Pour faire ta fiche, tu as deux possibilités que voici :

J'y croyais dur comme fer que je faisais partie d'un monde différent, du monde des Grands, de ceux qui surplombent les petites gens de toute leur hauteur. Mais en fait, malgré tout ce qu'avaient tenté de me faire gober mes parents, je faisais également partie du petit peuple, de ceux qui tentaient de faire tenir le chateau de cartes fragile et instable qu'était leur vie. Je comprenais enfin que, des années durant, mes géniteurs m'avaient simplement mentie comme si j'étais une enfant incapable de comprendre.


« Eleonore, veux-tu me faire le plaisir de nous rejoindre au salon ? » Un geste de tête de ma gouvernante t'indique que tu es demandée, alors tu abandonnes ton violon à sa solitude, et avec un sourire collé sur ton joli minois, tu te diriges gaiement vers le lieu qui va bientôt sceller ton destin. Ils sont tous là réunis autour d'une table remplie de victuailles : thé, petits gâteaux, café, cigares. Il ne manque rien. A part toi. Qui viens d'illuminer la pièce avec ta chevelure de feu. Un jeune homme se lève dès que tu passes le pas de la porte, et tu vois du coin de l'oeil ton père acquiescé légèrement. Cela signifie qu'une bonne éducation ne lui a pas fait défaut. Il semble avoir ton âge, peut-être légèrement plus, ses yeux pétillent d'une lueur que tu n'as jamais vue ailleurs. Il faut l'avouer, dans ta demeure, ça ne rayonne pas d'une joie brute telle qu'il peut en exister - mais ça tu n'en as aucune idée puisque tu es coincée dans ta prison de verre -. Tu mets ce bonheur lisible dans ses yeux sur le compte de ton apparition devant lui, et tu n'auras pas tord. Arrivé à ta hauteur, il se saisit délicatement d'une de tes mains et pose tendrement ses lèvres sur le dos de celle-ci. Tu le sens parcourir ton échine, ce sentiment de quiétude infinie, et tu en profites intensément en fermant tes paupières. Puis sa voix embellit le tableau alors qu'il prononce quelques mots. Et une nouvelle fois, ton paternel approuve. « Zadig Boyd-Fiztgerald, ravi de faire votre connaissance mademoiselle. » Tu restes sans voix durant quelques secondes, interloquée par ce charme si perturbant. Et pourtant tu n'as que huit ans. Pauvre fille, tu ne sais guère ce qu'il t'attend. Les présentations sont faites, et le temps file à une vitesse halucinante, tu te sens vite déboussolée et ce n'est que lorsque tu retrouveras ton violon quelques temps plus tard que tu retrouveras ta sérénité. Ce que tu ne sais pas, c'est que lorsque tu as demandé congé à tes parents, il t'a suivie discrètement et est resté à t'écouter par l'entrebaillement de la porte, tentant de comprendre, sans jamais y parvenir, cet amour infini que tu portais à l'instrument qui valsait entre tes doigts aguéris.


A seize ans, tu devrais avoir de nombreuses activités plus farfelues les unes que les autres : le sexe, l'alcool, la drogue, la découverte de nouvelles sensations, la rebellion contre le monde entier, la haine. Tu n'as rien de tout ça, tu es toujours aussi parfaite avec ton sourie à en décrocher la lune constamment posé sur tes lèvres. Tous les jaloux veulent t'arracher la gueule parce que tu as tout, et que ce n'est pas assez pour toi, tu as cette soif, la soif de savoir que peu de gens connaissent. Tu te fous bien des rumeurs qui courent sur la salope blonde et le geek boutonneux, tu ne portes attention qu'à ce qui a un profond intérêt pour le monde, pour ton intelligence déjà amplement développée pour une personne de ton âge. Tu peux tenir la conversation pendant des heures, et sur de multiples sujets, mais pas avec les personnes nés dans les années quatre vingt dix. Tu vises déjà plus haut, sans même le vouloir, sans même le savoir. C'est inné chez toi, tu refuses de sortir faire du shopping parce que tu as prévu une après-midi avec on ne sait quel musicien qui partage la même passion que toi pour les classiques. Pourtant, personne ne te déteste, bien au contraire, tu es la petite fille chérie de Paris, celle que tout le monde adule pour sa si grande compréhension du monde qui l'entoure - autant concernant les personnes que le reste -, pour sa joie de vivre constante, pour sa capacité à rendre le monde environnant plus beau et plus vivant. Tu transmets ta passion des choses à tout ceux qui osent t'adresser un mot. C'en est fascinant, tellement c'est étrange. Ce Zadig n'y est sans doute pas pour rien, il a su t'ouvrir les yeux sur des concepts qui ne t'effleuraient même pas l'esprit. Et ce soir est le grand soir, il est temps de montrer au monde entier votre fusion si passionnel et touchante.

