Quelle heure il est ? Tôt ? Tard ? Je ne sais pas. Tout ce que je peux dire, c'est que les rayons du soleil traversent déjà les stores et que j'ai besoin de mon chocolat chaud pour me réveiller. Tant bien que mal, je réussis à me tirer hors du lit et me traîne jusqu'à réfrigérateur où mon trésor m'attend bien sagement. C'est presque une routine matinale, et tous les jours, c'est la même chose : me lever, relever mes chignon en un chignon négligé, avoir l'air d'une clocharde dans un pyjama deux fois trop grand, sortir le bol, le lait puis le chocolat, mettre tout ça dans le micro-onde, buguer pendant une demi-heure parce qu'on a pas dormi assez, et puis se dépêcher parce qu'on est en retard. Alors comme d'habitude, j'effectue tous ces actes en y pensant à peine, l'esprit encore dans mon lit. Et soudain, l'horreur : plus de lait. Plus de lait ? Comment ça, plus de lait ? Ca veut dire quoi, plus de lait ? C'est pas normal, sachant qu'on en a racheté hier. Enfin, qu'on était censé en racheter hier. Jill, plus particulièrement. Alors quoi, elle n'a pas acheté de lait ? Et je fais comment moi ? Je serais bien prise de panique, mais je suis encore trop endormie pour ça. Là, c'est tout mon rituel matinal qui s'écroule. Donc si j'ai pas de lait, je suis pas réveillée, je suis en retard en cours, j'assure pas une cacahuète au boulot, je rate mes partiels, je suis virée, bref, je finis sur le trottoir à me battre avec trois clochards et un pigeon pour un reste de pain dur. La merde, en d'autre termes. « JIIIIIIIIIIIIILL ! Jill ? » Tant pis pour l'élégance et les voisins, on repassera. J’attrape la bouteille bien évidemment vide dans le frigo - allez savoir pourquoi on l'a pas encore jetée - et me dirige vers la chambre de ma chère soeur. J'ouvre la porte soudainement, mademoiselle est encore en train de dormir. Au moins, elle aura réussi à nous pourrir la journée à toutes les deux. « Bordel Jill, t'étais de corvée de lait ! » Je secoue la bouteille d'une main dans un signe de reproche tandis qu'elle émerge à peine. « On fait quoi, maintenant ? Y'a plus de lait, j'ai pas déjeuné merde ! Je vais être en retard en cours ! » Sans mentionner que je serai sans doute d'une humeur massacrante.

Vous accompagner sur votre yacht-parachute ? Si en plus vous avez des escalopes à la papaye, c'est une offre que je ne peux pas - « JIIIIIIIIIIIIILL ! Jill ? » Ouch. La voix assourdissante de Smooth (qui tirait dangereusement dans les aigus, ce qui n'annonçait jamais rien de bon) tira brutalement Jillian de son rêve étrange. Bon, manger mexicain le soir, c'était terminé. Ca lui faisait faire de drôle de trips. « Bordel Jill, t'étais de corvée de lait ! » Le retour à la réalité était un peu difficile. Elle ouvrit une oeil derrière ses cheveux en bataille. Gneein…? Corvée… lait…? Ah, merde. « On fait quoi, maintenant ? Y'a plus de lait, j'ai pas déjeuné merde ! Je vais être en retard en cours ! » Jillian savait pertinemment qu'à cette minute, sa petite soeur se trouvait dans un état de stress inconsidéré (sur une échelle, elle se serait située quelque part entre "on a plus de taaaaaaampons" et "la terre va exploser dans 7 minutes"). Aussi loin qu'elle s'en souvienne, sa petite soeur avait toujours bu un grand bol de lait le matin. Elle s'amusait souvent à lui dire que c'était probablement la seule fille au monde de 19 ans pas sevrée. « Smooooooth putain, tu peux pas boire du café comme tout le monde…?! » lâcha-t-elle depuis sous les couvertures, où elle avait tenté de trouver refuge. Mais elle savait que sa frangine n'allait pas lâcher l'affaire. « …'es trop grande pour le lait… » Piètre tentative. Peu crédible, surtout, pour une fille qui buvait son café dans un bol Roi Lion et une couverture Pocanhontas.
Après un bref silence qui aurait pu signifier l'abandon et la retraite - pour n'importe qui n'ayant jamais eu de frère et soeur - Smooth arracha sèchement la couette de Jillian. Celle-ci tendit une main crispée vers sa soeur, en lâchant d'une voix d'outre tombe un « Pitiiiiiiiéééééééééééé » agonisant (oui, elle savait très bien faire la voix agonisante d'outre-tombe, et dans de rare cas, cela suffisait à faire rire Smooth et à lui faire lâcher prise). Son petit numéro n'ayant pas l'effet escompté, Jillian se résigna. Putain, la journée commence bien. En plus j'aurais pu dormir encore une heure. Non mais j'hallucine les jeunes de non jours. Ca pleurniche parce que ça a pas son putain de bol de lait. Y a pas marqué "Marguerite, la vache laitière des alpages" sur ma gueule quoi…

« 'tain c'est bon… j'vais t'en faire, du lait. » ajouta-t-elle, déterminée, sans prendre vraiment la mesure de ce qu'elle disait.

