais. Je suis plutôt du genre à agir sans penser aux conséquences, sans penser du tout même. Je suis une enfant, oui Bamba c'est synonyme d'enfant et rien d'autres. Papa babar est-ce que tu m'as jeté un sort ? Est-ce un nouveau sort que tu veux m'apprendre ? J'ai mal au dos, être allongé aussi longtemps c'est pas bien en fait, je ne sais pas comment les gens font. Dans mon état normal, je suis l'insupportable Bamba, celle qui se dandine de partout, qui vous rend myope rien qu'à la regarder tellement elle vous donne à la tête, elle est magnifique cette biche, elle me manque. Je passe à la douche, puis j'enfile une tenue confortable, je veux pas faire trop d'effort aujourd'hui. En sortant de ma chambre, y a Mufasa qui m'attend avec une tartine et un verre de jus. Il me fait un bisou sur le front et me guide jusque dans la salle à manger, pour finir par me tendre mon plateau. Je le gâtifie du regard et mange en silence. Il ne dit rien, il me regarde juste. Au fond, Mufasa est bien plus qu'un major d'homme à la maison, il est un peu mon petit papa et je suis son Simba. Jouant avec ma tartine, je me décide à boire mon verre de jus. Innatendu à la première gorgé, je ne peux m'empêcher de recracher. De la goyave, le démon, je n'ai jamais aimé ce fruit, mais je n'en veux pas à Mufasa, il ne le savait pas. Je lui demande de resté à sa place et de me laisser nettoyer, ce que je fais, puis me sers un verre d'eau histoire d'oublier le goût. Mon portable sonne, la macarena, presque automatique je laisse mon téléphone sonner me laissant emporter la musique. Roman me le reproche souvent, il dit que ça l'énerve, que je devrais mettre une sonnerie qui me donne envie de répondre et non de danser. J'écoute le message, on me donne juste une adresse, je ne connais pas le numéro, ni la voix, mais tant qu'à faire j'y vais.  Il fait nuit quand je demande à Kuzco de me déposer, il fait frais, je suis pas en pyjama, mais je suis sortie avec ma tenue de maison, un shot et un simple débardeur. C'est pas grave, je n'ai pas le temps. Quand, j'arrive y a de la musique, beaucoup de monde, de bruit, pas forcément ce dont j'avais besoin. C'est pas important, je rentre quand même et je prends le premier verre que je vois. Je ne sais pas ce qu'il y a dedans, mais ça me suffit. J'enchaîne verre sur verre, jusqu'à me sentir dans les étoiles, avec les licornes et chef pégasus. Qu'il est beau pégasus. J'suis contre le mur faisant le poirier quand tête à l'envers, j'vois qu'il y a de l'agitation, tout le monde crie, hurle, cour jusqu'à ce qu'il n'y est plus personne. J'comprends pas, mais j'suis le mouvement et j'sors de la maison. Kuzco il est plus là. C'est vrai que j'lui avais dit qu'il n'avait pas à m'attendre. Tant pis, j'vais rentrer à pied ou dormir dans un jardin, on verra pour le moment j'veux juste danser. M'apprêtant à partir, on m'attrape le bras, c'est Elio mon dada. Lui aussi, il veut danser, j'suis presque sûr qu'il voudra venir avec moi dans le monde des licornes pour jouer avec Pégasus. Il me demande si c'est le carnaval dans ma tête, je ne lui réponds pas, mais je l'attrape pour danser en tournoyant. Et on tourne, tourne et l'herbe encore bien trempé, je me mets à glisser emportant Elio dans ma chute. On a pas l'air idiot allongé sur cette herbe, surtout que coup de chance l'arroseur automatique s'est déclenché. Pour autant, on ne bouge pas. J'arrête de rire, il arrête aussi. On est juste là allongé, regardant le ciel étoilé, prenant un bain rafraichissant. " dis dada, c'est quoi un adulte ? ", parce que au fond qu'est-ce que je sais de la vie d'adulte pour la rejeter comme ça.

