« Papa, je sors ! » Je savais qu'il me regardait, un sourcil arqué au dessus de ses yeux bleus, comme les miens, se chatouillant la moustache, avec, en dessous, la petite bouche ronde dont je n'avais heureusement pas hérité. Enfin, comme il me disait souvent, le temps change bien des choses. Il nous a déjà enlevé maman, il pourra bien aussi me prendre ma jolie bouche pulpeuse, n'est ce pas ? Pour revenir à maman, papa dit que c'est le temps qui lui a manqué pour soigner son cancer. La mort la rattrapée trop vite. Nous n'avons même pas eu le temps de s'accrocher à ses ailes, de lui dire au revoir. Adieu. Il y a tellement de choses que j'ai dites et qu'à présent je regrette. Je les échangerais volontiers contre une seule minute avec celle qui m'a donné la vie Malheureusement, les choses ne se passent pas comme cela et même si c'était le cas mon père ne me laisserait pas le faire. Lui, a décidé de railler ma mère de ses pensées et, par la même occasion, de contrôler tout mes faits et gestes depuis qu'elle n'est plus des nôtres. Il est un peu plus méfiant ces temps ci. Comme s'il savait que je voyais quelqu'un même si c'était impossible qu'il me voit avec un garçon dans l'immense ville qu'était Sydney. « Tu vas où ? » s'empressa t-il de me demander alors que je passais dans le vestibule, mon manteau à la main? Toujours les mêmes questions : « où vas tu ? avec qui ? tu prends ta voiture ? » et ça finissait toujours par un « ne gaspille pas trop d'essence » et la conversation s'arrêtait là. Je savais qu'il lisait dans mon journal et fouillait dans mes affaires une fois partie mais ça – comme tellement d'autres choses – je faisais semblant de l'ignorer. Après un long et habituel questionnaire, je rentrais dans ma voiture – une petite Ford cabossée de tout les côtés – et m'en allait, prenant une route vers la plage même si ce n'était pas du tout l'endroit adéquate pour aujourd'hui, jour pourtant si important. J'aurai dû me rendre au cimetière ce matin là. Déposer des acacias sur la tombe de ma mère. Cela faisait aujourd'hui deux ans qu'elle était morte.

« Papa ! C'est moi ! Le dîner est prêt ? » Mon père, dans la cuisine, me lance gaiment un torchon et j'ouvrais le four espérant y trouver de la choucroute, le plat préféré de la personne que l'on devrait normalement honorer aujourd'hui. « Raviolis aux champignons, ton plat préféré ! » Il s'arrêta deux secondes, histoire que je contemple ses traits qui s'étirait afin de former une mine "content de lui". A la place, je ne vis que de petites rides au coin de ses yeux, la vieillesse le gagnait, lui aussi, comme tant d'autres avant. Il se lança dans une explication compliquée du comment il avait réussi cet exploit culinaire même si on savait l'un comme l'autre qu'il n'avait ouvert qu'une petite boite de conserve. Je soupirais en regardant, incrédule, les raviolis dans le plat dont on se servait tout les jours. Il n'avait même pas sorti la vaisselle de maman, celle en porcelaine. Sans prêté attention à son récit, je lui arrachais le plat des mains pour le fracasser par terre. Le verre vola en mille éclats et la nourriture s'étalait dans la cuisine, recouvrant les placards de sauce. Écarquillant les yeux, mon père aurait préféré que je me taise et que je ramasse docilement les bouts de verre pour recoller les morceaux. C'était ma spécialité, non ? Mais j'en avais assez de jouer sur les mots, de tourner sept fois ma langue dans ma bouche avant d'émettre un son et de ne jamais rien faire ayant un rapport avec ma mère. Je n'étais pas un mouton ! J'étais une jeune femme avec un passé que je ne pouvais pas renier. « Ça aurait dû être de la choucroute. » dis je, sèchement, lui crachant quasiment ces paroles à la figure. Je tournais les talon, me dirigeant vers l'escalier. Mais il fut plus rapide et posait un main ferme sur mon épaule. Je me dégageais et me retournais de façon à n'être plus qu'à quelques centimètres de son visage. « Je ne suis plus un gamine papa ! J'ai vingt et un ans ! On aimait maman tout les deux et elle nous a quitté. Ce n'est pas de sa faute, de la tienne non plus ! Crois tu que maman serait heureuse de voir comment on vit ? Comment on lui rend hommage ? Faire comme si de rien n'était n'avancera pas les choses, loin de là ! » Je marquais une pose. Sur mes dernières phrases, je criais presque. Je vis qu'il posait un doigt sur sa tempe et je faillis ajouter un « pas la peine de se flinguer » mais je me retins. Ça ne ferait qu'empirer la situation. Seulement, quelque chose avait changé dans le salon où nous nous trouvions. Je cherchais ce qui manquait, ce qui avait changer. C'est ici que je mis le feu aux poudres. « Quoi... Mais... Où sont les photos de maman ? J'y crois pas ! Tu... T'as enlevé les photos de maman ! Où sont elles ?! » Voyant qu'il ne se résolvait pas à me répondre, je lui affichais un grand sourire sarcastique. Je lâchais un « J'ai ai marre » et je montais, soulagée qu'il ne me suive pas et pris les premières affaires que je trouvais ainsi que mon argent, que je transversais dans un porte monnaie. Je redescendis, mon sac à dos plein à craquer sur mes épaules. « Tiens. » A présent calme, je lui tendis ma clé me permettant de rentrer et sortir à "ma" guise. Interloqué, mon père ne tenta rien pour m'empêcher de partir. Je savais que je le blessais, je ne savais pas à quel point. Mais c'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase et cette fois, je ne serai plus là pour récupérer la flotte et la déplacer dans un plus grand récipient. Je laissais l'eau coulée, le vase débordé, comme mes larmes qui s'échappait de mes yeux après avoir attendu deux longues années avant de rouler sur mes joues enflammées ? Pendant ce temps, je tournais le dos à la maison qui m'avait accueillie durant vingt et un an de ma vie. Mais, je décidais que cette maison et ses habitants présents faisaient maintenant partis de mon passé.

Il fallait que je trouve où vivre, et vite. J'ai logé durant cinq jours chez une amie mais je n'ai pas perdu une seconde pour faire les démarches. Il fallait que je m'éloigne de Sydney. Tout recommencer. Je ne tardais pas à me trouver un appartement au premier étage à Montsimpa, une ville qui m'était inconnue jusqu'alors. Je me mis à travailler dans un salon de coiffure afin de payer mes études de styliste, un rêve qui donnait un sens à cette nouvelle vie.