La journée avait été rude pour Praskovia. Elle avait reçue des nouvelles de ses parents biologiques par le billet de son avocat qui mentionnaient que son père allait se marier et avait deux enfants. Choquée par le fait qu’il l’ait abandonné et ait des enfants tout en l’oubliant elle avait classé sa journée parmi le top 5 des pires de sa vie. Par chance, elle était à Montsimpa. Sinon elle l’aurait retrouvé en Russie et lui aurait dit sa façon de penser. Bref, Praskovia n’a toujours eue que quelques façons de vider son stress et sa colère : courir, boxer, écrire des chansons. Ce soir, elle décida d’aller au gym. Si elle écrivait, ce serait tellement colérique les paroles qu’elle en aurait pratiquement peur. La jeune femme se vêtit donc de pantalons de sport, d’une camisole adidas et de ses souliers asics favoris. Elle mit son manteau et sortit de chez elle, direction la salle d’entraînement à laquelle elle était abonnée. Elle se gara dans la cour de cet endroit, sortit avec son sac d’entraînement et y entra. Elle salua les gens de l’accueil qui la reconnaissait à chaque fois et se rendit vers la salle des femmes où les casiers étaient. Elle déposa son sac, enleva son manteau, prit sa serviette, s’étira, barra sa porte de case et ressortit direction le gym. Elle monta les marches – le gym étant situé au deuxième étage – et se rendit au comptoir des entraîneurs. « Praskovia Dezrodnov. Pouvez-vous me donner mes gants de boxe s’il vous plaît? » C’était toujours la même routine. Elle disait son nom, ils lui donnaient ses gants. La jeune femme se rendit dans une des salles : celle où la plupart des équipements de boxe étaient. Elle enfila ses gants et commença à frapper – certes avec une méthode précise, boxeuse depuis près de neuf ans maintenant – question de se défouler de toutes ses émotions. Des garçons la regardaient, surpris par sa force. C’était toujours le même manège, elle était habituée maintenant. Après pratiquement vingt minutes, elle retira ses gants, vint les reporter au comptoir et s’en alla dans la salle d’entraînement cardio. La jeune femme se rendit sur un tapis roulant et se mit à courir, comme à son habitude. Elle avait un cardio hors du commun et était très très en forme pour une jeune femme de son âge. Elle avait déjà fait quelques marathons, faisait des compétitions de natation – ayant remporté d’ailleurs celle nationale de Russie en 2004 – et faisait certaines compétitions de boxe de temps à autre. Être en forme et avoir de l’énergie faisait partis des choses qu’elle adorait.

Cela faisait pratiquement quarante minutes qu’elle courait lorsqu’elle vit un jeune homme entrer dans la salle d’entraînement. Certes, il y en avait plein qui rentraient et sortaient. Mais pas comme lui. Son visage était familier, très familier. C’était Isaak, elle le savait. Elle le reconnaîtrait parmi milles. Son premier amour. Que faisait-il à Montsimpa? Pourquoi était-il là alors que la dernière fois qu’elle l’avait vu, il était en Russie. Sa journée passa du top 5 des pires au top 1. C’était carrément sa PIRE journée. Merde. Elle se reconcentra sur la minuterie du tapis roulant indiquant quarante-deux minutes et vingt-sept secondes à un rythme de 7 km/ heure, dans l’espoir qu’il ne la remarque pas.