Ah putain c'que ça tourne. J'me dis que le quatorzième verre c'était peut-être celui de trop. J'commence aussi à capter pourquoi ils m'ont interdit l'accès aux échasses. Ca m'aurait fait marrer moi, d'être au-dessus de tout l'monde. Puis ça a pas l'air si compliqué qu'ça au final, de grimper là-haut. Et vu comme j'suis déjà perché, ça aurait pu être d'autant plus facile. M'enfin. Tous des nazes dépourvus de sens de l'humour. Ces scientifiques purs et durs ça sait qu'boire et résoudre des calculs de maths. Je râle dans mon coin tandis qu'on m'invite à partir. Comme si j'allais faire une connerie. J'suis quelqu'un de respectable moi, les gars. Jamais j'crée d'embrouilles. Enfin, presque jamais. C'est vrai que j'ai l'sang un peu plus chaud depuis que j'suis revenu du Brésil. Depuis qu'j'essaie de me limiter l'accès aux drogues et depuis qu'j'me suis mis à la boxe. Mais autrement ça va, j'suis que paix et amour. Je souffle fort tandis que l'air frais de la nuit me martèle le visage. Ah putain ça fait du bien, j'avais la sensation d'étouffer là-dedans. J'regarde tous ces visages défiler devant moi. Ils ont l'air plutôt nets eux, ils ont l'air pas trop dans les étoiles. Ils s'tiennent droit, ils ont des conversations claires. J'me demande d'où est-ce qu'ils sont sortis. Peut-être que y'a un espèce d'arche qui lie l'appart de Jimmy a une autre dimension. Peut-être que c'est des extra-terrestres travestis en êtres humains. J'commence à être parano et à m'éloigner d'eux quand j'aperçois le visage enjoué de Bamba. Il m'faut un certain temps pour réaliser qu'c'est elle. Elle a pas l'air super fraîche, je crois. Du moins, de mon point de vue de mec complètement alcoolisé elle est pas très fraîche. J'ai l'impression qu'un coup elle a les cheveux roses un coup elle a les yeux verts. C'est marrant, c'est psyché. J'me dis que ça doit être son talent de sorcière qui ressort. Bam elle se transforme. J'm'appuie sur elle et j'souris, j'suis content de la voir, Bamba. J'suis un peu moins content quand elle se met à m'entraîner dans une danse titubante. On tourne et on tourne et on tourne et j'me dis qu'merde, on va tomber. Ma tête me crie d'arrêter, elle m'dit qu'est-ce que tu fous, Elio. Ca va mal finir, Elio. On tombe et j'me marre. J'crois que j'suis trop loin pour me poser des questions, j'crois que j'suis trop à l'ouest. Y'a l'arroseur qui se déclenche et on se tape une douche gratuite. J'lâche une exclamation parce que ahhh, c'est froid cette merde. Puis j'finis par me calmer. J'me pose sur l'herbe et j'lève les yeux au ciel, comme Bamba. Elle est sérieuse Bamba, j'comprends pas trop pourquoi. Y'a les étoiles qui s'agitent devant moi, elles brillent fort, puis sont floues, puis brillent à nouveau. Ca m'fait mal à la tête alors j'finis par fermer mes paupières quelques secondes. " un chieur ", j'souffle sans trop réfléchir. Et ça tourne et ça tourne et ça tourne. J'me rends compte que c'est peut-être pas ce genre de réponse qu'elle attendait, Bamba. Alors j'ouvre les yeux et j'hausse les épaules. " enfin non, j'sais pas, j'imagine que c'est quelqu'un qui travaille et qui sait toujours comment prendre les bonnes décisions ", ça m'paraît chiant, dit comme ça. Mais en même temps j'me demande ouais, c'est quoi un adulte ? C'est nous ? " on sera toujours des gamins aux yeux de nos parents et des adultes aux yeux des gamins ", ouais, ça ça m'semble plutôt juste. J'me sors une clope et je l'allume d'un coup d'briquet " pourquoi ? tu fais un complexe de peter pan ? ", j'souris avant de fermer à nouveau un peu les yeux. La vérité c'est que j'me sens pas très bien, mais ça c'est l'genre de trucs que j'me garde bien de raconter.