J'ai attendu que la nuit tombe toute la journée. Une journée sous le signe de la souffrance, l'attente et la torture. J'ai cette envie de dévorer chaque passants que je croise, de les vider de leur sang. Ce n'est pas une vie, c'est l'enfer. Je ne supporte plus l'enfermement, je veux sortir, mais la lumière du jour me brûle la peau. Je veux aussi la voir, mais il m'est encore impossible de sortir. Quand enfin les derniers rayons de soleil retombent laissant place à la nuit. Exténué, assoiffé, je quitte le repère où je m'étais abrité pour sortir en pleine rue. Deux jours. Deux jours que je n'ai plus donné signe de vie à ma femme. Rassemblant ma nouvelle force pour avancer, je mets à peine quelques secondes à arriver et faire face à notre domicile. Les lumières sont éteintes, elle doit sans doute dormir. Sauf que je ne peux plus attendre, il faut que je la vois. L'envie est trop forte et le manque, si intense. Je pénètre dans la demeure en tentant d'être le plus discret possible, sauf qu'encore adroit et peu habitué à mes nouvelles capacités, je fais tomber une lampe qui explose sur le sol et provoque un vacarme pas possible. La lumière de l'étage s'allume et je peux entendre sa voix s'élever. « Qui est là .. ? Floyd ? ». Finalement je pense que c'est une erreur d'être venu. Autant qu'elle croit que je suis mort que de me voir ainsi. Je panique et fais tomber d'autres objets au passage. Au bord de la fuite, je m'apprête à quitter les lieux lorsque je sens sa présence derrière moi. Sa voix est remplie de tristesse, de peine. « Floyd ... ». Je me retourne pour alors lui faire face. Que va-t-elle penser de moi ? Va-t-elle me prendre pour un monstre et me détester ?

Finalement je me rends compte que c'était une bien belle erreur que de revenir ici. J'aurais simplement dû m'effacer, m'envoler, comme si je n'avais jamais existé et lui rendre ainsi la liberté qu'elle mérite. Je suis devenu un boulet qui l'empêche de vivre. Mon amour pour elle et ma peur de me détacher d'elle, m'a brouillé la vue concernant la souffrance qu'elle éprouvait. Elle a tant subi, tant endurer et ce n'est pas juste. Mais le temps que je me rends compte de mon erreur, sa voix retentit dans l'escalier. En voulant presser le pas, je crée un bordel pas possible. « Tu veux encore fuir c'est ça ? » . Elle se trouve derrière moi, mais je n'ose pas lui faire face. Sauf qu'elle empoigne ma main, que je retire immédiatement. « Floyd, tu vas bien ? T'es malade ? ». Trop tard. Elle a remarqué que j'étais différent, que quelque chose clochait. La sentant s'agiter, je suis pris de court lorsqu'elle vient poser ses mains délicates sur mon visage. « Où t'étais passé ? Pourquoi t'es aussi froid ? ». Lui faisant face, je ne sais pas quoi répondre. Tant de questions dont moi-même j'en ignore encore les réponses. Auparavant je serais resté muet et aurait fui la situation. Sauf qu'à ce moment précis, je sentis que je lui devais une explication. J'ai eu la stupidité de venir jusqu'à elle, je dois dorénavant en assumer les conséquences. « Rien. Rien et ne t'inquiète pas, je vais bien. Je .. je suis désolé ... désolé de tout ! ». Comment lui dire que je suis devenu un monstre. Impossible. Du coup je préfère lui mentir, la garder éloigner de ce merdier. Sauf que ma nature prend le dessus sur moi et je ressens le besoin de boire. Encore peu habitué à ce que je suis devenu et aux besoins que je dois satisfaire, l'envie de sang se fait ressentir. Je m'éloigne soudain d'elle. La dernière chose que je désire, c'est la blesser. « Je .. je vais bien ... »