« Salut Praskovia. » Il était là, c’était bel et bien lui. Isaak Vladimir Moscovitch, son premier amour. Il lui avait brisé le cœur, il l’avait détruit en des milliers de petits morceaux. Elle l’aimait tellement, il était tout pour elle. Isaak et elle, c’était pour ainsi dire indestructible à ses yeux. Mais il avait su lui montrer qu’elle n’était rien de plus que sa première petite amie et qu’une cheerleader était bien plus intéressante qu’elle. Praskovia avait énormément souffert de le voir fréquenter d’autres filles à plusieurs reprises. Elle n’avait jamais cessé de l’aimer durant tout ce temps et il la détruisait à petits feux. Puis, finalement, elle s’était mise à l’oublier. Elle avait commencé par se concentrer sur ses deux sports favoris – la boxe et la natation – et s’était mise à étudier de plus en plus, en voie d’avoir une bourse dans une université lointaine. Même Moscou, qui était à plus de 5000 kms de chez elle ne semblait pas assez loin. Finalement, elle avait été admise à l’université de Montsimpa, en Amérique. Pour Praskovia, c’était un départ parfait. Elle serait loin de tout son passé, ne songerait plus à Isaak, pourrait profiter de la vie comme avant et se reconstruire. L’occasion rêvée depuis longtemps. Elle quitta finalement sa Russie natale en 2008 et débuta ses cours à l’université à l’automne, en littérature. Jusqu’à aujourd’hui, son plan fonctionnait. Elle avait cessé de penser à Isaak, avait passé à autres choses. Elle profitait de sa jeunesse, avait fait de belles rencontres. Elle avait eu un autre petit ami et vécu quelques coups d’un soir. Bref, le pattern parfait d’une jeune femme de vingt-et-un ans. Mais aujourd’hui, le destin avait décidé de lui faire rencontrer ses démons intérieurs. Isaak était debout, à côté d’elle, au gym, à Montsimpa. D’ailleurs, que faisait-il ici? Praskovia se tourna vers lui, décidemment, son plan de se concentrer pour ne pas qu’il la reconnaisse avait échoué. « Isaak. » Elle lui avait répondu par politesse, mais l’envie de partir en courant était omniprésente dans sa tête. Elle avait envie de brancher ses écouteurs et de se reconcentrer sur son jogging, mais il était là. Il ne partait pas. Il était en Amérique, très très loin de la Russie. Pourquoi était-il là, depuis quand, allait-il rester longtemps? Tant de questions. « Depuis quand es-tu en Amérique? » Elle ne voulait pas vraiment faire la conversation, mais ses parents adoptifs lui avaient toujours appris à être polie même avec les gens qu’on souhaiterait effacer du tableau. Alors elle allait lui parler, par politesse. Mais lorsque le une heure sonnerait sur son tapis roulant – indiquant la fin de sa session d’entraînement – elle ne se gênerait pas pour partir. L’envie de lui faire face n’était pas là aujourd’hui. Elle ne l’avait jamais été. C’était d’ailleurs pourquoi, hormis quelques salutations, elle ne lui avait plus adressé la parole depuis qu’il l’avait laissé. Et elle ne se sentait pas apte à lui faire la grande conversation amicale du ''tu m’as manqué'' alors qu’elle était justement ici pour s’éloigner de lui. Tentative foutument ratée.

Praskovia avait tout fait pour l’oublier, passer à autre chose. Elle s’était promise de vivre sa vie avant tout et de le laisser avec sa stupide de cheerleader. Elle l’avait fait. Elle était partie de son pays dans le but de tout recommencer à neuf, sans lui. Elle avait quitté sa Russie natale pour Montsimpa, une ville américaine bien différente de sa petite ville russe. Et elle avait toujours réussie à s’en sortir et ce, durant pratiquement trois ans. Elle étudiait à l’université du coin et ses parents s’occupaient de son loyer ainsi que des frais entourant l’université et sa nourriture. Elle, elle faisait du bénévolat. C’était l’entente passée avec ses parents, mais elle adorait le bénévolat. Bref, depuis trois ans, son plan marchait à merveille. Elle avait réussie à passer à autre chose, à ne plus songer constamment à Isaak. En fait, elle avait même eue un autre copain. Mais hélas, ça n’avait pas fonctionné. Sauf que dans son plan de repartir à neuf, elle n’avait pas prévu la possibilité de la venue d’Isaak. Et pourtant, aujourd’hui, au gym, il était là, à côté d’elle. Elle ne voulait pas croire qu’il lui parlait, que tous ses efforts mis pour être loin de lui étaient désormais réduits à néant. Où devrait-elle aller pour ne pas qu’il la retrouve? En Afrique? Le pire dans tout cela, c’est que si elle ne s’était pas autant attachée à cette ville, elle irait probablement. La vérité était que sa vie allait beaucoup mieux depuis qu’elle avait oublié son premier amour.

