“ tonight, i'll fall asleep with you in my heart... or in my bed. ”

Beaucoup de gens pensent que c’est facile d’être flic. En même temps, d’un côté, j’peux carrément le comprendre : être flic à Montsimpa c’est pas franchement c’qui y’a de plus compliqué, ni de plus fatiguant… Et pourtant. Ne vous y trompez pas, les gars : parfois c’est beaucoup plus difficile que ça en a l’air. Rien que parce que on est censé savoir courir, histoire d’appréhender les malfaiteurs. Ça sert à rien, évidemment, puisqu’ici, les seuls méchants c’est les gosses qui, parfois, cassent un carreau sans le faire exprès, au grand damne des petits vieux. Ou bien quelques étudiants qui rentrent bourrés d’une petite soirée, dans la ville d’à côté. Dans le meilleur des cas ? Un cambrioleur mal habillé qui s’introduit maladroitement dans une maison… Pas de quoi paniquer, en somme. Et pourtant.
Oui pourtant, quand on est flic on se doit d’avoir le physique pour, au moins un peu, quoi. Souci ? J’ai jamais aimé le sport, moi. Ouais, c’est ça, fous-toi de ma gueule, surtout.

Aller au gymnase un samedi, c’est un peu blasant, j’avoue, mais crois-moi si j’avais le choix j’serais autre part, à cette heure-ci. Bref, le but, c’est de faire une heure d’exercice, et après hop, liberté chérie. Quoi que. Peut-être une heure et demi, si je suis motivé – c’qui risque pas d’arriver, mais à défaut de croire au père Noël j’peux bien croire en moi. Bref, le deuxième souci de cet endroit merdique, c’est qu’on sait jamais vraiment par où commencer. Enfin moi en tout cas, j’sais pas. La piscine ? C’est mort. Genre, M-O-R-T, tout simplement. Pas que j’aime pas me pavaner devant les gens, hein… Mais bon, là j’suis pas trop opé pour. Les haltères ? Ouais bah ça va, je vais pas tenter le diable non plus. Puis j’ai jamais dit que je voulais devenir une star bodybuildée, moi ! Allez, les tapis de course. Ouais, c’est bien ça. J’me mets donc en position, après avoir assidument observé la machine sur laquelle je m’apprête à transpirer pendant de longue minute. Si elle savait la chance qu’elle a celle-là… Ou pas, ouais ouais. Bref, je lance le machin et hop, je cours… Doucement, on va pas se fatiguer, non plus. JE vais pas me fatiguer. J’ai dit une heure à une heure et demi. J’ai jamais donné de quota de sueur ou j’sais pas quoi ; moins j’en fais mieux j’me porte.
Je pensais pas. Non, vraiment, j’avais pas imaginé ça. Mais regardez-moi ça… Bordelou. Mes yeux veulent plus le lâcher, c’est fini : il est… woahw. Bah, canon quoi. J’suis comme attiré par lui, genre comme s’il était un aimant quoi. J’peux pas lâcher mes yeux. Faut que je monte un plan. Ouais, il me faut un truc, là ! J’pourrais commencer par lui montrer mes magnifiques aptitudes physique, puis ensuite j’pourrais lui faire le coup du flic tout dégoulinant, et ensuite je… Perdu dans mes pensés, j’ai un peu négligé le sport, j’avoue. Mais ça va, y’a pas d’mal : le tapis de course vient d’me rappeler qu’il existait. Bah ouais, il a accéléré la cadence tout seul : et hop, j’viens d’me casser la gueule, comme un dégénéré. Super. Même plus besoin de plan, hein : j’suis tellement doué que là, je viens d’attirer tous les regards vers moi. AMEN.