Tu es distant, peut être froid, mais tu ne veux pas la blesser. Tu ne contrôles pas encore parfaitement tes nouveaux sens, aptitudes et cette soif qui te brûle l'estomac. Tu as peur de ne pas te contenir et de te jeter sur elle. Voilà pourquoi tu t'éloignes. Sauf qu'elle insiste et persiste à t'approcher pour savoir ce qu'il t'arrive. Réaction tout à fait normal, mais la peur se lit sur ton visage. Elle se saisit de ta main, tu tentes de l'ôter, mais au final tu te laisses faire. « Tu ne vas pas bien, Floyd. Non tu ne vas pas bien. ». Elle a raison, tu ne vas pas bien. Regarde toi, l'air balafre, le regard psychotique et ta dégaine de vieux paumé. Un cadavre. Sauf que ce n'est pas totalement faux vu ta nature. « Cesses de mentir, cesses de fuir... ». Tu as envie de lui dire, de tout lui expliquer, mais tu ne peux pas. Tu ne veux pas. Tu as peur qu'elle te prenne pour un monstre, qu'elle ne veuille plus te voir, qu'elle te déteste, toi et ce que tu es devenu. Du coup dans ta tête, tu te dis que fuir est la meilleure solution. Cela réglera vos problèmes. Elle pourra se reconstruire, rencontrer quelqu'un d'autre, refaire sa vie, avoir une famille, des enfants. Sauf que cette pensée t'attriste et tu ne peux t'y résoudre. Tu ne veux pas l'abandonner, tu veux te battre pour elle, pour la garder à tes côtés. Tu es complètement perdu. Elle te regarde, passe une main dans tes cheveux et finalement, reprend la parole. « Tu ne vas pas bien depuis cette mission, je sais que ce que tu as vécue là-bas je ne le comprendrais sûrement jamais, mais je sais que maintenant tu es dans la vie civile et dans cette vie tu as une femme qui a besoin de toi. ». La mission, la guerre, depuis ta transformation tout cela était derrière toi. Tu n'as pas oublié, mais tu avais juste plus important à gérer. Si elle savait que dorénavant ce qui te rend aussi distant est l'être que tu es devenu et non cette stupide guerre qui vous a gâché la vie pendant des mois après ton retour, car tu étais dépressif. Tu vois qu'elle ne comprend rien, qu'elle essaie de t'aider, qu'elle évoque la guerre pour voir ta réaction. Impassible. Voilà ta réaction. Ton visage n'exprime aucune émotion et tu ne sais pas par quel bout prendre les choses. Finalement tu te lances. De tes mains glaciales, tu empoignes avec douceur le visage qu'est celui de ta femme. Ton regard plongé dans les siens, tu ne cilles pas une seconde. Après un court moment dans cette position, tu finis par approcher ton visage du sien. Collant tes lèvres sur son front dégagé, tu te défais après lui avoir déposé un tendre baiser. Ton geste va lui paraître inapproprié, insensé, mais tu en as juste eu l'envie et tu n'as pas trouvé d'autres moyens pour éviter le sujet. Toujours ton regard dans le sien, tu l'hypnotises par ta beauté nouvelle. Tu étais beau avant, mais maintenant, celle-ci se reflète, se remarque et hypnotise ton entourage. Après plusieurs secondes plongé dans le silence, tu oses enfin prendre la parole suite à son discours. « Je sais, j'en suis désolé ... » Tu t'excuses, à nouveau. Tu sais dire et faire que ça. Mais après tout, elle les mérite ses excuses. En contre partie, tu n'attends pas son pardon suite aux mois de galère que tu lui as faire vivre. « Mais là ..., j'ai simplement besoin de temps pour savoir qui je suis, me retrouver et te retrouver. Car s'il y a bien une chose que je ne veux pas, c'est de te perdre. Et pourtant, j'ai l'impression que c'est le cas, que tu t'éloignes de moi, mais je ne t'en blâme pas. Je te fais vivre un enfer. Et d'ailleurs, je suis même étonné que tu sois encore à mes côtés ... ». Tu te confies. Pour la première fois depuis des mois, tu lui parle.

