L'odeur de l'asphalte encore humide berce mes pensées tandis que je quitte mon taudis pour me rendre jusqu'au Plasma501. La pluie coule sur mon visage, mouillant mon t-shirt à différents endroits. Mes pas traînent derrière moi, évitent les flaques la plupart du temps mais ne s'inquiètent pas du mauvais temps. Je n'ai qu'un objectif, me rendre dans mon jardin d'Eden, mon havre de paix. Ma journée s'est effacée derrière une accumulation de mauvaises nouvelles… L'enquête sur la disparition de mes parents avançait et la police de MontSimpa pointait gentiment du doigt l'hypothèse du meurtre. J'avais d'ailleurs reçu un étrange téléphone à ce sujet, de quoi me mettre sur les nerfs pour toute la journée. J'avais attendu que l'astre céleste daigne se rendormir avec une cruelle impatience. Moi, être de la nuit, j'avais alors pu écarter les lamelles des stores de mon appartement que je gardais, par habitude, toujours fermés. Par chance, personne ne s'était encore inquiété de me savoir quotidiennement baigné par les ténèbres, peut-être était-ce dû au fait que ma profession était en étroite collaboration avec la mort, elle-même. Ne disait-on pas qu'un fou n'était jamais aussi fou que lorsqu'il était en contact permanent avec la folie des autres ? A trop fréquenter la mort, les gens devaient estimer que j'en oubliais ce qu'était la vie ! Ma couverture était ainsi amèrement bien protégée… une condition qui ne me plaisait pas mais dont je m'étais accoutumée, avec le temps ! Tranquillement, j'avais attendu que la nuit se lève pour pouvoir enfin me délecter avec passion de la quiétude des fins de journée. Lorsque j'avais ouvert la fenêtre, j'avais réalisé que mon moral n'était pas le seul à être affecté par les mauvaises nouvelles… le ciel pleurait ! Ce qui m'arrachait, je-ne-sais-trop pourquoi, un petit sourire. En quittant mon appartement cette nuit-là, je n'avais qu'une idée en tête, boire un godet entier de plasma fruit. Et cette boisson n'était vraiment bonne nulle part ailleurs sinon au Plasma 501.

Mes pas m'entraînent jusqu'à la première rame de métro situé près de la périphérie de Bridgeport. Je ne viens dans cette ville voisine que très peu souvent, sinon pour y retrouver certaines habitudes et certaines personnes. Notre repère étant source d'un curieux sentiment de bien être, il m'arrivait de prendre le métro bien plus fréquemment qu'avant… avant de devenir ce que j'étais. Les yeux discrètement ouverts, le cheveux mouillé, je suis la foule qui s'engouffre dans le tunnel sous-terrain sans prêter attention aux bousculades. D'un naturel plutôt calme et posé, je ne m'énerve qu'en de rares occasions et lorsque j'estime que c'est une peine bien méritée. Cette nuit, mon esprit vagabonde à mille lieues de cet endroit triste à en mourir… triste à en mourir. J'esquisse un nouveau sourire en pensant à cette curieuse expression qui n'a jamais eu plus de sens qu'en ce moment. La disparition de mes parents me reste sur l'estomac, je peine à m'en défaire… Peut-être parce que, d'une certaine manière, j'y suis intiment lié ! Ce que la police ignore dans cette affaire ne se résume qu'en un seul mot ; vampire. Et c'est aussi ce qui, aujourd'hui, à bien des égards, résume mon existence toute entière. Puisque c'est ce que je suis, ce que je sais mais aussi ce que je fuis !

En posant mon pied sur les quais, je me surprend à observer les hommes en trench coat, rentrant certainement d'une journée épuisante, les femmes trainant poussette et sacs de courses et les enfants, portants de lourds sacs sur le dos. Je me surprends à les observer d'un œil discret, presque timide… mais plus que tout, je me surprends à les envier ! Maladivement, puisqu'aujourd'hui, je ne connais plus l'innocence qui les berce encore. Lorsqu'on goûte au mal, il n'est point aisé de s'en défaire. Puisque je suis un monstre, je n'ai plus qu'à me réjouir de la mort… si horrible soit-elle ! Lorsque le métro arrive, une vague de vent ébouriffe ma crinière, dévoilant certaines cicatrices que je porte près de mon oreilles gauche -conséquences directes d'une ancienne bagarre qui tourna mal-, soulevant très légèrement mon t-shirt trempé. Sans me presser, je suis le mouvement de foule en m'enfilant à travers les portes entres-ouvertes. Je suis dans un état léthargique, quasiment comateux. Une léthargie que je traine derrière moi comme on traine des valises. Je suis ainsi, un homme mystérieux, discret et insondable. Je n'aime pas qu'on m'observe, mais je me plais à observer. Je reste dans l'ombre quand certains n'apprécient que la chaleur des projecteurs, je suis le mal car d'une perspective, je ne suis que l'ombre. Mes yeux se posent sur un groupe de jeunes garçons me ressemblant d'une étrange façon. En devant vampire, mon esprit a accédé à quelques pouvoirs qui, aujourd'hui, me desservent souvent d'une étrange manière. J'entends les cœurs battre dans la poitrine de tout-un-chacun, je devine les intentions, même les plus malveillantes, je suis plus fort, plus rapide… Lorsque mes yeux se posent sur ces bonhommes, j'en déduis instinctivement, qu'à mon image d'antan, ils sont turbulents et malveillants. Ils se déplacent en bande, car la mauvaise graine est ainsi faite. Pour avoir trop fréquenté ce genre d'hommes, je devine leurs intentions. Je pourrais les remettre à leur place, mais je n'en ai que faire… jusqu'à ce que je comprenne ce qu'ils étaient venus faire ici… ou plutôt, qui ils étaient venus chercher dans ce métro ! Sa silhouette capture mon regard à l'instant même où mes yeux le frôlent. Je sens le danger l'approcher et mon cœur s'emballe, tout du moins, j'en ai l'impression. Fiévreux, nerveux, je sens mes muscles se crisper à l'idée qu'on lui veuille du mal. Alors j'avance, guidé par un instinct presque animal de surprotection… J'avance ! J'attrape l'un de ces hommes par l'épaule et, mû par une excitation folle et sauvage, je plante mes yeux dans les siens. « A ta place, j'y penserais même pas… » Mes yeux le dévisagent, passant de son poing serré à son visage, scrutant son expression. « Tu n'auras pas eu le temps de lever ton poing que tu auras déjà traversé la vitre, projeté par une force incroyable qui, sur le coup, te laissera très certainement comateux sur les rails… Restera plus qu'au prochain métro de rouler sur toi comme on piétine un tas d'ordures. » Je ne crains aucunes représailles, sait-il seulement que je ne suis pas humain ? Mes yeux ne le lâchent pas, si bien qu'il baisse en premier le regard, s'inclinant devant moi. D'un simple signe de tête, il incite ses amis à le suivre, bousculant quelques pauvres femmes au passage, se frayant un chemin jusqu'à l'avant de la machine. Mes yeux se glissent alors sur lui, un léger sourire se dessine sur mes lèvres tandis que, de mes mains, je viens épousseter sa jaquette. « Tu cours après l'danger, 'Chya… méfie toi, à jouer avec les flammes tu finiras par te brûler. »