“ tonight, i'll fall asleep with you in my heart... or in my bed. ”

Ouais. Okay. Bon, là, j’avoue, par contre, c’est grave la honte. Genre, limite, c’est limite l’humiliation internationale, celle de l’année entière quoi. J’ai rien compris à ma vie là, un peu plus et je la voyais défiler sous mes yeux d’ailleurs. Bah, j’étais tranquillement occupé à mater, un peu, et puis là, BAM, j’ai rien compris mais je sais que j’me suis retrouvé la gueule contre le tapis qui, d’ailleurs, a continuer à avancer, ce saligaud.
Et me voilà niaisement allongé à terre, brisé en mille morceaux. Enfin, pas physiquement parlant, évidemment, sinon ce serait un brin alarmant… Non mais là, c’est mort, c’est même plus la peine d’espérer quoi. J’arrête le sport. Ouais, ouais c’est ça ma décision du jour, celle de la semaine, et limite du mois : j’arrête ces conneries. Quitte à perdre mon temps, autant le faire allongé en mode chewing-gum sur mon canap’ ou, au pire, au fond de mon lit… Pas ici. Pas au milieu de tous ces gens qui me connaissent pas et qui, de toute évidence, ne me connaitront jamais.

J’l’ai pas entendu venir. Non, sans déconner, je l’ai même pas senti s’approcher, bah, j’suis occupé à prendre LA décision de ma journée, quoi. Mais je l’entends, sa voix glisse jusque dans mes oreilles et je relève la tête bien vite, bien trop vite en fait, puisque je me trahis tout seul : d’abord, l’étonnement se lit clairement sur mon visage qui, très rapidement, dessine un immense sourire. Indescriptible. Et je parle du sourire, là.
Genre, lui. Non mais LUI quoi. La raison pour laquelle je me suis étalé comme une merde. Je me mordille doucement la lèvre inférieure, incapable de retenir mon sourire éclatant : merde alors, c’est peut-être pas une si mauvaise idée que ça le sport, en fait… « Sérieusement ? Je souffre. » Je le regarde droit dans les yeux en affirmant cela, et mon sourire s’évapore tout doucement… Pour revenir bien vite. « C’est mon égo. Il vient de prendre un sacré coup dans la gueule, le pauvre ! » J’attrape alors sa main d’un geste assuré, et me relève adroitement, ou presque. Sa main est foutrement douce, tiens… Aaah, fait chier, lui par contre il tombe pas au bon moment, j’ai pas fait de soins spéciaux aujourd’hui, je… Tant pis. Je l’observe attentivement quelques secondes, tentant de comprendre sa réaction. Pas d’éclats de rire, rien ? Genre, même pas un petit sourire moqueur, un soupir faussement étouffé ? Non, rien du tout. Je hausse les épaules et lève instinctivement un sourcil, pour lui faire une grimace tout à fait naturelle, et surtout absolument pas maitrisée, avant de lui demander, histoire d’être informé, quoi. « Tu sais qu’à ce moment-là, tu devrais être complètement mort de rire, limite en train de te rouler par terre ? » Ouais, okay, j’avoue, là je lui tends un peu –BEAUCOUP ?!- le bâton pour me faire battre mais… Ca m’intrigue. Il n’est pas normal, hein ? Déjà, physiquement pas humain, puisque… D’accord, je respire et j’arrête de penser à ça, juste, allez, 30 secondes. « Tu peux te foutre de moi, je t’en voudrais pas. D’ailleurs, ça se voit pas, mais je suis mort de rire à l’intérieur. » Et là, grand sourire, genre trop heureux, limite fier. Fier d’être pas doué, ouais ouais. Oui je rigole intérieurement, oui ; pas parce que je viens de m’étaler lamentablement sur un tapis de course, non. Simplement parce que je me suis ramassé misérablement devant LE mec que je mâtais depuis je sais pas combien de temps, et que c’est lui qui est venu me tendre la main. Ouais, en fait, la vie est peut-être pas si mal foutue… !

