Debout dans sa salle de bain, Viktör était figé devant son miroir. Son visage était blanchi par la fatigue, deux larges cercles bruns se dessinaient sous ses yeux, encore fatigués de la veille. Une autre de ces soirées trop alcoolisées qui s'était déroulée la veille. Aucuns souvenirs, tout n'était qu'un puzzle qu'il fallait reformer. Il avait l'habitude de passer des soirées comme celle-là, à boire pour tout oublier, oublier les petits soucis du quotidien. Il avait encore dû se retrouver à poil au milieu de la salle, à se mettre une plume là où l'on pense et faire la poule, ou une autre de ces situations improbables lorsque l'on est sobre, enfin...bref, il était là, pendant quelques minutes, à regarder son visage. Ne sait-on jamais disait-il, c'était une petite habitude qu'il prenait, se contempler les matins, non pas pour s'admirer, non non, ou plutôt après-midi de fêtes. Tout ça depuis ce jour, où il s'est rendu à un entretien accompagné d'un joli coquard sur son œil gauche, à cause d'une fête qui avait dégénérée, et puis le jeune Viktör a une grande habitude de se retrouver dans ce genre de situation. Son regard se porta sur son arcade droite, anormalement bleue. D'un reflex robotique, il se toucha là où le bleu était apparu et laissa, logiquement, s'échapper un petit cri de souffrance passagère et assez exagéré. Aucunes idées, il n'avait aucunes idées de ce qu'il aurait pu se passer. Peut-être s'était-il battu ? Peut-être alors qu'il s'était prit une porte ? Tout cela n'étaient que des hypothèses qu’émettait Viktör. M'enfin, il passa son visage sous l'eau pour le réveiller, ou du moins essayer de le réveiller.

Vingt et une heure, Viktör était affalé, le mot est juste, sur son canapé. Il s'était endormi sans prévenir, devant une émission débile de télé-réalité. Le genre d'émissions cul-cul dans lequel il serait capable de participer, rien que pour rigoler voire se foutre de la gueule de tous les autres candidats. Il s'était réveillé en sursaut, après avoir entendu un cri provenant de la télé. Allongé donc, il s'assit puis se frotta les yeux, avant de repenser au bleu qu'il avait à l'arcade. C'était trop tard et cria encore une fois à la souffrance, enfin...quelle souffrance ! Il jeta un coup d’œil à l'horloge au-dessus d'une porte, elle y affichait vingt-heure quarante huit. Il n'avait pas l'intention de finir sa journée seul, de ne pas rester toute la soirée allongé sur son canapé, à s'abrutir devant des âneries pareilles. Il enfila un t-shirt imprimé, un jean porté de la veille et des chaussures qui étaient à sa portée. Il quitta sa maison, laissant tout en vrac et en un magnifique bordel dans celle-ci. Quelques minutes plus tard, après avoir marché plusieurs centaines de mètres, Viktör se retrouva chez Hogan, le lieu qui pour lui, devrait être le plus animé pour un soir comme ce soir là. Il poussa la porte du bar, avant d'être surpris. Cet endroit était bondé de monde, et pour tant cette fois, il n'y avait personne enfin moins qu'habituellement. Il cherchait une place, non pas difficilement car la plupart des places étaient libres, ce qui lui laissait un grand choix donc une plus grande hésitation. Il remarqua au loin, cette fille aux cheveux blonds. D'un naturel séducteur, il s'approcha d'elle. Il n'avait toujours pas vu son visage, elle était de dos. Quand il arriva à sa hauteur, il laissa sortir « J'ai l'impression que tu es terriblement seule, je me trompe ? Excuse moi, je n'avais pas vu ta bière, elle à l'air de te tenir compagnie... A moins que ton mec, si tu en as un, va arriver pile à ce moment là et va me frapper, ce qui serait assez drôle. On ne se connait pas mais...tu permets ? » c'était encore une de ses techniques de drague, de parler longtemps et franchement afin de pouvoir contempler les lignes du visage de son interlocutrice et de prendre soin de regarder aussi ses formes. Il était comme ça, le Kasper, franc et direct.

