Si la vie amoureuse de Polly était un véritable désastre (mariage raté, rupture douloureuse), sa vie professionnelle était, quant à elle, un véritable succès. Depuis toujours, la jeune femme est passionnée par l’art en général, mais surtout la peinture. Dessiner, jouer avec les pinceaux, les textures et les couleurs… de quoi l’occuper des journées entières. Cependant, manquant de confiance à elle, seule sa sœur Olympe a pu bénéficier d’une exposition des tableaux, en privé donc. Il est hors de question que quiconque pose les yeux sur ses toiles et encore moins les commente. Une seule critique négative pourrait bien la détruire : une totale remise en question la mènerait sans nul doute vers un arrêt total de la peinture. Polly se trompait, elle était douée. Mieux, elle connaissait tellement bien le domaine artistique que cela ne faisait qu’élargir ses compétences.

Si ses toiles ne sont pas exposés en plein jour, sous la lumière des projecteurs, Polly n’a pas pour autant mis de côté cette passion. Effectivement, elle gère la galerie d’art de la ville depuis quelques années maintenant et c’est toujours avec grand plaisir qu’elle passe la porte de son bureau chaque matin. Un sourire omniprésent sur les lèvres, elle gambade à travers l’institut, conseille les potentiels acheteurs et met en lumière ses coups de cœur du moment. Pouvoir rencontrer des artistes qu’elle admire était un de ses rêves, et c’est grâce à celui-ci qu’elle comble le manque de réalisation de son souhait le plus cher : être un jour exposée à son tour et se retrouver plébiscitée par le public, les amateurs et la presse.

Ce matin-là, Polly s’occupait de l’accueil. Les yeux rivés sur l’ordinateur, elle tapotait frénétiquement sur son clavier lorsqu’une légère sonnerie lui avertit la présence d’un client. Relevant la tête, une mine de surprise lui en fit perdre son sourire. « Jaime ? » c’était tout ce qu’elle réussit à articuler. La présence de l’homme devant ses yeux la troublait, c’était le moins que l’on puisse dire.

« Bonjour je viens déposer tous ces tableaux. Je ne veux rien en tirer, juste m’en débarrasser… » Il ne l’avait encore pas remarqué mais Polly, elle, avait les yeux rivés sur Jaime. Aucun son ne put sortir de ses lèvres, c’en était fini pour elle pour quelques bonnes minutes. La surprise l’avait paralysé sur place et nombreux souvenirs remontaient en elle. Le visage de Jaime lui rappelait tant et tant de choses qu’elle avait enfouies en elle et qu’elle aimait parfois ressasser le sourire sur les lèvres, se rappelant l’innocence de l’adolescence. Il fut son premier amour et même si leurs routes s’étaient séparées, elle ne regrettait rien. Le revoir aujourd’hui n’était pas une mauvaise surprise, bien au contraire. « Jaime ? » lui fit-elle, pour signaler sa présence et pour qu’enfin il relève les yeux vers elle. Avait-il toujours le même regard qu’autrefois ? Était-il le même ? Qu’était-il devenu ? S’était-il lui aussi essayé au mariage ? Avait-il réussi sa vie ? Tant de questions qui s’entrechoquaient dans l’esprit de Polly. Comment agir face à son premier amour que l’on n’avait pas vu depuis quelques longues années ? Elle ne savait pas, mais une chose est sûre, ses joues s’étaient légèrement teintées de rouge. Lorsqu’enfin Jaime prit la parole, un sourire s’empara des lèvres de Polly. « Et oui, Montsimpa. Il faut croire que je reste attachée au passé. Quitter la ville qui m’a vue naître et grandir me semblait insurmontable. » Un léger rire s’échappa de sa bouche, mais c’était plus de la gêne qu’autre chose. Souvent, elle avait rêvé de tout quitter pour s’envoler à Paris, vivre dans la plus belle ville du monde qui l’avait tant fasciné. Mais elle n’avait rien d’une voyageuse et encore moins d’une Parisienne, et très vite son côté terre-à-terre l’avait rattrapé. L’amour, aussi, puisque c’est à cette époque qu’elle rencontra son mari, celui qui aujourd’hui a détruit sa vie. Elle ne savait pas quoi dire. Les yeux rivés sur lui, elle se contenta donc de revenir au sujet de sa venue ici. Stupide. « Je ne t’aurais jamais imaginé éprouver une quelconque passion pour la peinture. Enfin visiblement, tout ceci appartient aujourd’hui au passé, dommage. » S'il souhaitait se débarrasser de ces peintures, alors oui l'art n'était définitivement pas son truc.