« Smooooooth putain, tu peux pas boire du café comme tout le monde…?! » Dans la chambre, Jill avait du mal à émerger elle aussi. Remarque, elle aurait très bien pu se réveiller au pays des bisounours, marchant sur des nuages avec des bébés papillons si elle le voulait, mais pour ça, il aurait fallu qu'elle n'oublie pas d'acheter du lait. De toute façon, c'était toujours la même chose avec elle. Et pourtant, soyez certains qu'elle n'a pas oublié ses précieux Cookie Crisps ! Ouais, enfin, je ne crois pas que c'était le moment de déclencher la troisième guerre mondiale à sept heures du matin, quand on s'apprête à partir, et qu'on a même pas assez de force pour tirer mademoiselle des couvertures. « Du café ? » Ahurissement. « Mais c'est dégueulasse, le café ! » J'avais du mal à croire qu'elle me faisait seulement la proposition. La simple vue, non la simple idée du café me répugnait. Encore plus quand j'avais besoin de mon lait. Du coup, je commence à paniquer. Et si on a vraiment plus de lait, et qu'elle ne veut pas aller en acheter ? Et si en m'arrêtant quelque part pour m'acheter un chocolat chaud, je tombe sur une bande de truands qui me volent mes pneus (bah ouais, dans l'état dans lequel je suis, je vais quand même pas prendre le bus), je suis obligée de continuer à pieds, je tombe sur une crotte de chien, suis obligée d'enlever mes vêtements et d'arriver à la fac en sous-vêtements Bob L'éponge ? Non, il faut vraiment qu'elle aille chercher du lait. Alors finalement, quand elle se lève après de multiples débattements, je vois là l'espoir d'un bon gros bol de chocolats chauds rempli de céréales. A la place, un simple « 'tain c'est bon… j'vais t'en faire, du lait. » Oh putain qu'est-ce que j'ai fait ? J'ai déclenché LE MONSTRE. Elle va nous retourner la cuisine, nous faire une de ses inventions qui va foutre le feu à l'appart. Non non non, elle ne s'approche pas de la cuisine. J'aurais dû la fermer et aller le chercher moi-même, mon lait. « Euh, nan, Jill... Enfin, t'es sûre ? Tu préfères pas aller en chercher ? » Je tente vainement, paniquée. Après tout, tous les moyens sont bons pour l'empêcher de s'approcher de la cuisine, dieu sait ce qu'il pourrait en ressortir. Rien de bon, ça c'est sûr.

« Du café ? » Elle pouvait presque "entendre" sa soeur grimacer à l'autre bout du couloir. « Mais c'est dégueulasse, le café ! » Elle se retourna, les yeux encore clos - non pas pour signifier son exaspération mais bien parce que ses yeux ne s'étaient pas encore habitués à la lumière… ou alors parce qu'elle espérait aller se recoucher sitôt l'incident clos, et à ce moment-là, pourquoi faire l'effort d'ouvrir les yeux si c'est pour les refermer ensuite ? Elle se contenta donc de soupirer, les yeux fermés, en direction de Smooth, et repris le chemin de la cuisine. Là, elle était bien obligée d'ouvrir les yeux. Aaaaaahhh monde cruel, ô soleil meurtrier. Elle ouvrit le frigo, sans savoir ce qu'elle cherchait. « Euh, nan, Jill... Enfin, t'es sûre ? Tu préfères pas aller en chercher ? » Force était de constater qu'effectivement, plus de lait en vue. L'espace d'un instant, elle espérait que sa soeur avait simplement mal regardé… mais il fallait se rendre à l'évidence. « J'ai dis que j'allais t'en faire alors je vais t'en faire, saoule pas maintenant ! » lança-t-elle avec agressivité. Elle commençait seulement à prendre l'ampleur de sa connerie… 'faire du lait' ? Elle n'avait pas prévue d'avoir de montée de lait avant au moins 100 ans - les bébés, très peu pour elle, il allait donc falloir trouver autre chose. Un court instant, elle se dit que finalement, sa soeur n'avait pas teeeeeellement changé en 10 ans, et peut-être que ses cours de droits ne lui avaient pas retiré toute sa naïveté et sa crédulité d'antan…? « Bon alooooors. Faire du lait… c'est rien de plus que… de la crème, mais en plus liquide, quoi. » Avec un oeuf, peut-être…? Non, qu'est-ce que viendrais foutre un oeuf dans le pis d'une vache, putain Jill, réveille-toi, là. « Tu crois qu'ils faisaient comment au Moyen-Âge pour boire du lait quand les vaches et les supermarchés existaient pas, hein…? » quitte à s'enfoncer, autant y aller jusqu'au bout. « … ils en fa-bri-quaient ! » Elle attrapa la petite bouteille de crème liquide, en versa la moitié dans un bol et compléta avec de l'eau du robinet. La mine mi-anxieuse mi-amusée de sa soeur se transforma rapidement en une grimace de dégoût. « Tu rajoutes ton Neskuik et TADAAA ! » La réaction de la soeurette ne se fit pas attendre…