Viktör était dans ce genre là, franc et direct. Certaines personnes ne supportent pas ce type de personnalité, d'autres adorent. Viktör espérait ne pas avoir brusqué la jeune qui se tenait près d'elle, oh et puis, tant pis se dit-il. Il avait eu le temps de la regarder, blonde, les yeux entourés de noir, comme si elle avait à cacher quelque chose. Son regard était vide, une impression qu'elle ne regardait rien, qu'elle était perdue. Ce type de femme, difficile à faire rire, du moins à première vue, et à se mettre dans la poche, le genre de fille dont Viktör prenait plaisir, comme une épreuve à surmonter. D'ailleurs, Viktör la trouvait attirante, il avait envie de la connaître, de la découvrir. Il lui souriait une dernière fois avant de s'assoir dans la chaise vide qu'elle venait de montrer. Il posa ses coudes sur la table, et regardait fixement la blonde qui se tenait maintenant en face de lui. Avant de commencer à discuter, il interpella un serveur avant de commander une simple bière, pour ne pas trop forcer sur l'alcool, vu comment il avait fini la veille. « Pas de mec à l'horizon, c'est bon. » il n'y eu aucunes réactions de la part de son interlocutrice. C'est à ce moment là que Kasper se sentit assez...comment dire ? Bête. Il se trouva à rire seul, pendant qu'elle, restait là à regarder son verre à moitié plein ou à moitié vide. Elle était sûrement mal, à ce moment précis, peut-être avait-elle des problèmes ou alors elle était seulement dans une mauvaise période que seules les femmes connaissent, oh ou bien, était-elle muette ? Impossible, puisqu'elle avait réussi à commander sa boisson. Peut-être que le serveur était lui aussi muet. Tout un tas de questions comme celles-ci traversaient la tête du jeune Kasper, des questions connes certes mais des questions importantes. Il soupira encore une fois, comme il avait l'habitude de faire lorsqu'il était confronté face à une situation assez embarrassante et surtout chiante. « Sinon, j'ai un prénom... Viktör » il attendait une réponse d'elle. Il ne supportait pas donner son prénom entier, Viktör-Kasper, il trouvait ridicule le fait que ceux-ci soient rassemblés. Il n'en donnait alors qu'un seul, souvent c'était Viktör et d'autres fois, c'était Kasper. C'était quand même souvent Viktör qui revenait.

Elle me foutait les boules, vraiment. Ses yeux entourés de noir, son visage blanchit par la lumière du bar et son sourire, présent un millième de seconde. Je ne sais pas, on aurait dit qu'elle sortait d'un clip de Marilyn Manson, sans être méchant. C'était peut-être que son style, peut-être qu'une apparence. Ne jamais juger aux apparences, comme disait ma mère. Ouais, c'est ça. Pourtant, c'était une chose que je faisais souvent et sans mentir, je ne me trompais jamais. Peut-être qu'elle sera l'exception qui confirme la règle. Malgré tout ça, elle me faisait quand même quelque chose elle avait un charme, son visage cachait quelque chose, quelque chose de doux et d'attirant. Ce n'était qu'une apparence, rien qu'une apparence. Ma bière arriva enfin, je répondais par un merci au pauvre serveur qui me l'avait donné. J'en bu une gorgée pour la gouter, puis je reposai mon verre sur la table froide. Je passais le doigt tout autour des rebords du verre, c'était un signe que le temps était long, et que je me faisais chier. Elle n'avait pas balancé une seule phrase, un seul mot ou même qu'une syllabe. C'est à ce moment là que j'ai vraiment cru qu'elle était muette. Un silence pesant voire carrément gênant qui se posait entre elle et moi. C'est à ce moment là que j'aurais pu commencer un monologue, à sortir des conneries à la seconde pour casser cette étrange ambiance qui flottait dans l'air. J'avais mon coude posé