Les choses ont évolué, tu t'es fiancée puis mariée. Tu t'es faite une place dans la société en tant que violoniste, et pas n'importe laquelle. Et cela n'est pas seulement dû au fait que ton fiancé soit l'un des plus jeunes hommes d'affaires, mais également important, cela est surtout dû à ton talent remarquable et enviable de tous. Tu as une demeure - château ? - à votre nom sur Paris, tu n'as plus de temps pour toi entre les dîners mondains, les concerts, et j'en passe. Pourtant, quelque chose a changé. Et si ce n'est pas en toi, alors c'est en lui. C'est Zadig qui a changé, et quelque chose s'est brisé entre vous.

Tu rentres tranquillement d'un énième concert, ravie, comme si rien ne pouvait aller mieux dans ta vie que maintenant. Zadig est là, tranquillement installé dans un de ces fauteils à mille euros, une cigarette à la bouche et un verre de whisky à moitié vide. Il ressemble à un dieu, tu penses cela pour la millième fois. Tu poses l'étui qui contient ton St Graal, ton violon à l'endoit qui lui est destiné, tu souris à ton mari et tu pars vers une pièce adjacente. « Je suis épuisée, je vais me faire couler un bain. » Mais déjà, il est sur toi, t'accolant doucement au mur en bois, tu sais déjà ce qu'il a en tête et, il te l'illustre tranquillement en posant ses lèvres dans ta nuque et ses mains sur tes hanches. « Je ne suis pas d'humeur maintenant, vraiment, je suis fatiguée. » Il ne s'arrête pourtant pas. Quelque chose cloche, dans ses yeux, dans ses gestes, dans sa voix. Tu le sens te saisir, ce sentiment d'insécurité, alors que son haleine pleine d'alcool te gifle le visage. Il n'a pas bu qu'un verre, et un coup d'oeil sur la bouteille vide te le certifiera. Ses mains se font plus pressantes sur ton corps, et tu as l'impression d'étouffer. « Ne t'inquiète pas bébé, je suis en forme pour deux. » Il te donne envie de vomir tes trippes sur le sol, tu as déjà le vertige, et tu sens que la situation t'échappe alors que ses lèvres entrent en contact avec les tiennes. Partie la passion, parti l'amour, évaporés tous ces sentiments à la con, tu ne sens que l'envie bestiale et sexuelle qu'à ton mari à ton égard. Et tu ne trouves pas ça normal. Habituellement, il n'agit pas comme ça, habituellement, il se serait retiré tranquillement et t'aurait laissé passer parce qu'habituellement il te respecte. Mais là, il n'y a plus de respect, il n'y a que le désir pour lui. Et si tu ne fais pas quelque chose, c'en sera fini de toi. Sa main a déjà détaché les boutons qui tenaient ta robe, et tu la sens glisser contre ta peau éphèbe. Tes mains tentent de le repousser, mais face à son corps puissant, tes bras frêles ne peuvent rien. Il te touche comme un homme ne t'a jamais touchée, comme Il ne t'a jamais touchée, et c'est une sensation abjecte de dégoût qui saisit tout ton être. Tu ne te retiens plus et ta paume vient gifler son visage avec une force que tu ne te soupçonnais pas. Il se réveille enfin de sa torpeur, et si tu crois qu'il va s'excuser, tu es dans l'erreur. Ses yeux s'agrandissent, emplis de haine et de colère, et un râle rauque s'extirpe de sa gorge. Son poing vient taper près de ton visage, et tout en ayant un mouvement d'effroi, tu sais que la prochaine il ne te manquera pas, ce sera ton corps qui sera abîmé. Sa main gauche vient enserrer ton cou et il relève ton visage fin que tes yeux soient plongés dans les siens. « De quel droit te permets-tu de me rejeter de la sorte Eleonore ? Tu es ma femme et tu te dois de répondre à mes besoins, quels qu'ils soient. » Vous vous affrontez du regard durant un moment, et il pense avoir vaincu puisque tu ne réagis pas. Il vient de nouveau poser ses mains contre ton corps fragile, et tu te dérobes à lui par on ne sait quel sortilège. « Vas te faire foutre avec tes besoins Zadig. » Et tu te mets à courir rapidement vers un endroit plus sûr, alors que tu l'entends hurler de rage. Alors que tu n'as pas encore atteint le bout du couloir, tu entends un violent choc non loin de toi, quelque chose qui se déchire avec un fracas assourdissant. Et d'un regard au dessus de ton épaule, tu constates qu'il vient de détruire en mille morceaux la seule chose qui te tient réellement à coeur, qu'il vient de la balancer contre un mur comme il a balancé votre amour. Il a cassé un violon qui vaut des millions, mais surtout il a cassé votre couple, comme il a cassé ton sourire. Et les larmes noyant tes joues, tu t'enfermes dans votre chambre, pleurant comme une enfant souillée, comme une enfant brisée.
Oui, quelque chose s'est brisé entre vous.


Cela a duré un moment, avant que tu ne te décides à réagir. Tu es restée, par amour. Tu es restée, parce que tu ne voulais pas le laisser seul dans sa souffrance, et c'est donc toi qui as souffert. Peut-être que c'est le rôle de la femme. Tu es tombée maintes et maintes fois à ses pieds, le suppliant presque. Mais l'alcool fait des ravages. Voilà pourquoi tu es restée. Parce que tu savais que sans cela, il était toujours le même, le mari aimant et souriant d'avant, l'homme qui t'avais demandé ta main dans un étui de violon avant un concert. Il était cet homme-là, il te le prouvait dès lors qu'il n'avait plus une goutte d'alcool dans le sang, dès que son visage reprenait son air apaisant, dès qu'il te souriait charmeusement en te murmurant qu'il t'aimait. Et toi, pauvre conne, tu es restée à ses côtés. Mais bientôt il te perdra, tu t'en iras. Ce jour-là arrive lorsque, pour la première fois, il lève la main sur toi. Ta lèvre tuméfiée en est la preuve. Sur le coup, tu ne diras rien, tu encaisseras, parce que c'est ce que font les femmes fortes d'aujourd'hui. Et à l'aube, tu t'en iras discrètement. Une valise remplie à la vite, le violon surtout. Tu prends tes affaires, et tu le laisses derrière toi. Pas un mot, pas une note. Il ne le mérite pas. Il ne te mérite. Direction n'importe où, direction ailleurs. T'as l'air d'une folle, tu es une folle. Tu sais que quelque chose vient d'être ouvert en toi, une vanne inconnue qui déverse son contenu dans ton cerveau, te faisant lâcher priser, te faisant hurler comme une dératée dans la rue. T'emmerdes le monde, t'emmerdes la vie. Il est peut-être enfin temps de vivre comme une personne de ton âge. Il n'est jamais trop tard. C'est sans doute ainsi que tu termineras ici, à Montsimpa, on ne sait pas quelle magie. Tu es juste arrivée, et tu as décidé de rester. Désormais, tu n'es plus la même, tu restes la perfectionniste d'antan, mais tu goûtes et touches à tout, tu te crois plus forte que le monde, tu testes tes limites en croyant que tu y survivras, après tout, tu lui as bien survécu. Mais qui crois-tu berner en faisant semblant d'être heureuse alors qu'à l'intérieur de toi, tu ne sens plus ton coeur battre, alors que la folie se lit dans tes yeux, sur ta bouche. Il ne faut pas crier victoire trop vite. Rien n'est jamais acquis. Surtout pas le bonheur.