Une cenpiternel fois tu te regardes dans le miroir en pied qui te fait face, sous toutes les coutures, pour tenter de percevoir un défaut qui serait passé inaperçu les trente premières fois où tu t'es déjà observée. Sans doute un peu trop perfectionniste. « Tu as un léger accrochage au niveau de ta cuisse gauche. » Tu t'étouffes à moitié, et le jeune homme pourffe de rire alors qu'il accroche tranquillement ses boutons de manchette en or massif. Détendu comme un prince. Contrairement à toi, qui frise la folie, et l'arrêt cardiaque soit dit en passant. « Ca ne m'amuse pas Zadig, tu ne te rends sans doute pas bien compte de l'importance de cette soirée. » Il s'insinue entre le miroir et toi, et saisit entre ses deux mains d'une douceur infinie ton visage boudeur. « Ne fais pas cette tête Leo, tu sais pertinemment que tu es parfaite. Et tu le seras d'autant plus quand tu descendras ces marches à mes côtés. Cesse de te miner, les rides à seize ans ne sont pas bien vues par la société d'aujourd'hui. » Il pose délicatement ses lèvres sur ton front, et tu respires enfin. L'important c'est qu'il soit à tes côtés durant cette épreuve. Parce que ce n'est pas seulement des marches que tu vas descendre, tu vas également jouer ton avenir ce soir. Cette soirée est en ton honneur, tout simplement. Tu te dois d'éblouir le monde qui t'attend - pas n'importe lequel -, pas seulement par ton sourire, mais également par ta vivacité d'esprit et ton oreille musicale. Tu vas être seule devant une foule de monde qui n'attendra qu'un unique faux pas de ta part pour décider que tu n'as pas digne de la haute société, seule accompagnée de ton seul véritable ami, celui qui, espérons-le, ne te fera pas défaut ce soir : ton violon.

Tu prends ton inspiration, tu fermes les paupières pour oublier tous ces gens assis devant toi, ton esprit s'envole vers un monde meilleur, alors que tes doigts déjà s'envolent sur les cordes de ton violon.


Les choses ont évolué, tu t'es fiancée puis mariée. Tu t'es faite une place dans la société en tant que violoniste, et pas n'importe laquelle. Et cela n'est pas seulement dû au fait que ton fiancé soit l'un des plus jeunes hommes d'affaires, mais également important, cela est surtout dû à ton talent remarquable et enviable de tous. Tu as une demeure - château ? - à votre nom sur Paris, tu n'as plus de temps pour toi entre les dîners mondains, les concerts, et j'en passe. Pourtant, quelque chose a changé. Et si ce n'est pas en toi, alors c'est en lui. C'est Zadig qui a changé, et quelque chose s'est brisé entre vous.