Revoir Jaime était vraiment bizarre et une sensation particulière ne quittait désormais plus le corps de Polly. La jeune femme ne saurait expliquer ce qu’il se passait en elle, mais tout ceci l’inquiétait. Ne quittant pas du regard son ancien petit ami, elle l’écouta attentivement parler et prenait bien soin de répondre à ses questions. Le revoir lui faisait du bien, lui parler encore plus. Jaime lui avait manqué, elle en avait pris conscience dès lors que son mariage avait tourné au ratage le plus complet. Bien sûr, la nostalgie de leur belle histoire l’avait possédé entièrement, mais c’était bien plus que cela. Ce n’était pas seulement parce que son ex mari l’avait plaqué devant l’autel, non, comme si cette sensation de manque l’avait toujours habité et la rupture l’avait mise en lumière. Oui, c’était sans doute tout cela. « Avoue, c’est parce que je te manquais. » Polly s’étonna elle-même d’avoir dit une telle chose, et ne put s’empêcher de rougir. D’ailleurs, elle justifia aussitôt ses propos. « Excuse-moi, ma plaisanterie est vraiment mauvaise. » Un peu mal à l’aise, elle passa sa main dans ses cheveux puis respira doucement. « C’est étonnant, on ne s’est jamais encore croisé. Il faut croire que le destin ne voulait pas que l’on se retrouve tout de suite. » ajouta-t-elle, un léger sourire les lèvres. Son regard quitta Jaime pour venir se poser sur les peintures qu’il tenait à la main. Durant leur histoire d’amour, elle avait tenté à nombreuses reprises de le convertir à la peinture mais ce fut à chaque fois un échec cuisant. Et voilà qu’elle apprenait qu’il s’était épris de la peinture. Elle en était contente mais une certaine déception se faisait sentir. Quelle était donc la femme qui était parvenue à lui faire aimer les belles choses ? Cette question trotta rapidement dans son esprit et ce fut Jaime qui la ramena sur Terre en la complimentant. « Je… euh… Je t’en remercie. Tu es toi aussi très beau. » Ses joues se teintèrent à nouveau de rouge. Et la question qui suivit le fit davantage. « Il faut croire qu’aucun homme ne veut de moi. » fit-elle, riant jaune légèrement. « Mais si tu veux tout savoir, cela a failli. » Elle n’en dit pas plus, ne désirant pas évoquer son mariage raté. Les sanglots suivraient sans nul doute sinon. « Par contre, toi, c’est impossible que tu ne sois pas marié. » fit-elle. C’était une manière comme une autre de lui faire comprendre que non seulement il était beau mais qu’en plus, elle avait apprécié chaque instant avec lui par le passé.

Spoiler:

« Moi non plus, jamais… » Même si leur rupture avait été une décision commune, Polly n’aurait jamais pensé retrouver Jaime. A dire vrai, elle était si persuadée que leur route s’était séparée pour toujours qu’elle ne s’était pas posée de question. Lorsqu’elle s’était retrouvée seule, elle avait souvent repensé à leur histoire, avec une nostalgique palpable. Puis le temps avait eu son effet, et le destin lui avait permis de rencontrer son mari, enfin plutôt ex mari maintenant. Retrouver Jaime devant elle lui faisait un drôle d’effet. La preuve, voilà qu’elle venait de lui offrir une plaisanterie douteuse. « Mais j’en suis ravie. » s’empressa-t-elle de répondre. Dire le contraire aurait été lui mentir. Cela lui faisait du bien, en cette période de sa vie quelque peu difficile, de retrouver celui qui avait été la personne la plus chère aux yeux de Polly il y a quelques années. « Non, je ne me sous-estime pas, crois-moi. » rétorqua-t-elle, aussitôt, convaincue d’avoir raison. Après tout, leur histoire s’était révélée un échec, et maintenant elle avait perdu son mari devant l’autel. Sa vie amoureuse était un vrai désastre, elle ne se voilait tout simplement pas la face.

A son tour, elle aurait aimé savoir ce qu’il était devenu, si une femme partageait sa vie, s’il était heureux. Mais Jaime ne semblait pas vouloir lui offrir toutes ses informations. Tant pis, Polly était bien trop gênée par son compliment et ses retrouvailles étonnantes qu’elle n’osa guère lui en demander plus. Savourer l’instant présent, se saisir de chaque seconde qui défilait pour mieux apprécier ces retrouvailles. « Ce n’est pas très intéressant, tu sais. » lui répondit-elle simplement, lorsqu’il lui demanda des détails sur ce mariage raté. Elle se retint d’ajouter ‘comme toute ma vie’ mais elle freina cette envie. « Il n’était pas fait pour moi, voilà tout. » Elle laissa passer quelques secondes, songeuse, avant de reprendre. « Ou plutôt, je n’étais pas faite pour lui. » Cette fois-ci, Polly se sous-estimait, il avait raison. « Il faut que j’oublie définitivement cette erreur. » ajouta-t-elle, cependant, un léger sourire sur les lèvres pour ne pas décevoir Jaime. « Tout va bien ? » ne put-elle s’empêcher de demander. Elle connaissait par cœur son ancien petit ami, elle avait donc remarqué ce changement d’expression sur son visage quelques minutes auparavant et ne pouvait pas laisser passer cela. Persuadée qu’elle était à l’origine de cette expression de gêne, elle s’était donc risquée à le questionner pour pouvoir s’excuser. Elle était loin de se douter de la vérité.