« Depuis quelques mois déjà. » Praskovia hocha la tête. C’était tout de même surprenant qu’elle ne l’ait pas croisé avant. Elle avait envie de dire tant mieux en fait. Tant mieux de ne pas l’avoir revu, tant mieux de ne pas lui avoir reparlé. Et ça aurait été parfait s’il n’avait pas été là, présentement. Il lui avait brisé le cœur comme personne d’autre n’avait pu le faire. Et elle avait tellement souffert que maintenant, sa rancune envers lui était presque infinie. Il était merveilleux, mais il avait agi comme un imbécile et ça, elle était incapable de lui pardonner. En fait, elle croyait l’avoir pardonné mais le revoir aujourd’hui ne faisait que lui rappeler à quel point elle avait souffert et tous ses efforts pour l’oublier se voyaient de nouveau réduits à néant. « Tu m’en veux toujours? » Je crois qu’à ce moment précis, le regard de Praskovia semblait émaner un brin de colère. Elle se concentra de nouveau sur le temps affiché sur le tapis roulant. Vivement la fin de son entraînement. C’était peut-être enfantin que de lui en vouloir après tout ce temps mais la brunette était du genre de personne rancunière comme pas deux. Et c’était pire lorsqu’on lui brisait le cœur. Elle ne voulait pas se risquer à répondre un non – qui serait plus que faux – ou même un oui. Mais évidemment qu’elle lui en voulait toujours. Et il semblait le remarquer. « Si c'est le cas, je tiens à te dire que je suis toujours autant désolé, mais tu sais j'ai longtemps essayé de te parler mais tu ne m'as jamais laissé m'expliquer... » Il était vrai qu’elle ne lui avait jamais laissé le temps, mais ça ne l’intéressait pas. Elle ne voulait pas savoir ce que cette cheerleader avait de plus qu’elle, ni même pourquoi il l’avait laissé. Elle avait préférée s’inventer des scénarios dans sa tête et accepter les faits. Mais aujourd’hui, nettement plus mature, il était peut-être temps de comprendre. « Explique-toi dans ce cas. Je te laisse le temps. » Elle retira l’écouteur restant de son oreille et cessa de se concentrer sur le temps affiché sur son tapis roulant, visiblement intéressée à connaître les circonstances entourant leur rupture après tout ce temps.

La vérité était que Praskovia n’avait jamais réellement réussie à refaire sa vie sans lui. Il lui avait brisé le cœur, avait enlevé tous ses espoirs. Praskovia avait certes eu un ou deux autres copains, elle était sortie quelques fois en boîte et avait fait plusieurs conneries pour l’oublier. Ça fonctionnait bien en fait. Sauf que ça fonctionnait quand il était loin. Maintenant qu’il était en ville, tout était de nouveau réduit à néant. La jeune femme accepta de le suivre, un peu à l’écart, pour qu’il lui explique sa vision des choses. Elle tenait à le savoir, se sentant prête à entendre la vérité. Et c’est là qu’il lui déballa qu’au départ, il ne voulait pas la laisser parce qu’il l’aimait toujours mais qu’il avait peur que ce ne soit elle qui le laisse. Qu’il avait sorti avec Anna, la cheerleader, dans l’espoir d’essayer autres choses. Praskovia ne savait pas quoi répondre à tout ceci. Il lui avait fait mal par peur d’avoir mal lui-même, ça en était pratiquement ridicule. « Isaak, je t’en ai voulu pendant tellement longtemps. Tu sais, c’est en grande partie à cause de toi que je suis en Amérique maintenant. Et puis te revoir, ça fou en l’air toutes mes tentatives pour t’oublier. » La jeune femme avait dû marcher sur son orgueil pour lui avouer qu’elle l’avait longtemps aimé suite à leur rupture. Une partie d’elle savait qu’elle l’aimerait probablement toujours mais elle ne pouvait se résigner à rester accrochée à quelqu’un qui l’avait laissé dans le simple but de ne pas souffrir. Elle avait souffert, elle. Elle n’avait jamais compris pourquoi il l’avait laissé, ce qu’elle avait fait d’incorrect. Elle avait été dans le néant total pendant si longtemps. Maintenant elle savait, et franchement, elle ne savait même plus si elle voulait savoir encore. « Peut-être m’aimais-tu encore réellement quand tu m’as quitté, mais tu semblais en avoir oublié mes sentiments dans tout cela. Je me suis sentie trahie Isaak. » Et pendant longtemps suivant cette rupture, elle n’avait sue faire confiance de nouveau à un garçon, par peur de souffrir encore. Certes moins qu’avec Isaak mais tout de même. Ça lui avait tellement fait mal cette rupture qu’elle en avait perdue toute capacité à aimer de nouveau. Et lorsqu’elle eue finalement un autre copain, elle avait peur de trop s’attacher et c’était elle qui foutait tout en l’air alors que le garçon pouvait être merveilleux. Décidément, l’amour avait quitté le corps de la brunette et semblait avoir de la difficulté à se réinstaller. Elle avait crue longtemps aux happy ever after, mais maintenant, elle ne voulait plus. Elle en était incapable. La jeune femme tourna le visage vers l’horloge du gym. Techniquement, elle devrait partir. Mais elle était tourmentée entre l’idée de rester à discuter avec son premier amour ou alors de quitter sans avoir mis au clair tout le reste des évènements survenus il y a quelques années déjà dans leur Russie natale. « Tu veux aller prendre un café en bas? » Elle venait de nouveau de piler sur son orgueil et lui avait proposé un café dans le petit café du gym, à l’étage d’en bas. Peut-être était-ce un bonne idée. Ou peut-être pas. Elle verrait bien.