S'il y avait une unique information à retenir, ce serait que je suis un fantôme. Mais heureusement, il n'y a pas que cela à savoir. Voilà un an que la mort m'a appelé dans ses rangs, j'avais alors 20 ans. Je n'ai pas de deuxième prénom. Je ne suis pas fille unique. Je suis célibataire, mais quand on est une âme errante en même temps... J'aimerais ressusciter, réintégrer cette vie à laquelle j'ai été arrachée trop rapidement. Retourner à la photographie, à la recherche de l'amour, à la sociabilité et la réalité.

❖ calme, tentant de se contrôler dans toutes les situations ❖ réfléchie, refusant d'agir sans savoir ce qu'elle fait exactement ❖ obstinée, ce qu'elle veut, elle fera tout pour l'avoir ❖ solitaire, obligatoirement ❖ nostalgique de la vie qu'elle avait auparavant ❖ toujours autant artiste que lorsque vivante, peut-être même plus puisqu'elle n'a de temps que pour observer la beauté de son imagination ❖ effrayée de ne pas pouvoir rester liée à la vie ❖ patiente ❖ observatrice ❖ à l'écoute, plus que jamais ❖ protectrice ❖ imaginative, ayant autant de bornes à ses pensées que la mort n'en a.

Laisse-moi entrer dans ta vie

J'ai eu le temps de réfléchir à ma vie. J'en ai fait le tour. Je l'ai tourné dans tous les sens pour savoir ce que j'avais pu manquer. J'en ai passé des heures à faire le bilan, maintenant que je n'ai plus aucune autre occupation. Ma vie me manque. Chaque seconde passée dans mon corps et auprès de la réalité me manque. Je me rappelle chaque bribe de ce qui compose aujourd'hui mon passé, ce que je ne pourrais plus jamais avoir entre les mains. Je suis extérieure à tout ce monde qui était pourtant mien. Vous savez, cela fait des mois que je ressasse tout ce que j'ai pu voir. Tout. Ma vie entière, et ce depuis ma naissance. Chaque petite seconde se révélait désormais à mes yeux, même les plus insignifiantes. Tout semble revenir à cette mémoire qui n'avait pu s'imprégner que d'une partie d'un tout alors que j'étais encore en vie. Tout a commencé en août 1991, le 26 plus précisément. J'y étais apparue, sortant de ma mère et finissant dans ses bras. Son visage était alors sculpté dans la fatigue et l'épanouissement. Elle était heureuse à ce moment-là. Je la rendais heureuse. Depuis, je ne suis pas sûre d'avoir réussi à créer ce même sentiment en elle. Elle était tellement belle, radieuse, éblouissante. Les années l'ont rongé, et je m'en sens coupable. Ma mort n'y a rien arrangé, même si Rafaelle avait déjà fait énormément. Chaque seconde de ma vie, cette dernière avait été présente dans le but de rendre nos existences plus compliquées. Pour ma part, elle a réussi, et jusqu'au bout. J'ai passé mon enfance à éviter ses pièges, à les contrecarrer, à me méfier d'elle. Comme s'il n'y avait pas assez d'obstacles, Rafaelle pensait devoir en rajouter. Je me forçais, je devais faire encore plus d'efforts qu'il n'en fallait davantage pour avancer jusque la vie. Et même pour avancer tout court. Il y a eu des jours où ce fut difficile. Il y en a eu des chutes, parfois même me menant à l'hôpital. Il y a eu des pleurs, des larmes. Comme n'importe quelle vie, me direz-vous. Non, probablement plus. Mais il y a aussi eu tellement d'épreuves que j'ai appris à devenir plus forte, à ne plus me laisser rabaisser mais à affronter. Autant que je le pouvais du moins. J'ai eu la jambe cassée à cause de Rafaelle ? Tant pis. J'ai été plaquée à cause de Rafaelle ? Tant pis. J'ai perdu une bonne partie de mes amis ? Tant pis. J'ai perdu une bonne partie de ma vie à tenter de ne pas encaisser trop de coups ? Tant pis, mais j'ai perdu bien trop de temps et le regrette désormais. Ma sœur n'aurait pu être qu'une partie de ma vie, mais elle s'est tellement acharnée à la détruire qu'elle a été ma vie elle-même. Je n'ai trouvé pour moyen de la contrer que l'évasion, et ne pouvant quitter réellement la ville, je me suis réfugiée dans l'art. Ce que l'art est beau, ce qu'il est pur et vivifiant. Ce fut le souffle de toute ma vie. Même quand j'étais enfermée dans ma chambre, c'était au monde que je m'ouvrais. Je l'ai laissé m'enivrer, prendre possession de moi et me créer cette bulle qui m'a tant aidé. J'ai avancé en me perdant dans l'objectif de mon appareil photo, comme pour trouver un recul que je ne pouvais avoir de moi-même. Il me suffisait de cela pour me sentir libérée, pour me sentir vivante. Mes études étaient ma dernière source de tranquillité là où le stress et l'énervement m'entouraient. Mes parents étaient fatigués, ils vieillissaient et abandonnaient quasiment la lutte contre le démon. Leurs rides se creusaient, laissant aux oubliettes les rires qui avaient éclairé leur visage bien des années auparavant. C'en était fini de la douceur de l'enfance. J'étais adolescente, et ne me restait plus qu'à continuer à vivre et à évoluer par moi-même. Je réussis à me hisser jusqu'aux études qui m'avaient faite rêver. Je m'adonnais à cette passion et découvrais la liberté que je n'avais jamais connu auparavant, quand Rafaelle était dans les parages aussi bien à domicile que dans l'école. Elle ne venait jamais dans mon université. C'était bien trop intellectuel pour elle. Elle n'était bonne qu'à détruire ce qu'elle touchait. Elle me dégoûtait. En fait, peut-être même qu'elle me faisait pitié à n'avoir aucun but