« C'est peut-être parce que t'es pas moche. » Me complimenter, il sait très bien le faire. Même si, moi, j’inclue souvent une part d’ironie dans mes compliments pour lui, ce n’est pas son cas. Dès le premier jour de notre travail ensemble, j’y ai eu droit. Et, même quand le moment ne s’y prête pas, il n’hésite pas. C’est un peu sa marque de fabrique. Après, j’ignore s’il est également comme ça avec d’autres femmes ou juste avec moi. Et je m’en veux de penser à ça parce que je ne devrais pas ressentir cette pointe de jalousie. Mais je souris quand même en l’entendant prononcer ces mots. Il m’impose sa proximité, refusant visiblement que je le repousse comme je viens de le faire. Il a sûrement raison, je n’aurais pas dû. J’aurais dû continuer de l’embrasser sur ce lit. Mais la magie du moment ne semble pas totalement rompue quand je regarde ses yeux qui n’expriment que de la douceur et quand je sens sa main dans la mienne. Je me dis qu’il suffirait d’un mouvement en avant pour recommencer mais je n’arrive pas à m’y résoudre. Alors que je sais très bien que j’en ai envie, pas besoin de me mentir. Mais le fait que Noam hésite face à ma propre hésitation – logique – me ralentit. Alors je lui demande ce qu’il veut, sûre qu’il le sait très bien. Contrairement à moi. Ça en fait au moins un qui sache. Et s’il y croit, je suppose que je pourrais le faire aussi. Ou bien juste arrêter de penser parce que ça me donne un mal de tête pas possible, surtout seulement quelques minutes après le réveil.
« Tu le sais très bien Téo. » Et ses lèvres viennent effleurer les miennes pour le prouver. Je le laisse faire, ne l’empêchant ni ne l’encourageant pas.
« Mais toi tu n'as pas l'air de savoir ce que tu veux. » Et ses lèvres touchent une dernière fois les miennes avant de s’éloigner. J’ai encore besoin de ce contact. J’ai besoin de lui. Et le réaliser, ça me terrifie plus qu’autre chose. L’ignorance était bien plus paisible.
« Je sais… » Je ne sais même pas ce que ça signifie. Je sais que je ne sais pas. Ou bien je sais ce que je veux. Oui, je le sais bien ce que je veux. Je le veux lui. Mais est-ce que j’aie envie de le vouloir ? Trop d’interrogations. Parfois, j’envie les adeptes du ‘j’agis, je réfléchirais après’ qui ne soucient pas des conséquences. Juste parce qu’être comme ça me permettrait de profiter du moment présent et d’embrasser Noam sans état d’âme. Mais je reste toujours aussi immobile et peu sûre de moi.
« Si c'est par rapport à ton copain... » Mon copain. Je l’avais oublié celui-là. Le moment serait bien choisi pour lui révéler qu’il n’existe pas, que c’était un mensonge du début à la fin. Mais sa réaction me fait toujours peur alors je garde ça pour plus tard. Peut-être que me servir de Gabriel comme excuse à la place du manque de confiance en moi est une bonne idée après tout. Mais, avant que j’ai le temps de réfléchir à une réponse, Noam s’éloigne de moi et enchaîne.
« T'as peut-être raison finalement, on devrait oublier tout ça. C'était pas grand chose de toute façon. » Oublier ? Le voilà qui parle comme moi, ça ne va pas ça. Ce n’est pas parce que je ne sais pas ce que je veux qu’il doit faire pareil. Savoir qu’il me veut, qu’il veut m’embrasser, c’est la seule chose qui pourrait me rendre un peu plus sûre de moi. Il ne peut pas m’enlever ça. Surtout que c’était tout sauf ‘pas grand-chose’ ce baiser. Je le sais parce que ça fait des mois qu’il le voulait. Et moi aussi sûrement. Donc non, ce n’est pas rien. Même si c’est moi qui ai tout arrêté, je ne peux pas oublier. Et lui non plus. Même si c’est sûrement la meilleure solution, celle que j’ai d’ailleurs moi-même proposé. Mon indécision dépasse des sommets. Et puis il en rajoute, expliquant pourquoi il peut oublier ça aussi facilement. Il ment, ce n’est pas possible autrement. A moins que je compte si peu pour lui qu’il puisse me comparer à un post-it.
« Tu as raison, oublions. On peut très bien continuer sans penser à tout ça. Enfin sans en parler du moins. » Ce qui signifie que je n’arriverais pas à me sortir ce baiser de la tête mais que je pourrais parfaitement faire comme si de rien n’était. Reprendre comme avant. Même si tout a changé.
« Et tu as bien fait de parler de Gabriel, je ne pensais plus à lui. Je ne referais plus cette erreur. » En tout cas, l’alibi de la petite amie parfaite est assez écorné. Voire fichu. Parce que bon, la fille qui embrasse un autre homme que son copain qui vit à des centaines de kilomètres, c’est pas le meilleur plan. Cette histoire de Gabriel n’a pas grande utilité maintenant que j’ai cédé à Noam. Mais je ne peux pas faire comme si elle n’avait jamais existée. Je trouverais bien une excuse pour virer Gabriel de la vie de Téo.
« Je… je devrais aller m’habiller. » Et je le contourne pour entrer dans la salle de bain. J’ai l’impression d’enfin respirer librement. Je retire mon t-shirt, passant ma main sur les parties de mon corps touchées par Noam. Et c’est comme si toute volonté disparaissait. J’ai beau me passer de l’eau sur le visage, je n’arrive pas à me sortir tout ça de la tête. Après m’être torturée l’esprit encore quelques minutes, je décide d’ouvrir la porte, seulement vêtue d’une culotte. Passant la tête par l’entrebâillure de la porte, je regarde dans la chambre.
« Noam ? » Pas de réponse. Je sors quand même, cachant ma poitrine derrière mes bras. Je cherche Noam du regard jusqu’à tomber sur la baie vitrée qui est grande ouverte sur la plage. Il est parti tout simplement. Pourquoi m’aurait-il attendue alors qu’il pensait ne plus rien avoir de ma part ? Furieuse sans vraie raison, j’attrape une robe dans ma valise et je l’enfile avant de me laisser tomber sur le lit. Tout ce qui me reste à faire, c’est oublier. Aussi dur que ça puisse paraître.