Tu rentres tranquillement d'un énième concert, ravie, comme si rien ne pouvait aller mieux dans ta vie que maintenant. Zadig est là, tranquillement installé dans un de ces fauteils à mille euros, une cigarette à la bouche et un verre de whisky à moitié vide. Il ressemble à un dieu, tu penses cela pour la millième fois. Tu poses l'étui qui contient ton St Graal, ton violon à l'endoit qui lui est destiné, tu souris à ton mari et tu pars vers une pièce adjacente. « Je suis épuisée, je vais me faire couler un bain. » Mais déjà, il est sur toi, t'accolant doucement au mur en bois, tu sais déjà ce qu'il a en tête et, il te l'illustre tranquillement en posant ses lèvres dans ta nuque et ses mains sur tes hanches. « Je ne suis pas d'humeur maintenant, vraiment, je suis fatiguée. » Il ne s'arrête pourtant pas. Quelque chose cloche, dans ses yeux, dans ses gestes, dans sa voix. Tu le sens te saisir, ce sentiment d'insécurité, alors que son haleine pleine d'alcool te gifle le visage. Il n'a pas bu qu'un verre, et un coup d'oeil sur la bouteille vide te le certifiera. Ses mains se font plus pressantes sur ton corps, et tu as l'impression d'étouffer. « Ne t'inquiète pas bébé, je suis en forme pour deux. » Il te donne envie de vomir tes trippes sur le sol, tu as déjà le vertige, et tu sens que la situation t'échappe alors que ses lèvres entrent en contact avec les tiennes. Partie la passion, parti l'amour, évaporés tous ces sentiments à la con, tu ne sens que l'envie bestiale et sexuelle qu'à ton mari à ton égard. Et tu ne trouves pas ça normal. Habituellement, il n'agit pas comme ça, habituellement, il se serait retiré tranquillement et t'aurait laissé passer parce qu'habituellement il te respecte. Mais là, il n'y a plus de respect, il n'y a que le désir pour lui. Et si tu ne fais pas quelque chose, c'en sera fini de toi. Sa main a déjà détaché les boutons qui tenaient ta robe, et tu la sens glisser contre ta peau éphèbe. Tes mains tentent de le repousser, mais face à son corps puissant, tes bras frêles ne peuvent rien. Il te touche comme un homme ne t'a jamais touchée, comme Il ne t'a jamais touchée, et c'est une sensation abjecte de dégoût qui saisit tout ton être. Tu ne te retiens plus et ta paume vient gifler son visage avec une force que tu ne te soupçonnais pas. Il se réveille enfin de sa torpeur, et si tu crois qu'il va s'excuser, tu es dans l'erreur. Ses yeux s'agrandissent, emplis de haine et de colère, et un râle rauque s'extirpe de sa gorge. Son poing vient taper près de ton visage, et tout en ayant un mouvement d'effroi, tu sais que la prochaine il ne te manquera pas, ce sera ton corps qui sera abîmé. Sa main gauche vient enserrer ton cou et il relève ton visage fin que tes yeux soient plongés dans les siens. « De quel droit te permets-tu de me rejeter de la sorte Eleonore ? Tu es ma femme et tu te dois de répondre à mes besoins, quels qu'ils soient. » Vous vous affrontez du regard durant un moment, et il pense avoir vaincu puisque tu ne réagis pas. Il vient de nouveau poser ses mains contre ton corps fragile, et tu te dérobes à lui par on ne sait quel sortilège. « Vas te faire foutre avec tes besoins Zadig. » Et tu te mets à courir rapidement vers un endroit plus sûr, alors que tu l'entends hurler de rage. Alors que tu n'as pas encore atteint le bout du couloir, tu entends un violent choc non loin de toi, quelque chose qui se déchire avec un fracas assourdissant. Et d'un regard au dessus de ton épaule, tu constates qu'il vient de détruire en mille morceaux la seule chose qui te tient réellement à coeur, qu'il vient de la balancer contre un mur comme il a balancé votre amour. Il a cassé un violon qui vaut des millions, mais surtout il a cassé votre couple, comme il a cassé ton sourire. Et les larmes noyant tes joues, tu t'enfermes dans votre chambre, pleurant comme une enfant souillée, comme une enfant brisée.
Oui, quelque chose s'est brisé entre vous.


Cela a duré un moment, avant que tu ne te décides à réagir. Tu es restée, par amour. Tu es restée, parce que tu ne voulais pas le laisser seul dans sa souffrance, et c'est donc toi qui as souffert. Peut-être que c'est le rôle de la femme. Tu es tombée maintes et maintes fois à ses pieds, le suppliant presque. Mais l'alcool fait des ravages. Voilà pourquoi tu es restée. Parce que tu savais que sans cela, il était toujours le même, le mari aimant et souriant d'avant, l'homme qui t'avais demandé ta main dans un étui de violon avant un concert. Il était cet homme-là, il te le prouvait dès lors qu'il n'avait plus une goutte d'alcool dans le sang, dès que son visage reprenait son air apaisant, dès qu'il te souriait charmeusement en te murmurant qu'il t'aimait. Et toi, pauvre conne, tu es restée à ses côtés. Mais bientôt il te perdra, tu t'en iras. Ce jour-là arrive lorsque, pour la première fois, il lève la main sur toi. Ta lèvre tuméfiée en est la preuve. Sur le coup, tu ne diras rien, tu encaisseras, parce que c'est ce que font les femmes fortes d'aujourd'hui. Et à l'aube, tu t'en iras discrètement. Une valise remplie à la vite, le violon surtout. Tu prends tes affaires, et tu le laisses derrière toi. Pas un mot, pas une note. Il ne le mérite pas. Il ne te mérite. Direction n'importe où, direction ailleurs. T'as l'air d'une folle, tu es une folle. Tu sais que quelque chose vient d'être ouvert en toi, une vanne inconnue qui déverse son contenu dans ton cerveau, te faisant lâcher priser, te faisant hurler comme une dératée dans la rue. T'emmerdes le monde, t'emmerdes la vie. Il est peut-être enfin temps de vivre comme une personne de ton âge. Il n'est jamais trop tard. C'est sans doute ainsi que tu termineras ici, à Montsimpa, on ne sait pas quelle magie. Tu es juste arrivée, et tu as décidé de rester. Désormais, tu n'es plus la même, tu restes la perfectionniste d'antan, mais tu goûtes et touches à tout, tu te crois plus forte que le monde, tu testes tes limites en croyant que tu y survivras, après tout, tu lui as bien survécu. Mais qui crois-tu berner en faisant semblant d'être heureuse alors qu'à l'intérieur de toi, tu ne sens plus ton coeur battre, alors que la folie se lit dans tes yeux, sur ta bouche. Il ne faut pas crier victoire trop vite. Rien n'est jamais acquis. Surtout pas le bonheur.