dans sa vie et à ne jamais avancer. Toute ma vie semblait s'animer, mon indépendance approchait, tout se coordonnait parfaitement. Je me sentais presque épanouie. Mais tout mon monde s'ébranla quand mes premières douleurs à la poitrine me secouèrent. Je ne savais aucunement de quoi cela pouvait s'agir mais me mis à m'inquiéter aussitôt. Je consultais mon médecin qui m'envoya immédiatement chez un spécialiste, juste assez pour me rajouter des doutes. Les douleurs se faisaient soudaines et se présentaient de plus en plus régulièrement, je n'aimais pas ça du tout. Les mois passèrent, et le rendez-vous chez le spécialiste finit par arriver. Il me fit faire plusieurs examens, et ses traits emplis de réflexion ne me rassurèrent aucunement. Il m'expliqua que les résultats arriveraient d'ici une ou deux semaines tout au plus et qu'après réception, je devais reprendre rendez-vous avez lui. Personne ne peut contrôler le temps. Personne. Il n'est que vent qui souffle dans vos cheveux et les emmêlent, vous ne pouvez le contrôler. Vous n'êtes rien face au temps, rien. Je ne l'ai compris que trop tard. Cette dispute avec Rafaelle n'avait été que la marque d'un jour comme un autre. Jamais je n'aurais pu croire que cela marquait mon dernier souvenir. Toute mon existence ne se résuma donc qu'à elle. Elle eut même le droit à ma mort. Elle ne mérite même pas ça. Je quittai mon corps soudainement, m'arrachant à cette souffrance plus horrible qu'habituellement. Je n'étais plus, je le comprenais à l'instant même où mes genoux heurtaient le sol pour m'empêcher de complètement m'effondrer. Je demeurais ainsi quelques secondes avant de m'étaler de tout mon long face à Rafaelle. Elle n'avait pas compris. Même Rafaelle semblait pouvoir être surprise par la mort, qui l'aurait cru. Je n'étais plus que témoin, simple témoin, de tout ce qui aurait dû rester mon quotidien et ma vie. Je n'avais que 20 ans, et j'avais perdu la vie à cause d'une maladie cardiaque. J'avais réagi pour tenter d'y survivre, mais ce n'avait point suffi. La mort m'avait attrapé alors que je m'envolais à peine pour ce que j'aurais voulu être un siècle. Je ne compris pas tout de suite ce qu'il en était de moi. Je ne comprenais pas ce que j'étais réellement. Un fantôme ? Cela semblait tellement insensé. Mais quel était le sens de la mort, si ce n'était donné une suite à la vie ? Je découvris alors les avantages de cette nouvelle existence. J'épiais mes proches, découvrant comment ils étaient désormais sans moi. La tristesse s'accaparait de cette âme esseulée que j'étais plus que jamais. Je n'étais qu'une brise qui ne fait d'effet qu'aux plus sensibles. Je n'étais rien. Je les voyais là, à sourire, à rire, à s'émerveiller, et je n'étais rien. Les premiers temps furent durs, tellement durs. Je ne trouvais aucun moyen de m'échapper de ce qui semblait être une prison. Comment exister si vous n'êtes qu'en possibilité d'observer les autres ? Je voulais retrouver ma vie, chaque jour davantage. Je les voyais tous vieillir, je les voyais aimer, je les voyais sourire, ou même pleurer, mais je les voyais vivre. Je les enviais tellement. Je les découvrais comme je ne les avais jamais vu, apprenant leur plus gros secret, les scrutant tandis qu'ils évoluaient dans leur train-train quotidien. La vie continuait. Certains naissaient, d'autres mouraient, pendant que les larmes ou les rires se créaient de part et d'autre de la terre. Mais ma terre, c'était Montsimpa. Ma vie, c'était mes proches, ceux qui habitaient cette ville et qui m'avaient emmené jusqu'à mon dernier souffle. C'était même Rafaelle. Cette femme sans cœur, cette abomination de la vie. Même elle, elle était ma vie. Peut-être plus que quiconque au fond, parce que même si elle m'avait fait ressentir les plus horribles sentiments, elle m'avait fait ressentir l'injustice de la vie et m'avait aidé à la comprendre. Mais au fond, si elle était ma vie, c'est aussi car elle a su si bien me cacher ce cœur qui battait au fond d'elle, ce cœur que peu de personnes avaient pu entrevoir. Quentin. J'ai pu le voir ce petit nigaud s'approcher de ma sœur aînée. J'aurais pu souhaiter qu'il la fasse souffrir, qu'il lui torde le cœur comme elle avait tordu le mien, mais même pas. Je l'observais à son tour, non pas pour être sûr que tout aille bien pour lui, mais pour m'assurer qu'il faisait que tout aille bien pour elle. La mort doit rendre masochiste je crois. Il ne pouvait en être autrement. Peut-être ne souhaite-je que le meilleur pour mon ennemie que parce que je sais que la mort lui arrachera tout un jour ou l'autre. Peut-être ai-je tellement souffert que je ne souhaite à quiconque d'être dans la même situation ? Je souffre encore en réalité. Je m'essouffle à ne plus avoir le droit de respirer et voudrais exister à nouveau. Il me manque un but et quelque chose en quoi croire. Il me manque tout. Il me manque la vie.

Rafaelle Coolidge

Une soeur. Presque toute une vie. Elle a passé son temps à me rendre la vie dure, et elle a réussi, puisqu'aujourd'hui morte, je regrette de n'avoir pas su mieux vivre. Je l'ai détesté des années durant, mais au final, maintenant que je ne peux plus qu'errer, je la surveille, comme pour la protéger, sans qu'elle ne puisse le savoir.

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