« Arrêtes de t'excuser Floyd... je... je ne suis pas un modèle par pitié... arrêtes... » . Je suis à la fois bouleversé, submergé de divers sentiments et contrarié par cette faim qui me tiraille l'estomac. Depuis le début je tente de faire bonne figure, de ne rien laisser paraître sur ma nouvelle nature, mais l'envie de sang est bien trop forte. Pourtant je prends sur moi. J'inspire, je baisse la tête, pour finalement replonger mon regard dans le sien. « Merde, pourquoi tu me dis tous ça maintenant ? Pourquoi ? » . Je reviens à la réalité des choses, aux paroles qu'elle prononce. Obnubilé un instant par la soif, j'en avais oublié notre conversation. Mais celle-ci me rattrape. Sauf que je ne lui réponds pas. Tout simplement parce que j'ai pas la réponse à ses interrogations. Pourquoi maintenant et pas avant ? Sans doute parce que je ne suis plus le même. Ma nouvelle nature à fait de moi un homme nouveau qui de jour en jour s'affirme. « Je... je ne sais pas, si je suis prête à encore t'accorder du temps Floyd, mais... je sais que si j'ai bien pu attendre plusieurs mois alors, je peux encore attendre un mois de plus. » « Encore une fois ... je suis désolé .. ». Encore et toujours des excuses, mais je n'ai que ça à lui offrir. Soudain elle vint à ma hauteur et me prit mes mains. Immédiatement je sentis sa chaleur me transpercer. S'en suit, un discours assez émouvant, mais son étreinte me prend de court et me décroche une mine surprise. Pour autant, je ne la repousse pas, au contraire. Mais une gêne s'empare de moi. Je me sens gêné. Ayant perdu l'habitude de recevoir de l'affection ou d'en donner, c'est tout nouveau pour moi. Et alors que tout semble s'arranger, reprendre sa place, elle s'éloigne de moi et pousse dans un soupire. « Lais... laisses tombé. J'aurais jamais dû dire ça. Fais ce que tu veux. ». Mon expression est à la hauteur de ce que je peux ressentir. De la surprise. Il n'empêche que je ne sais pas quoi lui répondre. Gêné, honteux, mal à l'aise avec cette situation, je prends conscience que trop de choses se sont passées entre nous. Je l'ai fait tant souffert et ce n'est pas maintenant que cela va s'arrêter. En restant avec moi, je la prive d'une vie qu'elle rêve depuis qu'elle est adolescente. D'un mari aimant, attentionné, drôle, d'une famille, des enfants, de vieillir à mes côtés. Soudain toutes ces choses m'arrivent et m'explosent en pleine figure. Je réalise que je ne peux pas lui offrir la vie qu'elle mérite tant. Je suis condamné. Le regard dans le vide, toutes ses questions viennent à moi et, ont pour unique réponse, l'impossibilité pour moi de la rendre heureuse. Je voudrais à ce moment pleurer, déverser le flot de peine, de tristesse qui me tiraille depuis des mois. Pouvoir tout lui dire, de ce que j'ai vécu là-bas, à la guerre, de ce que je suis devenu (...). Mais je ne peux pas. Je n'en suis pas capable. Relevant mon regard pour le plonger dans le sien, je m'approche à nouveau d'elle. Empoignant ses mains, je finis par lui dire. « Je m'en vais. Je m'en vais, car tu as trop souffert par ma faute. Quand je te regarde, je vois le mal que je t'ai causé et la vie que tu rêves d'avoir. Jamais je ne pourrais te l'offrir. Tu mérites bien mieux que moi ..., je ne suis qu'un monstre, un lâche ... . Il me faut le temps pour me reconstruire, découvrir qui je suis ... . J'espère que tu ne m'en voudras pas pour ce que je vais te faire ... ». Le regard attristé, j'avance davantage mon visage pour lui murmurer à l'oreille. « Je t'aime ... ». Puis après avoir fait volte face, je pris la porte. Quitter ces lieux sont d'une souffrance, mais il le faut. L'un et l'autre avons besoin de temps pour mieux se retrouver plus tard.