“ tonight, i'll fall asleep with you in my heart... or in my bed. ”

C’est dans la nature humaine, je crois. Mais si, vous savez, de rigoler en voyant un truc débile, ou maladroit, ou autre. Je peux pas le lui interdire, simplement parce qu’à sa place, j’aurais pas agi différemment, et j’le sais très bien. Si j’avais vu quelqu’un se ramasser la gueule comme je viens d’le faire, juré là je serais en train de mourir étouffé, probablement allongé en boule sur le sol, les yeux pleins de larmes et le cœur battant la chamade. Et même avec ça, j’aurais été le plus ridicule de la pièce. Merde alors, certaines personnes semblent avoir un don pour le ridicule, et je crois que je découvre petit à petit que je fais partie de ces gens. Tant pis.
Mais comme quoi, parfois, la stupidité, ça a du bon. Bon, d’accord, disons plutôt la maladresse. Je viens de me casser la gueule, écorchant mon genou gauche et mon égo au passage, et hop, qui vient me tendre la main ? Le beau gosse, celui que je mate depuis tout à l’heure. Comme quoi, parfois, la vie est bien faite, franchement. D’accord, je sais déjà que oui, effectivement, j’aurais fini par attirer son attention, d’une façon ou d’une autre, si je n’avais pas eu ce léger accident. Parce que, quand on passe à côté d’un canon comme ça, on peut tout simplement pas fermer les yeux et retenir les battements fous de son cœur en se disant que ça passera une fois à plusieurs mètres de lui. Enfin, je crois que certaines personnes y arrivent très bien. Mais pas moi, alors là non, certainement pas. Seulement, pour le coup, mon manque de dextérité m’a quelque peu facilité la vie, dirons-nous. Enfin, toujours est-il qu’il est là et que, mine de rien, on commence doucement à blaguer sur… bah, ma chute minable, hein.
« Ah… Bah il s’en remettra très vite. » Je lève un sourcil, sérieusement j’essaie d’être discret mais je suis pas certain que ça marche. Enfin, toujours est-il que, bah, sa petite phrase, elle me fait rire. Oh oui il va s’en remettre. Et, encore mieux : il sera au top de sa forme, mon petit égo, quand on le verra se pavaner aux côtés d’un mec comme lui. Hallelujah. « Très honnêtement ? Je travail très dur pour ne pas exploser de rire au moment ou je te parle… » Grand sourire, genre limite là je suis en train de lui faire LE sourire heureux du moment quoi. Il me fait marrer, genre, le pauvre il est obligé de se retenir de rire pour pas m’faire de mal. Et puis, je serais vraiment trop con de n’pas lui donner la permission de rigoler, parce que voir un sourire fendre ce beau visage, se serait… ouais, magnifique. Alors effectivement, je lui donne l’autorisation officielle de se foutre de moi. Et, le pire ? Bah, il ne saisit absolument pas cette opportunité ; il préfère surement se l’auto-accorder, hein. Je hausse les épaules, faussement déçu, jouant le type susceptible à souhaits. « D’accord, pardon, à partir de maintenant, je n’te tendrai plus rien ! » Ouais, ma phrase est débile. Et alors ?!
Et là… ouais, là il me fait le truc le plus fou qu’il pouvait faire. Sans blague, c’est quoi ça ? Evidemment, comme le plus parfait des cons je peux pas me retenir de mater son cul, mais en même temps j’n’en vois ni le besoin ni l’intérêt : on a le droit d’observer les belles choses de la vie, nan ? Au fond, dites en c’que vous voulez, j’m’en fous. Juste, c’est pas humain c’qu’il vient de faire là, et je me doute que c’est de la provocation. Ou alors ça y ressemble beaucoup, franchement. Je peux voir mais pas toucher : ça sent l’arnaque, j’vous l’dis moi. « T’es pas sur le point de mourir ? Non jdemande parce que je ne voudrais pas que tu meurs tout seul, ça serait tragique. » Il vient m’sortir de mes pensés pas spécialement très pures et je relève les yeux vers son visage, plutôt que vers le bas de son corps, avant de réfléchir quelques secondes. « Ca m’a tout l’air d’être une question piège… Si j’te dis que si, je vais crever dans les minutes à venir, tu restes un peu avec moi ? » Ouais, raisonnement bidon, réaction à la con. Vous inquiétez pas, sans déconner, j’assume.