sur la table, la main sur la joue. Je tenais ma tête, on aurait cru qu'elle allait tomber. Mon regard était porté sur les motifs laids et kitsch de la table, vraiment, il y a des gens qui peuvent dessiner ça un jour et faire un carton dans le design. « Je m'appelle Kalliste, et non je n'ai pas de petit ami, tu peux être tranquille. ». Elle avait enfin parlé, elle avait enfin sorti un son de sa bouche. Au moins elle avait une voix, c'était déjà ça, comme un soulagement. Et en plus, elle n'avait pas copain ce qui arrangeait tout. D'ailleurs, j'eus un petit sursaut lorsqu'elle se mit à parler, j'étais dans mes pensées en train de réfléchir à qui aurait bien pu dessiner ses motifs dégueulasses. Je lui souriais et relevais la tête. « Tu sais que j'ai vraiment cru que t'étais genre muette, voire sourde.» et j'ai rigolé. Je rigolais souvent de mes conneries mais quand c'était peu drôle, voire pas du tout. Elle n'allait pas rire, c'était évident, c'était de la merde. « Hm... enchanté Kalliste. J'allais te demander : "Comment ça se fait qu'une aussi jolie fille comme toi soit seule un soir ?" mais ça fait un peu cul-cul et dragueur à deux balles de chez Amour, Gloire et Beauté. Donc je refais, comment ça se fait que tu sois seule ?»

« Cela n'empêche que tu l'a quand même dit, dois-je comprendre que tu es un dragueur à deux balles ? Et je ne suis plus seule désormais, c'est ce qui compte, non ? » Elle venait de dire que j'étais un dragueur à deux balles, enfin me demander plutôt. Dragueur à deux balles ? J'aimerais bien savoir sa définition, de dragueur à deux balles. Peut-être on a la même, peut-être que non. En tout cas, la mienne, c'est le genre d'homme qui a dans sa poche des phrases déjà préparées, le genre de mec qui s'entraîne devant son miroir à parler et à embrasser. Ouais, c'est ça un dragueur à deux balles, un mâle qui ne connaît pas le plaisir de l'improvisation, qui ne connaît pas la sensation d'y aller à l'aveuglette. Sinon, quelqu'un qui s'est passé les saisons des Feux de l'amour en entier. Bref, tout cela pour dire que moi, je n'étais pas de ce genre-là. Bon en tout cas, elle avait réussi à m'avoir en me disant que moi-même j'étais un des leurs. La soirée allait être bonne avec cette fille, j'en avais la prédiction. C'est vrai qu'à première vue, elle m'avait l'air un peu suicidaire sur les bords et qu'elle allait chialer toutes les larmes de son corps en ma présence et encore une fois, j'aurais servi d'assistant social psychologue et tout un tas de trucs comme ça, car oui j'avais l'habitude d'enfiler mon costume de remonteur de moral. Je n'en sais rien pourquoi, j'dois avoir les mots pour, paraît-t-il ou alors la bonne méthode. M'enfin je m'en fous, ça me fait rire de voir tous ces gens malheureux pour un rien, pour un ci ou pour un ça et rester dans le noir pendant une semaine. Je ris, je ris parce que moi je suis heureux, heureux ouais. Je passai une main dans mes cheveux blonds pour me recoiffer ou plutôt m'ébouriffer avant de lancer un petit sourire à mon interlocutrice. Elle n'avait pas répondu à ma question, sa raison d'être seule. Tant pis me dis-je, j'allais pas chercher à savoir le pourquoi du comment, midi à quatorze heure. Elle a sûrement esquivé ma question pour une raison que personne ne sait et que personne ne saura. En fait, je m'en foutais complétement de connaître pourquoi elle était seule, après avoir réfléchi. Elle est seule et c'est tout. « Comment oses-tu dire de moi que je suis un dragueur à deux balles ? » lançai-je d'un ton sec histoire de lui foutre un peu les boules, rien que pour rire. « C'est vrai, t'es seule et c'est le plus important ouais. Bon je suis un dragueur à deux balles alors, je t'offre un autre verre ?»